A chacun sa fête nationale
Le 1er août 2013? Un jour de congé, des feux d’artifice, des lampions rouges à croix blanche et des cervelas grillés dans la fournaise de l’été. Mais pas que. Pour L’Hebdo, c’était surtout l’occasion de méditer sur les valeurs et les fondements du pays. La rédaction a donc proposé à sa communauté de blogueurs de donner son éclairage sur la signification de l’événement. Pas moins de huit d’entre eux ont répondu à l’appel, distillant des réflexions très personnelles sur leur rapport à la nation.
C’est sur le sens du collectif, ancré depuis si longtemps dans les gènes helvétiques, que Vincent Pellissier s’est interrogé. Dépité par l’état dans lequel les jeunes laissent chaque fin de semaine le parc de la Planta, à Sion, il a interpellé sa fille de 16 ans, lui faisant remarquer que sa génération mettait un sacré foutoir, comparé à la génération «développement durable» qu’il représente. «En souriant et en se moquant de mon sauver les baleines, sauver les baleines, elle m’a rétorqué que concernant le développement durable, ben il y avait encore du boulot, et que leur grand enjeu, à eux, c’était le vivre ensemble. En cette journée de fête nationale, je me suis dit alors que nous pouvions contempler ce qui avait été fait par le passé confiants car notre jeunesse avait bien des cartes en main pour réussir l’avenir de ce pays.»
Dans le pays imaginaire de Johan Rochel, le vivre ensemble fonctionne déjà à merveille; ce qui pose problème, ce ne sont pas les relations intérieures, mais les attaques extérieures. Par une belle journée d’été où le pays est justement à la fête, le président parcourt ses terres et va à la rencontre de ses concitoyens. Sur le podium installé au centre de la place d’un village, il s’adresse à la foule. «Tout au long de sa carrière, le président n’a guère aimé les autres pays. Il a toujours rêvé d’un petit pays qu’on laisserait tranquille, le laissant vaquer à ses affaires. Le président n’a jamais aimé que le petit pays s’engage avec d’autres Etats et qu’il promette de respecter ceci ou cela. Ces accords empêchent le petit pays d’agir à sa guise, il ne peut plus bouger, il étouffe. Un petit Vésuve s’allume près du podium, le président paraît troublé. Il remarque qu’il a oublié d’expliquer que ce sont des pays comme le sien qui profitent le plus de ces accords internationaux.»
Ancien directeur du Festival international du film de Locarno, Frédéric Maire a, comme le président fictif de Johan Rochel, eu l’occasion de prononcer le discours officiel de la fête nationale. C’était sur la Piazza Grande, face à un public nettement plus clairsemé que lors du festival. Une déchirure pour celui qui, enfant, s’émerveillait devant le scintillement des versants valaisans en rentrant de vacances à la tombée de la nuit. «J’étais triste. Parce que les feux et feux d’artifice étaient interdits pour cause de sécheresse, raconte le président de la Cinémathèque suisse dans une veine intimiste. La fête perdait de cette dimension païenne qui la rend si populaire, à la fois simple et directe. Je crois que j’aime bien le 1er août. Parce que cette fête a un je-ne-sais-quoi de modeste et de chaotique qui nous ressemble bien, à nous les Suisses. Elle est tellement fédérale (il y a des feux partout, des pétards partout) et tellement retenue. C’est bien nous, ça. On fait des beaux feux. Mais il y a toujours un pompier qui reste à côté. On ne sait jamais.»
Pas de chance, si Patrick Morier-Genoud déteste le 1er Août, c’est exactement à cause des harangues qui l’accompagnent: «J’aime les pétards, les feux d’artifice, les feux tout court, les saucisses, les lampions; mais je n’aime pas les discours officiels. Ceux et celles qui les prononcent me donnent toujours l’impression de s’adresser d’abord à eux-mêmes. De ne surtout pas s’adresser à moi. Sans doute sont-ils trop angoissés pour oser aborder les vraies questions. Comme par exemple celle de la sexualité. L’an prochain, promis, je ferai un discours du premier rut. Ce sera beaucoup mieux.» A chacun sa fête nationale.
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Suisse-UE: Darbellay pète les plombs!
En rejetant les «juges étrangers», le président du PDC contribue à creuser la tombe de la voie bilatérale.
René Jost
Extrait du discours tenu le 1er août 2013 à Saas-Balen, en Haut-Valais, par le conseiller national et président du PDC Christophe Darbellay: «Dans ce contexte, c’est notre ministre des Affaires étrangères qui me fait le plus de soucis. Au lieu de fortement et clairement défendre nos intérêts, il est devenu le ministre de la capitulation. Dernier acte dans ce théâtre du repli: l’affirmation donnée à l’UE de notre volonté de plier devant des juges étrangers. Juges étrangers: c’est cela qui a déclenché la révolution suisse il y a plus de sept cents ans! C’est pour cette raison que les Suisses se sont réunis au Grütli pour sceller le pacte contre les Habsbourg. Et de nos jours, c’est précisément notre ministre des Affaires étrangères qui fait de telles concessions à l’UE. (…)
Mais j’en suis certain: notre peuple n’acceptera pas cela. (…)».
