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Le grand retour du Röstigraben

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Jeudi, 18 Septembre, 2014 - 05:56

Analyse. A l’occasion de la votation sur la caisse publique, un troisième foyer de tensions s’ouvre en moins d’un an entre Romands et Alémaniques.

Lire aussi la chronique de Chantal Tauxe: "Une histoire de divorce et de réconciliation"

Si l’initiative sur la caisse publique aura suscité un débat très controversé en Suisse, en revanche l’analyse du scrutin pourrait bien faire l’unanimité au soir du 28 septembre prochain: rebonjour le Röstigraben! La Suisse romande sera proche d’un oui, tandis que les Alémaniques la rejetteront massivement. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Après la votation du 9 février sur l’immigration de masse et la bataille des langues, un troisième dossier vient ternir les relations confédérales en moins d’un an.

«Je ne serais pas surpris qu’il y ait plus de 20% d’écart entre l’avis des Romands et celui des Alémaniques sur la caisse publique», note le conseiller national socialiste Jean-François Steiert. Ce parfait bilingue est l’un des rares parlementaires à avoir participé à des débats des deux côtés de la Sarine. «En Suisse alémanique, la campagne se révèle beaucoup plus idéologique, tandis qu’elle est marquée par les problèmes concrets en Suisse romande, où des personnalités de tout bord ont dénoncé les dysfonctionnements de l’assurance maladie, notamment les primes versées en trop par les Genevois et les Vaudois», explique-t-il. D’une méfiance viscérale envers l’Etat, les Alémaniques ne peuvent s’imaginer qu’il règle la question mieux que les caisses privées.

Certes, cette différence culturelle sur le rapport à l’Etat n’est pas nouvelle, comme le relève l’UDC vaudois Guy Parmelin. Pourquoi s’en alarmer, dès lors? Parce que c’est déjà le troisième dossier de l’année qui rouvre le Röstigraben, et que cela commence à faire beaucoup. En février dernier, les Alémaniques – et les Tessinois – avaient minorisé les Romands sur le thème de l’immigration. Et cet automne, plusieurs cantons comme la Thurgovie, Nidwald et Lucerne se signalent en voulant supprimer le français de l’enseignement à l’école primaire, un thème qui préoccupe beaucoup le président du PDC suisse, Christophe Darbellay. «La cohésion nationale fout le camp. Dans ce débat, les Alémaniques oublient qu’une deuxième langue nationale vaut plus qu’une licence universitaire, c’est une grande chance», déplore-t-il.

Dimanche noir

De manière plus générale, le socialiste vaudois Roger Nordmann s’avoue beaucoup plus inquiet. «Toutes ces décisions au détriment de la Suisse romande commencent à s’accumuler et finiront par exploser.» Quand? «Peut-être en 2017, si la Suisse devait abandonner la voie bilatérale», prophétise-t-il.

Le Röstigraben n’est pas nouveau, il fête même ses 100 ans cette année (lire la chronique de Chantal Tauxe en page 40). Jamais le fossé entre Suisse alémanique et romande n’a été plus profond que durant la Première Guerre mondiale. Dans un passé plus récent, il a rejailli en 1992, à l’occasion du vote sur l’Espace économique européen (EEE). Les Romands l’avaient plébiscité à plus de 75% mais s’étaient retrouvés dans la minorité au soir d’un «dimanche noir» aux yeux de feu le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz.

Ces souvenirs sont restés vifs dans la tête de Roger Nordmann, cofondateur du Mouvement né le 7 décembre, qui s’impliquera beaucoup pour relier malgré tout la Suisse à l’UE. Ce ne sera pas l’adhésion, mais tout de même une voie bilatérale et quelque 120 accords qui cicatrisent les blessures de 1992. Après une panne de croissance de dix ans que tout le monde a oubliée aujourd’hui, le bilatéralisme comble ce fossé de rösti et permet au pays de renouer avec une forte croissance, notamment en Suisse romande.

Deux décennies après l’EEE, le Röstigraben fait donc son grand retour, même si une partie de la classe politique honnit cette expression sulfureuse. «Je déteste ce terme», avoue la PLR zurichoise Doris Fiala, qui préfère louer les valeurs d’un pays riche de sa diversité et soucieux de ses minorités. Lors de la récente enquête Point de Suisse, menée conjointement par un collectif d’artistes et les sociologues René Levy et Olivier Moeschler de l’Université de Lausanne, 22% de gens – surtout outre-Sarine – estiment même qu’il «n’existe pas».

Suisse monoculturelle

Dans les têtes, il existe pourtant bel et bien. Il n’avait jamais vraiment disparu, réapparaissant occasionnellement dans les questions sociétales (le congé maternité) ou du rapport aux étrangers (les naturalisations facilitées). Il resurgit désormais de manière beaucoup plus marquée dans le contexte houleux de l’ouverture de la campagne des élections fédérales de 2015, qu’a lancée le plus grand parti de Suisse par deux coups de tonnerre. En proposant de lancer deux initiatives, l’une supprimant quasiment le droit d’asile et l’autre remettant en cause le droit international, l’UDC a radicalisé le débat comme jamais. «L’UDC a une conception monoculturelle de l’identité suisse. Elle a un problème avec une culture francophone parfois subversive qui déstabilise sa stratégie de captation du pouvoir», explique Roger Nordmann. Lequel note un grand changement par rapport à 1992.

«A l’époque, les Alémaniques étaient un peu gênés d’avoir froissé les Romands. Aujourd’hui, l’UDC clame fièrement qu’elle est plus patriote que les autres Suisses», ajoute le socialiste vaudois. Difficile de le contredire lorsqu’on a entendu le président de l’UDC, Toni Brunner, qui ne sait pas un traître mot de français, déclarer sur les ondes de la RTS: «Je préfère traire mes bêtes plutôt que de prendre des cours de langue en étant obsédé par ma carrière politique.»

Bien sûr, il faut nuancer le problème, comme le fait le président du gouvernement genevois, François Longchamp: «N’oublions pas que la votation de février dernier sur l’immigration a révélé trois fossés, et non seulement celui de la langue. Elle a aussi montré un clivage entre ville et campagne, de même qu’entre cantons contributeurs de la péréquation financière et cantons receveurs.» Pour lui, ce dernier fossé est le plus inquiétant, car il pose toute la question de la solidarité confédérale. «En Suisse centrale, des cantons touchant cette manne en profitent pour baisser leurs impôts et drainer de bons contribuables venus des cantons contributeurs.»

Certes, le rejet de la caisse publique ne provoquera pas de psychodrame dans l’immédiat. Mais il rappellera le souci de mieux s’écouter entre régions linguistiques à l’heure où le président du gouvernement genevois s’étonne de cet étrange paradoxe: «Curieusement, j’ai l’impression que la Suisse romande se rapproche de la Suisse alémanique au moment où celle-ci s’en éloigne.»

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