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Un réseau de vente suspect attire les jeunes Suisses dans sa toile

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Jeudi, 2 Octobre, 2014 - 05:57

Enquête. Avec un fonctionnement à la limite de la légalité, une société américaine organise des séances de recrutement auprès des jeunes pour distribuer ses boissons énergisantes.

Gagner de 25 à 15 000 francs par semaine en travaillant entre deux heures et un jour. C’est la promesse invraisemblable faite par la société américaine Vemma, basée en Arizona, pourvoyeuse de la boisson énergisante Verve!, dont la vente ne s’exerce que sur l’internet.

Un message qui titille principalement la crédulité des jeunes, public que la firme cherche à séduire par tous les moyens. Ainsi, cet été, le site d’emploi adojob.ch accueillait une annonce pour le moins alléchante: «Félicitations! Vous êtes sur le point d’embarquer dans un voyage que vous considérerez plus tard comme l’une des meilleures décisions de votre vie! Rejoignez Vemma en tant que partenaire de marque. Vous pourrez gagner un revenu supplémentaire et bien plus encore!» Comment? Tout simplement en ayant pour mission de recruter des partenaires et de développer un réseau grâce au concept de marketing multiniveau, bien connu des adeptes de Tupperware ou Herbalife. L’objectif de Vemma: écouler sa boisson énergisante, dont il s’est bu 1 milliard de canettes ces dix dernières années, toutes distribuées par ce canal discret.

La société organise depuis plusieurs mois des séances de recrutement dans différentes villes helvétiques, en louant pour ce faire des locaux au sein de hautes écoles spécialisées ou des salles de conférences à l’aspect on ne peut plus sérieux. Des représentants de la marque, parfois venus tout spécialement des Etats-Unis, y font miroiter des perspectives de carrière éclair en scandant à qui veut l’entendre le slogan fondateur de la réussite économique made in US: «Si on veut, on peut.» Et comme Vemma ne recule devant rien, ces mêmes recruteurs professionnels n’hésitent pas à allécher les jeunes avec des voitures rutilantes aux couleurs de la marque, tout en leur promettant que ces bolides pourraient tout prochainement être à eux pour autant qu’ils s’en donnent vraiment les moyens. Après Zurich et Genève, c’est désormais le canton du Valais qui semble subir la déferlante Vemma. La «Young Professional Revolution», devise de la firme, est bel est bien en marche dans notre pays.

Julien*, jeune Valaisan de 18 ans, s’est laissé entraîner dans l’aventure. Cet étudiant en sciences mécaniques a découvert Vemma par des amis déjà «affiliés» à la marque. Très intéressé, il a assisté à des séances organisées dans son canton, via des groupes constitués sur Facebook ou WhatsApp, avant de débourser 570 francs – directement versés sur un compte de la Royal Bank of Scotland – pour un peu moins de 200 canettes. Un montant minimum de base lui permettant de devenir à son tour affilié.

Depuis quelques jours, il a cessé toute activité au sein de Vemma, sous la pression de sa mère, Marie*, qui a eu vent de l’affaire et l’a fermement dissuadé de continuer. Pour elle, il était évident que le fonctionnement de la firme se rapprochait du fameux jeu de l’avion, à savoir un système pyramidal, ou boule de neige, illégal en Suisse car considéré comme de la concurrence déloyale. Contrairement à d’autres sociétés basées sur le concept de marketing multiniveau dont le but final est la vente de produits, le mode de fonctionnement de Vemma surfe avec les limites de la légalité. Il se base certes sur la vente d’une boisson aux vertus discutables (lire encadré), mais celle-ci ne sert qu’à des fins promotionnelles. La finalité de l’opération étant essentiellement le recrutement de nouveaux membres.

Pour Julien, la donne était claire dès le départ: pour réussir à «se qualifier» et espérer obtenir un salaire en conséquence, il était indispensable de trouver suffisamment de nouveaux affiliés qui passeraient eux aussi commande et ainsi de suite. Cela peut paraître simple et limpide de prime abord, sauf que le système d’échelons sur lequel se base le plan de rémunération de Vemma est horriblement complexe et exigeant. Extraits: «Une fois qu’un affilié atteint les gains du niveau cycle maxima sur cette position pendant quatre semaines consécutives, il recevra une nouvelle position au-dessus de sa position maxi. Cette position aura la même limite de gain que la position précédente, sauf si l’affilié a été promu à un niveau supérieur.» Ou encore: «Si un affilié n’est pas actif pendant quatre semaines consécutives (comprendre que lui ou ses clients ne passent plus commande, ndlr), tous les points accumulés seront annulés.» A noter que, dans sa grande mansuétude, Vemma prévoit que si un parrain est inactif, le premier parrain admissible, actif en amont, recevra ses bonus ou autres primes. Bref, autant le dire tout de suite, très rares sont les élus qui parviennent réellement à gagner de l’argent. Ainsi, en 2012, quelque 75% des affiliés de la société concédaient n’avoir rien gagné ou moins de 1400 dollars par année, un gain évidemment inférieur à l’investissement, tandis que moins de 1% déclarait un revenu de 100 000 dollars.

