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Les convertis à l’Islam: passions à risques

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Jeudi, 8 Août, 2013 - 05:59

BASCULEMENT. Celles et ceux qui, en Occident, se convertissent à la religion du prophète Mahomet embrassent généralement aussi des «combats», dont certains peuvent conduire à des extrémités. Enquête en France.

Le 25 mai à Paris-la Défense, un soldat en patrouille Vigipirate était blessé à coups de cutter à la gorge. Trois jours plus tôt à Woolwish, dans le sud-est de Londres, un militaire britannique mourait en pleine rue, saigné au hachoir. Le 19 septembre de l’an dernier, à Sarcelles, en banlieue parisienne, une charge de faible puissance avait explosé dans un commerce juif, sans faire de victimes. Alexandre, Michael, Jérémie, respectivement les auteurs ou coauteurs de ces actes criminels, sont tous des convertis à l’islam, blancs, originaires du Nigeria ou Antillais.

L’islam, en France comme ailleurs en Occident, a un problème avec ses convertis. Encore faudrait-il que les musulmans «de souche» le reconnaissent, ce qui n’est pas une mince affaire: celui qui embrasse la religion de Mahomet ne saurait être mauvais. Tous les convertis sont-ils pour autant des candidats au «pétage de plombs»? Non, bien sûr, beaucoup font leur vie sans enquiquiner personne – leur nombre dans l’Hexagone, en hausse constante, se situerait entre 100 000 et 200 000.

La conversion à l’islam implique néanmoins un changement de paradigme existentiel, qui peut aboutir à un rejet plus ou moins net du mode de vie en vigueur, quand ce rejet n’est pas le principal moteur de la conversion. Devenir musulman c’est, sur le moment, bien souvent, basculer dans l’inconnu.

Comme un nouveau-né. Yasin Frédéric*, 32 ans, habite Villeneuve-le-Roi, dans le département du Val-de-Marne, près de Paris. En 2008, ce chef de projet dans des entreprises d’informatique s’est converti à l’islam. «Je l’ai fait tout seul, chez moi, explique-t-il. J’étais un catholique un peu perdu dans la pratique de la foi. Je me suis connecté à un site de conversion, j’ai récité phonétiquement la profession de foi. J’ai fait le bain spirituel, dans ma douche. Tu en ressors comme le nouveau-né du ventre de sa mère. A cette occasion, Dieu transforme tous les péchés en bonnes actions. Mes parents m’ont trouvé plus apaisé.» Yasin Frédéric décrit cet acte de foi non comme une conversion mais comme une «reconversion», car, «à l’origine, affirme-t-il, le monde était musulman, ce sont les cultures qui ont fait que certains sont devenus chrétiens ou juifs».

Ce jeune homme portant petite barbe et pour le reste au diapason du citadin s’équipant chez Gap ou H & M, marié à une convertie, père de deux enfants, suit une ligne somme toute cohérente. «Un musulman peut commettre des atrocités, raconte-t-il. Celui qui donne un associé à Dieu sort de la foi, celui qui tue ne sort pas forcément de la foi. A Mohamed Merah (l’assassin de trois militaires et de quatre juifs à Toulouse et à Montauban, en mars 2012, ndlr), si j’avais eu connaissance de ses intentions meurtrières, j’aurais dit: “Mais, mon frère, tu es fou, tu ne vas pas tuer des innocents!” Je lui aurais opposé des arguments d’ordre théologique. S’il doit y avoir violence, c’est sur un champ de bataille ou pour se défendre d’un agresseur.»

Voiture-balai des «damnés de la terre». La conversion à l’islam, pense-t-on, requiert de l’impétrant une solide constitution mentale, le cas de Yasin Frédéric, autant qu’il est possible d’en juger. Or c’est l’inverse qui se donne en spectacle et se déroule en coulisse. L’islam fait office de voiture-balai des «damnés de la terre» (titre d’un célèbre livre anticolonialiste paru en 1961, écrit par l’intellectuel antillais Frantz Fanon). Ce qui n’est pas pour déplaire aux héritiers du tiers-mondisme, tenants d’un islam révolutionnaire, porteur de «justice» et d’«égalité». Ces redresseurs de torts sont d’horribles impies aux yeux d’Alexandre et de ses coreligionnaires radicaux aux atours salafistes, mais ils n’en ont cure, d’où leur engagement de tous les instants contre l’islamophobie, le musulman étant à leurs yeux, en France, la figure exemplaire du dominé.

A l’échelon des mosquées, il semblerait que l’on soit peu regardant sur la «marchandise». L’islam est bonne fille, comme le fut jadis l’Eglise catholique, et accepte le tout-venant sous son toit. «On n’ôtera pas de la tête à un musulman qu’il faut accepter la conversion d’un autre», remarque Farid Abdelkrim, ex-responsable du département jeunesse de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), une structure religieuse proche des Frères musulmans dont il a démissionné en 2005 et qu’il décrit comme étant aujourd’hui «à l’agonie».

Devenu comédien, il présente en France son spectacle intitulé One Man «Halal» Chaud, qui tourne en ridicule la propension d’une partie des fidèles à recouvrir les objets et actions les plus improbables du label islamique. «Certains imams, observe Farid Abdelkrim, accueillent les convertis par conviction, d’autres veulent faire du chiffre, se disant qu’ils l’emporteront sur les autres religions par le nombre.»

Cette allégresse sans bornes donne lieu à des «aberrations», constate-t-il. «Une amie de ma femme s’est convertie à l’islam dans une mosquée, raconte-t-il. La profession de foi récitée, l’imam lui a dit qu’elle venait d’accomplir la première moitié de la conversion et qu’il lui restait à accomplir l’autre moitié en choisissant un mari parmi les musulmans de l’assistance. Une démarche totalement contraire à l’islam.»

Le «marché» de la conversion, on le voit, est des plus ouverts et sujet au grand n’importe quoi. «Fondamentalement, l’islam sunnite est une religion décentrée, sans clergé», rappelle Camel Bechikh, membre pour le moins atypique de l’UOIF, proche du courant «souverainiste» opposé à l’Union européenne et président de Fils de France, une association qui prône l’acculturation des personnes issues de l’immigration aux mœurs du pays d’accueil, le noyau de la foi demeurant. «La conversion, reprend-il, c’est quelque chose d’un peu sauvage, dans tous les sens. On peut se convertir dans sa cité, avec sa bande de copains. En grandissant, les musulmans de la bande se réislamisent et, à leur contact, certains non-musulmans deviennent musulmans.»

Analogies meurtrières. Devenir musulman, c’est si facile, mais qu’est-ce que cela comporte? L’acquisition de la foi en le Dieu du Coran, certes. Mais pas seulement. Devenir musulman, c’est, aussi, endosser un ensemble de combats pour la «justice». Le converti, sauf à se couper de sa nouvelle «famille», ne peut ignorer ce qui s’y dit entre poire et fromage, sur la Palestine qu’il faut libérer du «joug d’Israël», sur l’Afghanistan, l’Irak et le Mali, envahis par des «mécréants».

Tous les imams ne tiennent pas sur ces sujets des discours enflammés, la plupart, suppose-t-on, sont mesurés, mais tous auront au moins une attention pour les «musulmans opprimés», ce qui n’est pas illégitime en soi, chaque communauté religieuse compatissant avec ses persécutés. Sauf que cette oppression qui frappe de diverses manières les musulmans, dans les territoires occupés de Palestine ou en Birmanie, sera rapportée à la France, à ses «bavures», à ses «discriminations», à son histoire coloniale et ses supposées menées «néocoloniales», et nourrira, dans le pire des cas, des analogies meurtrières.

Cet état d’esprit n’est peut-être pas étranger à la nuit d’émeute survenue le 19 juillet à Trappes, dans les Yvelines, en réaction à un contrôle de police d’une femme en niqab et de son compagnon, au demeurant tous deux convertis à l’islam. Nul doute que pour les quelque deux cents jeunes convergeant cette nuit-là vers le commissariat de la ville, l’interpellation de cette «sœur» et de ce «frère» constituait un abus de pouvoir, exercé, qui plus est, par une force inique à leurs yeux.

On ne s’étonnera donc pas que, dans un processus de parfaite inversion des rôles et des valeurs – le soldat français passant pour l’assassin des «frères» afghans ou maliens, le policier français pour le policier vichyste procédant à des «rafles» – des convertis de plus ou moins fraîche date souhaitent prouver de quoi ils sont capables.

