MOTEUR. Jusqu’ici peu convaincues par la voiture électrique, les marques allemandes passent à l’offensive. BMW dévoile son modèle premium, urbain et en carbone: l’i3. Un point de bascule pour la technologie?
«Pendant un siècle, nous avons eu des téléphones avec des lignes fixes. En peu de temps, le smartphone a bouleversé cette technologie. C’est ce qui va se passer avec l’automobile. Elle est restée la même pendant cent ans. Mais la voiture électrique va la changer en profondeur», notait l’autre jour Ian Robertson, membre du directoire de BMW. Le Britannique était sur ses terres, à Londres, où le premier modèle électrique de la marque allemande était dévoilé en même temps qu’à New York et Pékin.
Duplicité
L’événement valait son pesant d’électrolytes. Jusqu’ici, la puissante industrie allemande de l’automobile avait snobé la voiture électrique, laissant les Français ou les Japonais s’agiter en vain pour cette technologie périlleuse. Audi a présenté quelques prototypes d’une hypothétique gamme e-tron, avant de les rebâcher. Mercedes persiste à croire en la voiture hydrogène. Mais les temps changent. Des maires comme Boris Johnson (Londres) ou Michael Bloomberg (New York) veulent des villes sans hydrocarbures. Angela Merkel entrevoit un million de véhicules électriques dans son pays à l’horizon 2020. Si bien que les géants allemands de l’automobile ravalent leur admiration pour le moteur à combustion interne, qu’ils ont tout de même inventé, et commencent à proposer des solutions électriques. Tout en bloquant le durcissement des règles européennes en matière de CO2, par crainte que leurs gros modèles à essence ne soient trop pénalisés.
Force de frappe
Reste que VW se lance, avec prudence, dans la course électrique. Audi, qui a renvoyé son responsable de la recherche, trop sceptique sur les voitures à zéro émission, pourrait rebrancher la prise. Surtout, la fabrique bavaroise de moteurs, en VO la Bayerische Motoren Werke, dite BMW, met pour la première fois sa force de frappe au service de la mobilité silencieuse.
L’arrivée du constructeur de Munich dans le créneau de la voiture à batterie est un événement majeur. Car il se trompe rarement dans ses choix stratégiques. Et il a les moyens de ses ambitions: l’an dernier, le bénéfice du groupe a été de 7,82 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires de 76,85 milliards. On est loin de la situation fragile de Renault, dont l’effort sur sa gamme électrique met en péril le renouvellement de ses voitures traditionnelles. BMW a investi 2 milliards d’euros dans sa nouvelle ligne «i», forte de l’i3 citadine qui sera lancée en novembre prochain, et du coupé sportif hybride i8 prévu l’an prochain. Pour autant, notait Ian Robertson à Londres, la marque rentabilise déjà son investissement. Le savoir-faire acquis dans la production en masse des carrosseries en PRFC (plastique à renfort par fibres de carbone), le matériau léger et résistant utilisé en abondance par l’i3, servira à l’ensemble d’un groupe qui compte également Mini et Rolls-Royce dans son portefeuille de marques.
La méthode
BMW a progressé dès 2007 avec une méthode typiquement allemande dans ce territoire inconnu. Il a électrifié des centaines de Série 1 et de Mini pour les confier à des conducteurs-cobayes dans les grandes villes du monde entier. Des milliers d’automobilistes ont été interrogés sur leurs désirs en matière de mobilité propre en milieu urbain. «Nous sommes arrivés à quelques conclusions intéressantes, relevait à Londres Glenn Schmidt, responsable du comité de pilotage du groupe allemand. Ces clients potentiels ne voulaient pas d’une voiture trop grande, ni trop petite d’ailleurs. Ils avaient envie d’un modèle apaisant qui les coupe d’un environnement jugé stressant, avec un habitacle généreux et agréable. Le rayon d’action autorisé par la batterie n’était pas un souci majeur. En revanche, il y avait l’envie de pouvoir passer sans heurt d’un mode de transport à l’autre.»
BMW s’est efforcé de répondre aux inquiétudes, voire aux reproches qui visent la voiture électrique. Notamment son bilan carbone, pas si favorable lorsque l’électricité utilisée est produite par des usines à gaz ou à charbon. L’entreprise qui produit les fibres de carbone de l’i3, dans l’Etat du Wisconsin aux Etats-Unis, n’est alimentée que par de l’énergie hydraulique. L’usine BMW de Leipzig, où est assemblée l’i3, n’utilise que de l’énergie éolienne, y compris par celles installées sur son toit. Au total de la fabrication de l’i3, affirme BMW, l’économie en électricité par rapport à un modèle conventionnel a été de 50%, et celle en eau de 70%. La quasi-totalité des matériaux utilisés dans l’i3 sont recyclables, y compris ceux qui sont eux-mêmes recyclés, comme le PET, ou végétaux, à l’image de la garniture intérieure des portes en fibres de chanvre.