Devant la justice

Résultat: aux Etats-Unis, où la société est active depuis 2004, 170 plaintes ont été déposées auprès de la Federal Trade Commission. Outre des leasings gratuits, la firme proposait aux étudiants de financer leur bourse d’études. Et nombreux sont ceux qui ont vite déchanté.

De leur côté, les autorités italiennes ont également porté plainte en mars contre Vemma pour vente pyramidale et pratiques commerciales illicites «ayant concerné des milliers de consommateurs dans le secteur de la vente multiniveau de boissons». La société américaine a ainsi été condamnée à une amende de 100 000 euros. Les autorités autrichiennes ont aussi intenté une démarche judiciaire contre Vemma pour le même chef d’accusation.

Et quid de la Suisse? La Fédération des consommateurs de Suisse alémanique (SKR) est prête, depuis plusieurs mois, à déposer une plainte pénale contre la société Vemma. Mais elle n’est pas encore en mesure de le faire. «Le problème, c’est que nous n’avons pas reçu de dénonciations de la part de personnes ayant été directement lésées par le système, condition sine qua non pour lancer une procédure auprès de l’autorité compétente», explique Josiane Walpen, de la SKR. La Fédération romande des consommateurs (FRC) relève, quant à elle, deux dénonciations via des formulaires en ligne. «Même si nous avons également la compétence de déposer une plainte pénale contre ce type de pratique, pour autant qu’il s’agisse effectivement d’une vente pyramidale au sens de l’article 3 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale, c’est le SECO qui est en charge de dénoncer ce genre de cas devant le ministère public compétent» relève Valérie Muster, juriste à la FRC. «Mais nous sommes très attentifs et très critiques face à ces systèmes de marketing qui sont à la limite de la légalité», renchérit Mathieu Fleury, secrétaire général de la FRC.

Quant au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), qui a très récemment pris acte d’une dénonciation de Marie pour le cas de son fils, il a certes reçu des demandes individuelles concernant la société Vemma, mais se montre prudent par la voix de son avocate, Verena Jezler: «La distinction entre les systèmes légaux de marketing à paliers multiples et les systèmes boule de neige ou pyramidaux prohibés n’est pas toujours simple à faire. Ces derniers se caractérisent par le fait que, pour le preneur, les avantages se situent moins dans la vente d’une marchandise ou d’une prestation de services que dans le recrutement de nouvelles personnes pour participer au système.» Contactée par L’Hebdo pour exprimer sa position, la direction de Vemma vante sa transparence et se défend d’être un système pyramidal en insistant sur le fait que les commissions et les bonus ne sont payés que sur les produits vendus et non sur les personnes recrutées.

Du côté du Valais, où le phénomène a pris corps depuis peu, les autorités, dont la police du commerce, découvrent le cas. Mais elles s’engagent à étudier le dossier de près. «Il faut suivre cette affaire et interdire le procédé s’il est illégal, s’indigne pour sa part le conseiller national Yannick Buttet (PDC/VS). Il y a clairement une volonté en Suisse de renforcer la lutte contre ce type de systèmes.» Une prise de conscience qui pourrait éviter à de nombreux jeunes de sérieuses déconvenues.

* Noms connus de la rédaction.


L’œil dans la canette

221 millions de chiffre d’affaires. Tel est le bilan de Vemma depuis sa création en 2004. Sponsor de l’équipe de NBA des Phoenix Suns, mais aussi représentée par de célèbres coachs en perte de poids extrême, la firme fondée par B. K. Boreyko ne lésine pas sur les investissements pour se présenter comme un leader révolutionnaire dans le secteur de la santé et du bien-être. Mais qu’y a-t-il dans les produits de la marque? Pas toutes les promesses faites, si on en juge par les condamnations du patron de Vemma et d’un couple de revendeurs présentés comme ayant fait fortune grâce à la société, jugés coupables, par les autorités américaines, de publicité mensongère concernant les vertus prétendument thérapeutiques de la marque. Certains produits, comme l’extrait de pépins de raisin, ont été épinglés par la Cour supérieure de Californie pour leur teneur en plomb, substance cancérigène. Quant à l’une des boissons phares de la marque, la Verve! Bold, son contenu est pour le moins explosif: elle contient en effet autant de taurine que du Red Bull, mais 40 grammes de plus de caféine. Sont également ajoutés du D-ribose et de l’inositol, le premier étant censé augmenter l’endurance et la force musculaire, mais à déconseiller en cas de diabète car faisant chuter le taux de sucre dans le sang, et le second étant notamment utilisé dans des cas de dépression ou de troubles anxieux, mais pouvant créer des nausées et des maux de tête. Personnes sensibles ou enceintes s’abstenir.

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