Interview. Ralph Eichler, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, sonne l’alerte contre l’initiative Ecopop et suggère de subventionner le logement.
Propos recueillis par Joël Widmer et Florian Imbach
Ralph Eichler, combien d’habitants la Suisse peut-elle abriter?
Dix à douze millions de personnes y seraient à l’aise. Si, dans la seule ville de Zurich, on surélevait tous les immeubles de quelques étages, on ferait de la place pour beaucoup de gens qui ne devraient plus penduler.
L’initiative Ecopop entend limiter l’immigration à environ 16 000 personnes par an.
Ce serait dévastateur, car les accords bilatéraux avec l’UE seraient annulés. Nous sommes un pays très compétitif grâce à son ouverture. Il y a cent soixante ans, Alfred Escher a fondé une école polytechnique, Credit Suisse et Swiss Re. Pour cela, il avait besoin de gens venus de l’étranger. Ce ne sont pas des Suisses qui ont fondé ABB ni Nestlé. Nous avons toujours gagné en compétitivité, et donc en qualité de vie, grâce à l’immigration. Nos ancêtres ont été clairvoyants.
Mais, en comparaison européenne, l’immigration en Suisse est très élevée. Avons-nous besoin d’autant?
Si nous entendons continuer d’avoir autant de succès, alors nous avons besoin de cette immigration. Sans quoi, il faudra en rabattre.
Quelles répercussions un oui à Ecopop aurait-il sur les EPF?
Nous serions exclus de la concurrence européenne. Nous ne pourrions plus recruter les meilleurs et nous formerions moins d’ingénieurs pour notre économie. Pour les études de master, nous joignons à nos excellents étudiants suisses les meilleurs cerveaux étrangers. Et, après les études, ils trouvent tous un emploi en Suisse. Tous. Alors, qu’est-ce qui vaut mieux? Faire venir en Suisse de jeunes talents de l’étranger et les «suissiser» à l’EPFZ ou les entreprises doivent-elles se trouver des étrangers plus âgés qui s’intègrent moins bien?
Du coup, vous seriez un peu moins international. Serait-ce tellement mal?
Ce n’est pas bon si le FC Bâle ne peut plus jouer qu’en Super League et plus en Champions League. Nous devons être attendus dans la compétition. Il n’y a pas que le financement de la recherche de l’UE qui serait perdu. Le pire, c’est l’exclusion des programmes de l’UE dans lesquels nos chercheurs doivent faire leurs preuves.
Mais l’EPFZ était une haute école de renom bien avant les accords bilatéraux, y compris avec des contingents d’étrangers.
Oui, mais avec Ecopop ce ne sera plus possible, parce que le contingent sera beaucoup trop congru. La Suisse réussit trop bien par rapport à sa taille. Je vous le garantis: dix ans après l’acceptation d’Ecopop, l’EPFZ n’existera plus dans sa forme actuelle. Elle sera devenue une université de province.
N’avez-vous donc pas de compréhension pour les préoccupations de l’initiative Ecopop?
Je comprends l’idée des initiants d’Ecopop. Réduire la croissance de la population au niveau de la planète est un objectif valable. Mais les mesures proposées sont fausses. Nous devons permettre aux habitants des pays les plus pauvres l’accès à la formation. Les deux EPF placent gratuitement sur l’internet des cours en anglais et en français. Tous ceux qui n’ont pas d’argent pour étudier et acheter des manuels de cours peuvent participer. La formation est autrement plus importante que la distribution de préservatifs.
Vous vous exprimez activement contre Ecopop. Mais vous n’avez rien dit à propos de l’initiative sur l’immigration de masse. Pourquoi?
Cette fois, nous ne voulons pas que cela se produise. Nous pensions que l’initiative sur l’immigration de masse serait rejetée et nous nous sommes trompés. Après la votation, on a vu que cela concernait les hautes écoles bien plus que d’autres secteurs. Si Ecopop devait aussi être acceptée, nous aurions échoué. C’est pourquoi nous voulons désormais nous engager beaucoup plus activement.
Pour vous, les contingents constituent fondamentalement un problème?
Il ne doit pas y avoir de contingents aussi rigides qu’avec Ecopop. Avec l’initiative sur l’immigration massive, il est possible d’introduire des contingents plus élevés. Michael Ambühl, l’ancien secrétaire d’Etat et actuel professeur à l’EPFZ, a proposé une nouvelle formule et l’idée d’une clause de sauvegarde. Je trouve cela bien.
Ce ne serait pas constitutionnel.
Ce serait un compromis que peut-être même l’UE accepterait. Je n’ai pas perdu l’espoir que nous trouvions une bonne solution. Mais avec Ecopop, il ne faut même pas songer à négocier.
Etes-vous partisan d’une adhésion à l’UE ?
Cela n’a rien à voir dans ce débat. Nous sommes dépendants de notre coopération avec l’UE et nous vivons très bien avec les accords bilatéraux.
L’EPFZ est une haute école qui aligne les cerveaux. Dites-nous comment nous pouvons maîtriser l’accroissement de la population en Suisse.
Nous seuls sommes responsables de notre malaise, pas les étrangers. La mobilité a augmenté bien davantage que l’immigration. Nous habitons à la campagne et travaillons ailleurs. C’est un problème que nous avons causé nous-mêmes. C’est ici qu’il faut agir.
Et comment devons-nous agir?
Nous pourrions par exemple subventionner le logement plutôt que les transports. Ainsi, tout un chacun pourrait vivre là où il travaille. Les transports seraient plus chers, autrement dit, ils vaudraient le prix qu’ils coûtent vraiment.
© SonntagsBlick Traduction Gian Pozzy
Ralph Eichler
Né en 1947 dans le Surrey (GB), le professeur a fait des études de physique à l’EPFZ, avant de poursuivre des études postdoctorales à Stanford (USA).
En 2001, le Conseil fédéral le nomme directeur de l’Institut Paul Scherrer.
Puis, en 2007, le gouvernement le place à la présidence de l’EPFZ.