La pénurie qui sévit dans le canton pourrait se résorber d’ici à 2016 ou 2017 déjà. Les promoteurs sont appelés à la vigilance afin d’éviter le trop-plein de logements.
Patricia Michaud
Avant même d’avoir finalisé son projet de construction de 35 appartements en PPE, ce promoteur a déjà reçu les dossiers de candidature d’une dizaine de propriétaires potentiels vivant actuellement sur l’arc lémanique. Cet enthousiasme pour des biens situés dans un paisible village de la Broye vaudoise aurait été inconcevable il y a une quinzaine d’années. Mais, avec la pénurie de logements qui sévit dans le canton, les zones auparavant boudées deviennent beaucoup plus attractives.
Même séduit par l’idée de réaliser une affaire juteuse, le promoteur ne peut malgré tout se défaire d’un sentiment de malaise. Car s’il est encore extrêmement loin du seuil de 1,5% définissant un marché du logement équilibré, le taux de vacance cantonal actuel de 0,7% n’en demeure pas moins le plus élevé depuis 2008. Et la tendance haussière devrait se poursuivre en raison du nombre de projets immobiliers en cours de réalisation, prédit le promoteur. Dès lors, ses investissements dans les PPE broyardes ne présentent-ils pas un risque à moyen terme?
Ces craintes, ce n’est pas l’étude publiée il y a quelques mois par iConsulting qui va les apaiser. Selon ses auteurs, le taux de logements vacants pourrait remonter à 1,5% d’ici à 2016 ou 2017 déjà dans le canton. Au-delà de ce rééquilibrage, une situation de suroffre pourrait même se présenter en cas de mauvaise gestion du marché par ses acteurs. Les spécialistes du bureau lausannois comparent cette dynamique à celle des années 90, où le taux de vacance atteignait 2,7% à l’échelle cantonale et même 4% dans certaines régions.
Pour établir ses prévisions, i Consulting a calculé la réserve de terrains théoriquement disponibles à la construction. En se fondant sur les plans d’affectation existants, sur les surfaces liées au Plan directeur cantonal 2007 et sur les grandes démarches de planification en cours, le bureau estime que le potentiel d’accueil se chiffre à 200 000 personnes pour la période 2012-2014. Soit deux fois les besoins évalués par Statistique Vaud. Selon leur scénario, le canton pourrait enregistrer une hausse d’environ 100 000 habitants sur la même période.
Les auteurs de l’étude admettent que la taille et le rythme des ajustements du marché immobilier vaudois pourraient être influencés par plusieurs facteurs, tels que les effets potentiels de l’initiative du 9 février contre l’immigration de masse ou ceux de la révision de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT). Reste que «si on se retrouve dans un cas de figure où le taux de vacance moyen avoisine les 2%, certains districts du canton pourraient être dans la mistoufle», commente Yvan Schmidt, partenaire chez i Consulting.
Redistribution des cartes
L’expert rappelle que ces dernières années, l’assèchement du marché du logement dans l’arc lémanique a poussé de nombreux Vaudois à aller chercher un nid dans des régions auparavant moins populaires, telles que le Chablais ou la Broye. Dans ces zones, les nouvelles constructions ont alors poussé comme des champignons. De même, des permis de construire ont été attribués «dans des environnements de plus en plus complexes», souligne Yvan Schmidt. Il cite l’exemple de plusieurs parcelles en chantier en amont de l’autoroute A9, «qui sont soumises à de fortes nuisances sonores».
En cas de détente du marché, de tassement, voire de baisse des prix des logements dans les régions les plus convoitées du canton, «on connaîtra probablement un mouvement inverse à celui précédemment observé», poursuit le partenaire d’i Consulting. Un phénomène qui verrait des Vaudois revenir notamment sur les rives du Léman. Ce reflux pourrait concerner non seulement les Vaudois partis s’installer dans d’autres régions du canton, mais aussi ceux ayant décidé de traverser la frontière fribourgeoise. Lors de la publication de l’étude, les autorités et les milieux immobiliers du canton voisin n’ont d’ailleurs pas exclu un fléchissement de la croissance démographique, particulièrement dans les districts de la Veveyse, de la Gruyère, de la Glâne et de la Broye.
Avertissement
Dans ce contexte, il est essentiel que les acteurs du marché «soient particulièrement attentifs à ce qu’ils construisent» afin de ne pas se retrouver avec des logements sur les bras, commente Yvan Schmidt. Cet avertissement, qui relève du bon sens pour les «promoteurs les plus expérimentés», n’est pas pour autant superflu. «Parmi les petits investisseurs, il y en a qui ne se rendent vraiment pas compte que le marché vaudois vit un changement de paradigme. Ils viennent me consulter, tout étonnés de ne plus arriver à trouver d’acheteurs potentiels pour certains biens.» «Il est vrai que certains promoteurs parmi les plus opportunistes pourraient se retrouver en difficulté», précise Catherine Michel, présidente la section vaudoise de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI): «En ce qui concerne les vrais professionnels de la branche, la prudence est de mise depuis un certain temps déjà.»
Toujours selon la présidente de l’USPI, une des questions les plus importantes que doit se poser un promoteur avant de lancer un nouveau projet est celle de l’emplacement. Yvan Schmidt abonde dans son sens: «Si j’envisage de construire des logements à Morges, je peux y aller quasiment les yeux fermés. Par contre, si mon terrain se trouve à Lucens, je vais devoir prendre en compte d’autres paramètres, tels que l’offre de la concurrence et les prix.»