Cette déclaration est tout simplement abominable. Pire, c’est une trahison envers nos intérêts économiques et culturels fondamentaux. (…) Ce n’est pas en rejetant les «juges étrangers» que Darbellay arrivera à allumer la moindre petite loupiote en cas de coup dur. (…) Dans le contexte des votations populaires à venir, vraisemblablement en 2014, sur la libre circulation des personnes, sa déclaration contribue à creuser la tombe de la voie bilatérale. Lui et tant d’autres dans ce pays auraient meilleur temps de réfléchir à ce qui risque, par exemple, d’arriver à la subvention d’un milliard d’euros sur dix ans accordée par l’Union européenne à l’EPFL pour la recherche sur le cerveau, pour le cas où l’accord bilatéral sur la coopération scientifique et technologique passerait à la trappe en même temps que les six autres accords des bilatérales I.
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La Suisse, parfaite et mélancolique
Le 1er août 2013 a un parfum d’aigre-doux: la Suisse est riche mais pauvre en amis.
François Cherix
En apparence, tout est parfait. La Suisse est riche, plus riche que ses voisins. La vie y est agréable, attirant de nouveaux habitants. Ses institutions sont solides, parmi les plus stables de la planète. Si le confort et l’argent sont les indices du bonheur, alors quelle joie d’être Suisse! Mais pourquoi cette réussite génère-t-elle un pays anxieux, nationaliste, xénophobe, impitoyable avec les moins privilégiés? Pourquoi se dit-il en guerre contre ses voisins, l’Union européenne, les Etats-Unis, l’OCDE, le monde entier? Pourquoi la prospérité n’engendre-t-elle pas la sérénité, mais des gémissements pareils aux cris d’Harpagon croyant qu’on lui a dérobé sa cassette?
Petite découverte estivale. Désormais, dans les hôtels italiens, le voyageur suisse doit signer une déclaration certifiant qu’il ne visite pas la péninsule pour démarcher de potentiels fraudeurs fiscaux ou conduire quelque affaire illégale. Voilà qui en dit long sur les conséquences de tant d’années où la Suisse a développé les pratiques que l’on sait. Aujourd’hui, les démocraties ne les acceptent plus; du coup, les voilà déclarées ennemies. Simultanément, nombre d’instances supranationales tentent de réguler la finance; donc, il convient de les freiner ou de s’en tenir à l’écart.
Ce 1er août 2013 a un parfum d’aigre-doux. La Suisse est riche, mais pauvre en amis. Voilà peut-être la raison de ces affirmations narcissiques et belliqueuses. Qui bombe le torse, fier de sa fortune, croyant ne rien devoir à personne, cache en fait sa peur de la solitude, source d’une indicible mélancolie.
Blogs» Economie & Finance» L’économie en clair
Pourquoi l’automobile n’a pu sauver Detroit
Les constructeurs asiatiques ont supplanté les groupes américains aux Etats-Unis.
Pierre Novello
La nouvelle de la faillite de Detroit, symbole de l’industrie automobile américaine et de ses trois grands constructeurs, General Motors, Ford et Chrysler, a de quoi surprendre. En effet, ces géants ont opéré un redressement spectaculaire après avoir eux-mêmes frôlé la faillite en 2009, en bénéficiant du soutien massif de l’Etat fédéral. On pouvait imaginer que le retour aux bénéfices de ces gros employeurs et contribuables aurait de quoi assurer de nouvelles recettes fiscales pour aider la ville à assainir ses finances. En fait, comme l’expliquait récemment Finanz und Wirtschaft (…), ce paradoxe est facile à expliquer.
Tout d’abord, la construction automobile a beaucoup reculé dans la région de Detroit, tandis que les recettes fiscales des trois grands constructeurs américains ont été faibles au cours de ces dernières années. Sans doute est-ce dû aux coûts de la restructuration et aux pertes cumulées des années précédentes. Detroit n’est de fait plus la capitale de l’industrie automobile américaine, même si les trois géants nationaux occupent encore 45% du marché intérieur, contre 80% à la fin des années 70. Les principaux bénéficiaires de ce recul sont les trois constructeurs japonais Toyota, Honda et Nissan, ainsi que le coréen Hyundai/Kia. Or ces entreprises, à l’instar de VW, ne créent pas d’usines dans la région de Detroit, mais plutôt dans les Etats du Sud, comme l’Alabama, le Kentucky, le Mississippi ou le Tennessee. Elles seraient en effet très bien accueillies, tandis que le taux de syndicalisation serait modeste. Si Detroit va mal, le marché automobile américain se porte en revanche si bien qu’il pourrait bientôt renouer avec le niveau des ventes d’avant la crise.