Zoom. A la RTS, la haute définition met à nu toutes les imperfections esthétiques des journalistes. Séance maquillage avant le TJ.Florence duarte
C’est la première fois dans l’histoire du téléjournal que le studio maquillage est installé à l’entrée du plateau. Juste derrière la porte où clignote en rouge «On Air» quand un journaliste est à l’antenne. Ici, entre le studio tout de blanc, de plexi, d’écrans et de caméras robotisées et sa nouvelle régie high-tech, qui ont coûté 4,8 millions de francs, on a dû improviser dans le couloir un espace pour l’esthétique, qui prend encore plus d’importance et donc de temps. Miroirs de loge et éclairages surpuissants. On savait que l’introduction de la haute définition (HD) imposait une rigueur dans l’apparence. Les équipes s’étaient préparées, avaient testé tous les types de peaux, de coupes de cheveux, trié les placards et jeté les vestes scintillantes. Le soir du 25 août pourtant, pour la première, Darius avait l’air d’avoir abusé des Maldives, Alain Berset, le conseiller fédéral, était gris (lire L’Hebdo du 28 août, chronique «Ecrans»). Depuis, tout le monde a meilleure mine. Parce que la brigade esthétique du TJ ne lâche rien.
Leïla Fertikh Minkhorst est maquilleuse depuis trente ans à la RTS. C’est une pro des plateaux de télé et de cinéma. Ce lundi matin, elle maquille les filles du 12 h 45, la présentatrice Agnès Wuthrich et la chroniqueuse culturelle Claire Burgy. Un travail d’orfèvre. Ne plus cacher, camoufler, comme avant, mais révéler, magnifier, en douceur, en subtilité. Avant, Leïla et ses consœurs travaillaient à l’éponge. Maintenant, 80% de l’œuvre s’accomplissent au pinceau. «Je fais ressortir les traits en travaillant les ombres et les lumières avec plusieurs couleurs de fonds de teint. Et j’étire au maximum. Sur les plans serrés, il faut qu’on voie l’équilibre du teint. Ce qui prime? La transparence.»
La HD modifie le métier. Avant, la télé faisait ressortir la brillance et les rougeurs. Aujourd’hui, la moindre imperfection, un pore, un poil, une racine de poil, l’aube d’un bouton, une pellicule sur l’épaule, un cheveu hirsute, saute aux yeux du téléspectateur. Capte son attention et le détourne de l’info, le maître mot, l’essentiel, le but de cette stratégie HD.
Le journaliste doit disparaître. Il n’est plus la star. Il le devient si son grain de peau vole la vedette à Barack Obama. La HD, c’est l’effet loupe. Le but est donc de révéler la beauté naturelle d’Agnès, de Claire ou de Darius. Leïla aime faire ressortir leurs traits, les accentuer, signifier la sinuosité de leur vécu. De leurs états d’âme du matin faire naître une petite brillance dans l’œil. Ici, on dorlote ces stakhanovistes du desk façon Les quatre filles du docteur March. Café, amandes salées et voix douces.
Ces visages intelligents doivent vivre devant la caméra, on doit les sentir être eux-mêmes mais dans une perfection qui n’en a pas l’air. C’est tout le paradoxe: être magnifié par la HD, le nouveau plateau, tout en restant transparent. Agnès Wuthrich: «Le plateau est conçu comme une page blanche, c’est l’expression consacrée. On ne doit pas perturber le processus.» Alors on bosse. Cheveux lavés à la RTS tous les matins. Coloration et coupe corporate. Ombres à paupières neutres. Bijoux interdits. Tissus brillants, paillettes et synthétique au placard. La HD, c’est le retour de la télé en noir et blanc.