Plus pragmatique, Anthony Collé, directeur du groupe immobilier MK, estime que le marché vaudois amorce une phase de «correction en douceur», qui n’implique pas de mesures de prévention supplémentaires. «Intuitifs par nature, les agents immobiliers rectifieront le tir spontanément.»
Le spécialiste rappelle que les banques sont devenues plus rigoureuses et prudentes en matière de prêts. Ce qui oblige les promoteurs à se concentrer sur des projets optimisés à une valeur foncière moins importante que ces cinq dernières années.
Cette retenue n’est pas pour déplaire à Michel Schmidt, secrétaire général de l’Assprop Vaud, une association regroupant des propriétaires immobiliers: «En Suisse, il règne une politique généralisée visant à répondre le plus vite possible au boom démographique via la construction. Notre association se bat au contraire pour que chaque projet fasse l’objet d’une concertation préalable impliquant l’ensemble des parties intéressées, afin de garantir une qualité de vie durable et un bâti qui respecte l’écologie, la mixité sociale et la responsabilité individuelle.»
Logements abordables
Du côté de l’Etat de Vaud, on craint au contraire que les résultats de l’étude d’i Consulting poussent les acteurs du marché immobilier à lever exagérément le pied, se désintéressant par la même occasion d’une thématique brûlante: les logements à loyer abordable. «Si la construction connaît un essor dans le canton, de nombreux chantiers concernent cependant des objets à prix élevé alors que l’on est encore loin du compte pour les appartements locatifs destinés à la classe moyenne», relève Jacques Biermann, chef de la Division cantonale du logement.
Dès lors, les mesures présentées par le Conseil d’Etat en guise de contre-projet à l’initiative de l’Asloca «Stop à la pénurie de logements» ont encore «tout leur sens», insiste le responsable. Les nouvelles règles – sur lesquelles les citoyens cantonaux devraient se prononcer au printemps 2015 – prévoient la possibilité pour les communes d’inciter les promoteurs à construire des logements d’utilité publique (LUP). Pour ce faire, elles disposeront d’outils tels que l’introduction de quotas dans les plans d’affectation ou le recours à des bonus de surface.
Hausse bienvenue du nombre de logements disponibles
Le taux de vacance a atteint son record depuis 2008 dans le canton. Sans surprise, la situation demeure toujours plus tendue au bord du Léman que dans les autres régions.
On est encore loin du 1,5% correspondant à un marché immobilier équilibré. Reste que le taux vaudois de logements vacants a légèrement augmenté entre la mi-2013 et la mi-2014, passant de 0,6% à 0,7%, soit sa valeur la plus élevée depuis 2008. Au 1er juin dernier, le canton comptait ainsi 2600 logements disponibles, dont 1530 proposés à la location, selon Statistique Vaud.
La hausse du taux de vacance dans le segment locatif – qui passe lui aussi de 0,6% à 0,7% – marque «le changement récent le plus notable sur le marché vaudois», relève Yvan Schmidt, partenaire chez i Consulting. Corollaire de la timide détente, «le temps de mise en location des logements s’est légèrement rallongé. Lorsqu’une régie publie une annonce, il n’y a plus forcément dix personnes qui appellent dans l’heure qui suit…»
Sur le marché de la PPE et des maisons individuelles, l’accalmie est encore plus forte. Signes révélateurs: «Le processus aboutissant à la conclusion d’un contrat de vente prend nettement plus de temps qu’auparavant», observe Yvan Schmidt. Et une stabilisation, voire une baisse des prix, a été constatée sur l’ensemble de l’arc lémanique. Charles Spierer, président de CGi Immobilier, relève cependant un renchérissement hors de cette zone, notamment dans le Gros-de-Vaud. «Il y a toujours deux marchés immobiliers vaudois: celui du bord du lac et celui des autres régions. Mais l’écart entre les deux commence à se rétrécir.»
Les taux de vacance – vente et location confondues – mettent eux aussi le doigt sur de grandes différences entre les districts du canton. Alors qu’une stagnation à 0,6% est enregistrée dans le Jura-Nord vaudois, le district de Lausanne accuse une baisse à 0,2% (contre 0,3% l’an dernier). A l’autre bout de l’échelle, le district d’Aigle voit son taux dépasser la fameuse barre du 1,5%, pour atteindre 1,8%. Autant de disparités que pourraient atténuer – partiellement – une série de grands projets en cours de planification.
On peut notamment citer les quelque 600 logements prévus sur un vaste terrain agricole déclassé dans la zone de la Petite-Prairie, à Nyon. Du côté de Chavannes-près-Renens, le quartier de Dorigny devrait accueillir près de 1700 habitants, alors que le projet de l’Orée, imaginé sur le site d’une ancienne briqueterie à Crissier, comprendra environ 350 logements. C’est bien sûr sans compter sur les milliers de logements qui seront mis à disposition via les deux écoquartiers inscrits dans le programme géant Métamorphose, en pleine capitale cantonale.
Sommaire :
Intro
Vaud, le dynamisme de la construction menace le marché d’une suroffre
Genève, le canton ne parvient pas encore à résorber sa pénurie
Valais, une baisse des prix s’amorce, même dans les stations les plus prisées
Neuchâtel, es autorités investissent dans les logements d’utilité publique
Fribourg, un canton bouleversé par les nouvelles contraintes sur les zones à bâtir