Services de mobilité
En amont de la voiture elle-même, BMW propose plusieurs services censés rassurer les futurs utilisateurs de l’i3. Via des applications pour smartphone, ou des contrats de mobilité compris par exemple dans un leasing mensuel, il sera possible de repérer une place de parc libre dotée d’une borne de recharge. De changer de moyen de transport en cas d’encombrements en ville, avec repérage d’une place de parc, l’itinéraire pour la station de métro la plus proche et le calcul du temps de parcours. D’obtenir une berline ou un 4x4 en cas de déplacement extra-urbain ou de vacances. D’être dépanné par un service de secours apte à recharger rapidement la batterie. D’acheter ou de louer l’i3 par internet, sans passer par des concessionnaires, lesquels seront d’ailleurs peu nombreux (trois pour la Suisse dans un premier temps, dont un seul en Suisse romande).
Les applications permettront en outre de contrôler à distance l’état de charge de la voiture, de préchauffer celle-ci en hiver, ou de retrouver via le système de navigation l’endroit où elle a été parquée.
BMW présente l’i3 comme le premier véhicule électrique «premium». Ce qui est faux, vu le succès actuel du californien Tesla avec son modèle S, une berline luxueuse qui vaut deux fois le prix de l’i3. Celle-ci sera tout de même vendue 40 000 francs. Sans oublier, à la manière allemande, une quantité de finitions et d’options proposées au tarif fort. Dont un «prolongateur d’autonomie», qui fait grimper le prix de 7000 francs. Il s’agit d’un petit moteur bicylindre, issu des scooters BMW et installé sur l’essieu arrière, qui agit comme un générateur d’électricité si la batterie donne des signes d’anémie. Ainsi équipée, l’i3 double son rayon d’action, passant de 150 km en moyenne à 300 km.
Exercice sémantique
«Concevoir dès le départ une voiture 100% électrique a été un bel exercice sémantique pour la marque», s’amuse Benoît Jacob, le designer de l’i3, un Franc-Comtois formé à l’Art Center College of Design de La Tour-de-Peilz. «Les BMW suggèrent habituellement, avec de longs capots, leur fierté d’avoir de supermoteurs, poursuit Benoît Jacob. Or, le moteur électrique de l’i3 est tout petit et en plus installé à l’arrière. Nous avons pu ainsi raccourcir l’avant de la voiture, dans la limite des zones de déformation en cas de choc. La structure en fibre de carbone est si rigide que nous avons pu nous débarrasser des montants centraux et avoir des portes avant et arrière antagonistes, ce qui facilite l’accès à bord. L’absence de boîte de vitesses a permis de faire l’impasse sur la console centrale et de dégager de l’espace sur le plancher plat. Bref, cela a été pour nous l’occasion de sortir des conventions automobiles.»
Avec ses grandes surfaces vitrées, à rebours de la tendance actuelle, ses boucliers massifs, le noir du capot et du hayon, la BMW i3 propose une silhouette originale qui manque sans doute de légèreté, mais qui, une fois encore, est destinée à rassurer ses occupants. Seuls la calandre caractéristique en double haricot de BMW et le sigle bleu et blanc rappellent à quelle marque on a affaire.
La batterie lithium-ion et le moteur électrique, tous deux fabriqués par la marque, sont logés avec d’autres organes sous le plancher, dans un caisson plat en aluminium. Cette structure permet de rehausser l’habitacle et d’avoir une position haute de conduite, utile en ville. Grâce au carbone et à l’aluminium, la voiture est légère: 1200 kg à peine, soit 400 kg de moins qu’une Nissan Leaf électrique, par exemple.
La commercialisation en fin d’année de l’i3 est un pari d’envergure pour BMW. Ian Robertson concède qu’une voiture électrique idéale, susceptible d’être vendue en masse, ne devrait coûter que 10% de plus qu’un modèle conventionnel, et avoir une autonomie de 300 km. Ce sera le cas dans quelques années, assure-t-il, le temps que la technologie des batteries progresse davantage que lors des cent dernières années. Le siècle, la mesure de toute chose dans l’automobile…