Analyse. Le PDC ne la suit plus comme un seul homme? L’USAM et economiesuisse tentent de la déstabiliser? Il en faut davantage pour ébranler la solide Doris Leuthard.
Ouf, elle a gagné, Doris Leuthard. Une nouvelle fois. En faveur de l’écologie. Contre economiesuisse. Mais aussi contre les infidèles de son parti. Comme elle avait partiellement gagné contre l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et son président Jean-François Rime, conseiller national (UDC/FR), dans le dossier de la redevance radio-TV.
Ce matin-là, 18 septembre, elle a pourtant eu chaud. Une poignée de démocrates-chrétiens, largement influencés par economiesuisse, avaient lâché leur conseillère fédérale et décidé, avec la majorité de la Commission de l’environnement du Conseil des Etats, de ne pas entrer en matière sur le contre-projet préparé par ses services pour répondre à l’initiative des Verts «Pour une économie verte». Or, au Parlement fédéral, ne pas entrer en matière claque comme une gifle. Mais gare à celui qui ose lever la main sur Doris Leuthard. Loin de tendre l’autre joue, la démocrate-chrétienne frappe à son tour, jouant sur deux tableaux. La méthode douce d’une part, celle des tête-à-tête, mélange d’arguments rationnels, tactiques et de battements de cils. Il arriverait même à la ministre de cuisiner, chez elle, pour des parlementaires. Ils adorent ça. Mais elle manie aussi la méthode rentre-dedans, se montre parfois donneuse de leçons en plénum.
Comme ce 18 septembre. Aux sénateurs qui célébraient la Suisse comme un modèle d’écologie et ne voulaient pas imposer de nouvelles règles à l’économie, elle a asséné quelques vérités. «Ne rien faire a un coût! L’assainissement des sols pollués coûte des millions. Qui les paie? Les pouvoirs publics, le contribuable. Parce que les exploitants des installations difficiles ne sont plus là, ont fait faillite ou placé leur fortune ailleurs.» Ou encore: «La Suisse, avec 700 kilos de déchets pas personne et par an, a la plus grande montagne de détritus d’Europe. Seuls les Américains nous dépassent. Un super résultat?»
Ce matin-là, elle a donc gagné, Doris Leuthard. Elle a pu partir le cœur plus léger pour inaugurer la gare de Cornavin puis la chaire en efficience énergétique de l’Université de Genève, où elle a défendu la même ligne qu’au Parlement: ne pas gaspiller, réduire sa dépendance envers l’étranger, mieux utiliser les ressources indigènes, pour l’énergie comme pour les matières premières. Un credo similaire à celui qu’elle défend quand elle critique l’économie qui, depuis le vote du 9 février contre l’immigration de masse, ne recruterait pas assez de personnel en Suisse.
Malgré ce credo raisonnable, gagner, pour Doris Leuthard, s’avère de plus en plus ardu. Pourquoi? Parce qu’elle a changé. Et parce que son parti a changé aussi.
Moins de patience
La jolie Doris, celle qui faisait distribuer du gel douche à son effigie pour gagner l’élection au Parlement fédéral, s’est transformée en femme d’Etat déterminée et, surtout, émancipée. Terminée, l’idylle avec le milieu des affaires, quand, ministre de l’Economie, elle ouvrait des portes aux entreprises de par le monde. Enterrés, les espoirs des vieux barons de l’électricité: l’ex-avocate de l’atome a décidé de sortir du nucléaire. Pire, il lui arrive de tancer ces milieux. Enfin, touchée par le syndrome du ministre expérimenté, elle aurait moins de patience et de tolérance pour l’incompétence ou la mauvaise foi de ceux qui la contrent.
Doris Leuthard a passé du statut de star incontestée du PDC à celui de magistrate chargée de l’environnement, de l’énergie et des transports, soucieuse du sort des générations futures. Dès lors, paradoxe, elle a gagné en format, mais perdu en influence sur son parti. Ses collègues du PDC, les ingrats, ne s’inclinent plus devant leur icône d’antan, la présidente qui sauva le parti de l’oubli, la belle ministre charismatique qui tirait les siens aux élections.
Son combat pour la Loi sur l’aménagement du territoire et contre les résidences secondaires lui avait déjà mis à dos le Valais, berceau PDC. L’approche des élections fédérales de 2015 ne va rien arranger.
L’abandon du nucléaire annoncé par leur conseillère fédérale ou encore sa volonté d’augmenter le prix de l’essence causent bien du souci. Surtout aux représentants de l’aile droite qui se demandent comment résister à l’UDC dans leurs cantons conservateurs. «En Argovie, le canton de Doris Leuthard, on a perdu des voix depuis l’annonce de la sortie du nucléaire», glisse un ténor alémanique du PDC. Alors ils se gênent de moins en moins de voter contre elle au Parlement. Histoire de montrer à leurs électeurs qu’ils se distancient d’une ministre trop «verte» à leur goût.
Présidence en 2017?
Désormais, les meilleurs défenseurs de Doris Leuthard se trouvent surtout à gauche: les Verts Robert Cramer ou Adèle Thorens, les socialistes Roger Nordmann ou Géraldine Savary, comme bien d’autres, relèvent sa maîtrise des dossiers, son courage, sa volonté d’aller de l’avant. Elle permet le développement des transports publics, leur financement à long terme. Elle vient de présenter son projet pour un fonds similaire pour les routes et les projets d’agglomération. Il n’y a guère que le non à la vignette à 100 francs qui l’ait déstabilisée. Quant à son dossier phare, celui de la politique énergétique et de la sortie du nucléaire, il avance en commission, malgré les centaines d’amendements, et arrivera au National en décembre. «Au final, seul le dispositif d’incitation aux économies d’électricité n’a pas passé la rampe», précise Roger Nordmann.
La doyenne du Conseil fédéral n’a que 51 ans, dont huit seulement passés au gouvernement. Alors, n’en déplaise aux ambitieux de son parti qui louchent sur son siège, il faudrait davantage que leurs infidélités pour ébranler Doris Leuthard et la pousser à partir avant 2017, sa seconde année présidentielle.