Enquête. Après la dénonciation des accords Erasmus, la période de doute a été longue. Mais la plupart des étudiants peuvent désormais souffler et partir en échange académique grâce au système provisoire adopté par la Suisse.
Gabriela voulait absolument étudier la sociologie à l’Universidad Complutense de Madrid. Ni une ni deux, elle a négocié son propre Erasmus, obtenu l’accord de son alma mater (l’Université de Neuchâtel). Il ne lui restait plus qu’à finaliser son départ. Patatras, le couperet du 9 février est tombé. Et, avec lui, la dénonciation des accords Erasmus. Une mesure de rétorsion que Gabriela a subie de plein fouet. L’académie madrilène n’a plus voulu d’elle.
Combien de Gabriela ainsi déboutées? Pas autant qu’on l’a d’abord craint. Sa mésaventure est un cas rare. En cette rentrée 2014, la majorité des étudiants qui avaient planifié un Erasmus ont bouclé leurs bagages. L’adoption d’un système provisoire aura en effet fini par compenser la décision d’éviction prise par l’Union européenne au lendemain de l’acceptation de l’initiative populaire de l’UDC «Contre l’immigration de masse».
Flash-back
Pour les étudiants en quête d’expériences nouvelles, le cauchemar s’est concrétisé le 26 février 2014. Lorsqu’il a été confirmé que la Suisse ne pourrait plus participer au programme Erasmus + que comme pays tiers. Un statut qui, sans mettre fin aux échanges, limite considérablement les possibilités de collaboration. S’est ensuivie une période opaque durant laquelle universités suisses et Confédération ont négocié un plan d’action. Le 16 avril 2014, le Conseil fédéral a tranché. Et le Swiss European Mobility Programm (SEMP) a vu le jour. Allouée d’un budget de 22,7 millions de francs, cette solution transitoire a toutefois comme un goût de déjà-vu.
«Nous revoilà dans un Schweizer Erasmus, comme il y a vingt ans, après le refus de la population d’adhérer à l’Espace économique européen», rappelle Antoinette Charon Wauters, responsable des relations internationales de l’Université de Lausanne. La situation est ainsi semblable à celle valable jusqu’à fin 2011. Les étudiants suisses peuvent certes partir. Mais ils se voient déchus de certains droits. «Ceux qui vont à Thessalonique n’ont par exemple plus accès aux cours gratuits de grec, précise Olivier Vincent, responsable de la mobilité au sein de l’Université de Genève. D’autres se verront refuser les logements privilégiés mis à disposition des étudiants Erasmus uniquement.»
Rappels sans réponse
Pour l’heure, ce mode de participation indirecte a malgré tout permis de sauver la plupart des collaborations interuniversitaires. Mais à quel prix? «Nous avons dû rappeler un à un chacun de nos partenaires, afin de savoir s’ils étaient prêts à se réassocier avec nous via le SEMP», déplore Olivier Vincent, responsable de la mobilité au sein de l’Université de Genève. «Par ailleurs, si la plupart des accords ont pu être renouvelés par simple confirmation écrite, de nombreux autres ont toutefois nécessité la rédaction d’un nouveau contrat», ajoute Marie-France Farine, coordinatrice au sein du Bureau de mobilité de Neuchâtel.
L’Université de Neuchâtel a ainsi pu renouveler 97 accords sur les 150 qu’elle avait signés avant le 9 février. Elle poursuit actuellement les rappels pour 38 partenariats restés sans réponse. «Trois établissements ont clairement refusé d’entrer en matière pour 2014-2015. Ils n’excluent toutefois pas une reprise des collaborations pour l’année suivante», précise Marie-France Farine. Parmi ses 220 partenaires, l’Université de Lausanne compte pour sa part neuf refus ainsi qu’une trentaine de demandes de confirmation en suspens. Restés inatteignables, les autres bureaux de mobilité n’ont pu communiquer leurs chiffres. Reste qu’ils ont confirmé l’information principale: l’impact sur le nombre d’étudiants sortants est moindre. A l’inverse de l’effectif d’étudiants entrants qui, lui, a drastiquement diminué. En cause, la trop longue attente qui a précédé l’octroi du budget de la Confédération.
Dommages collatéraux
Elle aura en effet été longue, cette période de doute qui a suivi l’exclusion de la Suisse des accords de mobilité européens. Entraînant avec elle craintes, incompréhension et refus de la part de certaines universités, notamment en Espagne. Il semblerait malgré tout que la plupart des étudiants soient passés entre les gouttes. Cette année, mais quid pour les prochaines volées?
«Les dommages collatéraux commencent à se faire sentir», répond Sylvie Kohli, coordinatrice au sein du Bureau de mobilité de l’Université de Lausanne. «Un professeur de l’UNIL s’est par exemple vu refuser la participation à un jury de thèse en collaboration avec une université de l’Union européenne.» Un rejet qui, sans être directement lié à Erasmus, a été amalgamé, compte tenu du nouveau statut de la Suisse. «La situation reste très fragile, instable et incertaine, ajoute Olivier Vincent. Il est bien plus facile d’être expulsé du programme d’échanges que de l’intégrer de nouveau.» Preuve en a été faite durant les années de négociations qui se sont étendues de 1992 à 2011. «Tout dépend aujourd’hui de ce qu’il va advenir demain de la libre circulation des personnes, dont la mobilité des étudiants dépend directement», complète Antoinette Charon Wauters. Une chose est sûre, la Suisse aura besoin de fonds. Car, tant qu’elle gardera son statut de pays tiers, elle ne pourra bénéficier du budget octroyé par la Commission européenne au programme Erasmus +. Reste à déterminer la source dans laquelle les universités seront habilitées à puiser. Une donnée pour l’heure trouble, mais qui n’influence pas les consignes données aux étudiants: faire comme si rien n’avait changé, déposer sa candidature et s’armer de patience.