Eclairage. La Fondation Jean Monnet a remis des médailles d’or aux trois plus hauts dirigeants de l’UE, Herman Van Rompuy, Martin Schulz et José Manuel Barroso, pour services rendus. Mais il n’y avait pas de conseiller fédéral, pas de secrétaire d’Etat. Tout un symbole.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Le 14 novembre 2008, la Fondation Jean Monnet avait décerné sa médaille d’or à Jean-Claude Juncker, alors premier ministre du Luxembourg, et président d’un Eurogroupe qui allait au-devant de la pire crise de son histoire. Le président de la Confédération, Pascal Couchepin, s’était chargé lui-même de faire son éloge. Il avait certes reçu un brouillon de ses collaborateurs, mais avait complètement refait ce discours destiné à un «ami» incarnant le soft power de l’UE, «un chef-d’œuvre d’intelligence, de conviction et de patience».
Six ans plus tard, le 17 octobre 2014, devant une salle comble, la même fondation décerne à Lausanne la même distinction aux trois principaux dirigeants actuels à Bruxelles, soit José Manuel Barroso, président de la Commission, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, et Martin Schulz, président du Parlement. Un trio rarement réuni en dehors des séances internes à l’UE. C’est dire la rareté de l’occasion. Mais où sont les Suisses pour leur rendre hommage, entretenir le contact, partager leur émotion réelle d’être honorés par une fondation qui les relie à un des pères fondateurs de l’Europe? Le président, Didier Burkhalter, est à Milan pour tenter de pacifier l’Ukraine, tandis que le secrétaire d’Etat, Yves Rossier, est au fond de son lit avec 39 degrés de fièvre. C’est donc Henri Gétaz, directeur des Affaires européennes, qui s’est fendu d’un discours à vrai dire bien fade. Seuls les régionaux de l’étape, Pierre-Yves Maillard, président du Conseil d’Etat vaudois, Daniel Brélaz, syndic de Lausanne, et Dominique Arlettaz, recteur de l’université, ont sauvé l’honneur en délivrant des messages empathiques.
En ce vendredi soir pourtant radieux côté météo, rarement la Suisse et l’Union européenne ont paru si éloignées l’une de l’autre. La votation du 9 février dernier sur l’initiative contre l’immigration de masse a laissé des traces dans les esprits. Celle-ci remet en cause la voie bilatérale qui a permis à l’économie de créer quelque 500 000 emplois en dix ans. Alors que Pascal Couchepin considérait encore les Européens comme des amis, les eurosceptiques de ce pays ne voient plus en eux que «l’ennemi» qui ne consent pas à renégocier l’accord sur la libre circulation des personnes.
Test de solidarité
Certes, tout n’est pas parfait du côté de Bruxelles. Loin de là. Mais, au terme de ces cinq dernières années, le bilan n’est pas aussi noir que les Suisses se plaisent à le décrire avec condescendance. Malgré une crise d’une ampleur «inouïe», la pire depuis 1929, l’UE a préservé l’essentiel: son unité. «Face au risque de la sortie d’un membre de l’eurozone, nous avons passé le premier vrai test de solidarité européenne», a souligné le président sortant du Conseil européen, Herman Van Rompuy. L’UE en a tiré quelques leçons, se dotant de nouveaux instruments devant solidifier l’édifice, comme le mécanisme européen de stabilité ou le renforcement de la discipline budgétaire. «Des décisions prises au bord de l’abîme, le dos au mur, le couteau sous la gorge», a-t-il imagé.
L’UE a aussi reçu le prix Nobel de la paix, une marque de reconnaissance de son œuvre en faveur de la pacification et de la réunification du continent. Elle a encore lancé le programme le plus ambitieux de lutte contre le réchauffement climatique. «Ses valeurs continuent d’attirer de nouveaux candidats, dans les Balkans comme en Ukraine», a rappelé José Manuel Barroso.
Autocritique
Côté autocritique, les trois dirigeants européens ne se sont pas voilé la face. «Le principal problème de l’UE, celui du chômage, n’est pas résolu», a reconnu Martin Schulz. Alors que dans certains pays près de 50% des jeunes cherchent désespérément un emploi, le socialiste allemand s’en est alarmé: «Nous risquons de perdre toute une génération. Nous devons gagner cette lutte contre le chômage. C’est la crédibilité, et même la survie de l’UE qui est ici en jeu!»
Tout au long de la cérémonie a plané cet étrange paradoxe souligné par José Manuel Barroso. La Suisse n’est pas membre de l’Union européenne, alors qu’elle est finalement un exemple de fédéralisme dont Bruxelles s’inspire plus souvent que les Confédérés ne l’imaginent. «A maintes reprises, j’ai combattu férocement la Commission Barroso. Néanmoins, nous avons su aussi nous entendre au-delà des divisions dans les moments critiques», a déclaré Martin Schulz. Comme la Suisse, l’UE avance à coups de compromis. C’est sûrement là que réside aujourd’hui le seul espoir de sauver la voie bilatérale.