Interview. Le guitariste des Rolling Stones, 70 ans, évoque sa vie de grand-père, la tournée mondiale du groupe, son autobiographie et le livre pour enfants qu’il vient d’écrire, «Gus & moi».
Propos recueillis par Thomas Hüetlin
Midi à New York. Keith Richards, 70 ans, est assis dans le bureau de son manager, Jane Rose, une femme qui l’a sorti de la drogue il y a trente-six ans. Ces deux dernières années, les Stones se sont produits en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. La tournée mondiale s’achève cet automne en Australie et en Nouvelle-Zélande. Voilà cinquante-deux ans que le groupe existe et qu’il empoche désormais 5 millions d’euros en moyenne par concert.
Le monde vous connaît comme une rock star désinhibée face aux excès en tout genre. Et voilà que vous écrivez un livre pour enfants qui souligne la valeur de la famille et le rôle des grands-parents. Combien de rejetons avez-vous désormais?
Quatre enfants et cinq petits-enfants. Je m’intéresse aux enfants depuis les années 70, quand sont nés ma fille Angela et mon fils Marlon. Même tout petits, nous les avons emmenés en tournée. C’est une vie bizarre mais pas forcément dommageable. Ils ont adoré ça.
Votre style de vie n’était-il pas, disons, un peu extrême pour vos enfants?
Je veillais normalement à ce que les enfants ne soient pas concernés par tout ce que le show-business comporte. Il faut une certaine sévérité.
Vous semblez apprécier votre vie de grand-père. Quand vous êtes-vous aperçu que cela pouvait vous plaire?
Je devais avoir 4 ans quand ma mère m’a emmené chez mon grand-père Gus. Il lui a dit: «Va chercher mes chaussures.» J’ai pensé: «Waouh, voilà quelqu’un qui donne des ordres à ma mère, alors que j’ai toujours cru que personne n’osait le faire. Finalement, cette histoire de grand-père est bien mieux que ce que je croyais.»
Et maintenant vous avez écrit un livre pour enfants à propos de votre grand-père Gus. Comment cela se fait-il?
Quand les gens de ma maison d’édition me l’ont demandé il y a quelques années, je leur ai dit: «Vous devez être cinglés!» Mais après la naissance d’un cinquième bébé, je me suis mis à réfléchir sérieusement à cette histoire de grand-père et j’ai compris combien Gus avait été important dans ma vie. Il me montrait sa guitare, mais la posait sur le piano pour que je ne puisse pas l’atteindre. Je pouvais regarder, pas toucher. Un jour, il me l’a tendue en disant: «Tu la regardes tout le temps, pourquoi n’essaies-tu pas de jouer?» Gus a été le début. Pour plein de gens, la famille, c’est maman et papa. Ils disent aux enfants ce qu’ils n’ont pas le droit de faire. Les grands-parents n’ont pas ce problème: ils peuvent être à l’origine des belles choses de la vie et ont le droit de commettre des bêtises.
Votre fille Theodora a illustré le livre. D’où tient-elle ce talent?
Elle n’a pas étudié les beaux-arts, mais elle a un bon coup de crayon. Je me suis dit que si déjà nous concevions un tel livre, autant le faire en famille.
Quel genre d’homme était Gus?
Gus a eu sept filles, plus son épouse, soit huit femmes chez lui. Je crois qu’il était assez content d’avoir, en ma personne, un allié mâle dans sa maison. Il était un musicien magnifique et avait un cœur énorme. Avec son chien, Mr. Thompson Wooft, nous nous baladions dans Londres, parfois à journée faite.
Dans votre livre, on ne vous voit jamais entrer dans un pub avec Gus.
Je n’ai jamais vu Gus boire. Ni fumer. On dit que pendant la Première Guerre mondiale il aurait inhalé des gaz de combat. Gus était un pâtissier exceptionnel et il aimait bien jouer au chef, même à la maison. Mais quand il fallait décider de choses importantes, c’est grand-maman Emma qui prenait les commandes.
