Reportage photographique. La Bierfest de Munich est l’une des plus grandes fêtes populaires du monde. Michael von Graffenried l’a saisie dans ses grandes largeurs, entre joie et coma éthylique.
Le Bernois Michael von Graffenried, 57 ans, s’est fait connaître par ses images de parlementaires en train de bâiller, de nudistes, de l’Algérie à feu et à sang, de l’Inde surpeuplée, du quotidien d’un couple de drogués. Il a adopté il y a quelques années le format panoramique, lequel encadre parfaitement sa manière directe, proche des gens, empathique, mais aussi impertinente. Le grand gaillard photographie au jugé, l’appareil au niveau de son nombril, ce qui lui permet de passer plus facilement inaperçu dans la foule.
Tirant parti d’une résidence d’artiste à Munich, Michael von Graffenried a plongé deux années de suite dans la légendaire fête de la bière. Organisée pendant les quinze jours qui précèdent le premier dimanche d’octobre, la Bierfest (ou Oktoberfest) est une colossale réunion populaire qui unit le meilleur et le pire, ce mélange étant facilité par l’absorption, à chaque édition, de sept millions de litres de boissons houblonnées.
Alcool aidant, le niveau d’inhibition des participants descend bas. Très protestant, Michael von Graffenried est en revanche un garçon discipliné, mais il ose tout. Il capte la vie de la fête dans toute son exubérance joyeuse et ses signes identitaires: les chopes, les Lederhosen (culottes de peau) et Dirndls (robes traditionnelles), la transpiration sous les tentes, les couleurs vives.
Le livre qu’il a tiré de son reportage, à paraître sous peu chez l’éditeur allemand Steidl, n’a aucune explication ni légende, tant le propos est limpide. La cinquantaine d’images suit une ligne chronologique, racontant en somme une journée d’abord idéale, puis nettement plus trash. L’arrivée des visiteurs et des serveuses aux nattes blondes, la fête, la convivialité, les animations foraines, les danses et les défilés folkloriques, puis les excès, l’urine, les corps intoxiqués qui tanguent et s’effacent, les bagarres, les arrestations. Au point que, parfois, le photographe a eu l’impression de se «retrouver en pleine guerre civile». Il sait, comme les organisateurs de la Bierfest le savent, que la fête provoque, outre les blessés et les malades à vomir, plusieurs décès par année. Mais le fait est passé sous silence pour ne pas nuire à la réputation de l’événement et aux énormes intérêts financiers en jeu.
Il sera intéressant de voir comment ce portrait sans complaisance, mais si énergique et franc de la Bierfest bavaroise, sera accueilli en Allemagne…
«Bierfest». De Michael von Graffenried. Steidl (à paraître).