La nécessité de toucher les cœurs. Yasin Frédéric tente d’expliquer l’origine de ces «dérives»: «Les convertis qui commettent des actes de violence sur des militaires de leur propre pays ou sur des juifs, qui s’engagent dans le djihad armé, n’ont pas, à la base, une vie très simple. L’approche binaire qu’ils trouvent dans l’islam, le licite et l’illicite, ne va pas les surprendre. Là-dessus, des imams font preuve de virulence dans leurs prêches pour toucher les cœurs. J’ai fréquenté des mosquées salafistes, mais je n’ai jamais été témoin d’appels au meurtre. Je peux toutefois comprendre la haine de certains convertis, à qui il est demandé de faire le bien et de combattre le mal: Israël, la Palestine, les Touareg, les rebelles d’Irak et d’Afghanistan. On est imprégné de cette actualité. Certains se demandent si les services de renseignement ne laissent pas des crimes se commettre dans le but de diaboliser l’islam.»

Soupçon de complots, haine rentrée, haine libérée: le novice en islam est appelé à faire la part des choses. Notre interlocuteur y parvient visiblement, à sa manière, et déclare, sur un point dont on ne sait s’il faut le qualifier de théologique: «Les juifs ont trahi Jésus et les prophètes, mais comme disent les antisémites, j’ai des amis juifs, l’un de mes plus proches collègues, avec qui je m’entends très bien, en est un. Il ne me viendrait jamais à l’esprit de faire du mal à un juif.»

Ces propos sur la «trahison» des juifs, autrefois l’apanage de l’antijudaïsme catholique, sont demeurés dans la vulgate islamique et figurent dans des biographies du prophète Mahomet, ouvrages disponibles dans certaines librairies en France. Ramené à l’époque contemporaine, Israël étant ici la figure de l’imposteur, cela donne: «On prie Dieu qu’Il libère la Palestine et vienne en aide aux Palestiniens», confie Yasin Frédéric. Chez lui, toutefois, pas de participation au djihad armé en vue. «Le djihad est intérieur, il sert à m’améliorer. J’ai une femme et deux enfants, c’est ici que je dois mener ma vie de musulman.»

Une France responsable. Président du Collectif des musulmans de France (CMF), Nabil Ennasri est un jeune tribun français, fort actif et fort suivi sur les réseaux sociaux. Il s’interroge sur les causes de la radicalisation meurtrière de certains, cherchant à les «expliquer», non à les «justifier», précise-t-il. «A cela, dit-il, plusieurs déterminismes: une éducation défaillante, les moyens de l’Etat qui font défaut. Par ailleurs, nous viennent du Mali les images de corps de civils déchiquetés. Par sa politique étrangère, la France est en partie responsable de ce qui se passe dans ce type de pays et son regard sur le conflit israélo-palestinien est biaisé.»

Sur son «mur» Facebook où il occupe un statut de «personnage public», Nabil Ennasri n’est pas avare de commentaires critiquant le «néocolonialisme de la France» et la politique «criminelle» d’Israël. Pour lui qui représente l’élite, c’est une façon d’«encadrer» le débat sur ces questions épineuses pour éviter qu’il ne se transforme en actes incontrôlés, justifie-t-il.

Une structure d’accompagnement. Les convertis semblent bien seuls face aux passions qui les assaillent. Il paraît urgent de leur offrir un accompagnement. On songe, pour ce faire, aux structures existantes. L’UOIF dispose d’un tel encadrement, selon Farid Abdelkrim. Ce que confirme Camel Bechikh, les convertis passés par l’UOIF étant, dit-il, des «personnes équilibrées».

Face à l’afflux des convertis, Nabil Ennasri dit ne pas être opposé à ce que la conversion se déroule dans un cadre «plus officiel, entre guillemets». Dans la mosquée de sa ville, à Villeneuve-le-Roi, Yasin Frédéric pense créer une «structure d’accueil» à cet effet.

Le concept d’«excommunication» n’existant pas à proprement parler dans l’islam, les moyens de sévir, hors cadre profane, sont des moyens de prévenir. On n’ose ressortir la proposition d’un «Vatican II» de l’islam, une tarte à la crème, certes, mais assurément plus digeste qu’un soufflé explosif, cette partie obscurcissante du réel musulman. On y viendra sans doute un jour, par des voies qui n’en porteront pas le nom.

* Addition de ses deux prénoms, celui qu’il s’est choisi et celui de son baptême.

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