Comment s’appelait le premier morceau que Gus vous a enseigné à la guitare?
C’était Malagueña. Gus me disait que si je savais jouer Malagueña, je saurais tout jouer.
Vous n’avez pas eu le droit de conserver sa guitare. Votre mère Doris vous en a donc acheté une, de la marque Rosetti.
Elle valait 10 livres, mais nous n’avons pu la payer que par traites. J’ai appris les bases sur la Rosetti avant de m’offrir ma première guitare électrique. Pour tout guitariste, c’est mieux de commencer avec une acoustique.
Dans la tournée actuelle, 14 on Fire, Mick Jagger joue parfois de l’harmonica et, quand il le fait, cela paraît vous remplir de bonheur.
Mick est probablement le meilleur joueur d’harmonica de tous les temps. Du genre Walter Jacobs ou Junior Wells. Rien à voir avec sa manière de chanter. Je lui dis toujours: «Mick, tu devrais chanter plus souvent comme tu joues de l’harmonica.»
Avec Mick Jagger, vous avez écrit plus de 200 chansons mais, ces vingt dernières années, on n’a pas vu grand-chose. N’est-il pas temps de créer quelques nouvelles mélodies?
Ça ne se passe pas comme ça. Les chansons viennent de la vraie vie. On écoute ce que les gens disent dans la rue et on sent: «Hé, il y a une chanson cachée là-dedans.»
C’est bien joli, mais vous devrez vous mettre au boulot avec Mick si vous voulez avoir quelques nouvelles chansons.
Nous avons prévu de le faire. Mais pendant une tournée mondiale, comme maintenant, c’est difficile. Récemment, en Europe, nous avons eu quelques idées. Je ne sais pas quand nous aurons le temps d’aller en studio, mais nous y travaillerons.
A part le guitariste Ronnie Wood, vous avez tous au moins 70 ans. A cet âge-là, n’est-il pas pénible de partir en tournée mondiale et de jouer deux heures par soir?
On a encore assez de carburant dans le réservoir. Quant à savoir si, à notre âge, il est encore convenable de faire du rock, je n’en sais rien. Notre griffe est imprévisible. Mick Taylor, notre guitariste des années 70, est souvent de retour parmi nous. A Ronnie Wood et à moi, cela nous donne plus de marge de manœuvre.
Avec des prix jusqu’à 350 euros par billet, les concerts des Stones sont extrêmement chers. Pourtant vous êtes riches comme Crésus. Cette voracité est-elle bien nécessaire?
Ce n’est pas moi qui décide. Quand nous prévoyons une tournée, les promoteurs présentent leurs idées et je me contente de demander: «C’est tout vendu?» Si c’est le cas, bon, il y a manifestement assez de gens prêts à payer de tels montants. Nous en valons d’ailleurs la peine: c’est un show fantastique.
Que faites-vous de tout cet argent, à part vous acheter des guitares?
J’ai une maison à Parrot Cay, sur les îles Turks et Caicos, et une dans le Connecticut, un appartement à Paris et un à New York. A Parrot Cay, l’eau est si calme et peu profonde que seul un idiot pourrait s’y noyer. L’idéal pour les petits-enfants. Quand on n’a rien de spécial à faire, il n’est pas désagréable de dire: on crève de froid ici, allons donc plutôt dans les Caraïbes. C’est l’idée que je me fais du luxe.
Depuis des années, les gens rigolent des Stones parce qu’ils montent sur toutes les scènes de la planète avec leurs tronches de grands-pères. Mais voilà que «Vanity Fair» vous a classé parmi les personnes les mieux habillées du monde, avec Charlize Theron, Justin Timberlake et la duchesse de Cambridge. C’est une satisfaction?
Pas du tout. Probable qu’ils m’ont simplement surpris parmi les frusques de ma femme.
© Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy
VIDEO: Teaser de la tournée des Rolling Stones 2014: