Analyse. La BNS subira des entraves inutiles si l’initiative sur le métal jaune est acceptée. Par manque d’explications sur un sujet pourtant central pour la prospérité de la Suisse.
La surprise ne viendra pas d’où on le croit. Au soir du 30 novembre, Ecopop, l’initiative qui veut limiter drastiquement l’immigration et qui fait si peur aux milieux économiques et politiques, devrait être refusée, au grand soulagement de ces derniers. Celle supprimant les forfaits fiscaux acceptée, au grand dam des Romands. Mais ses effets resteront limités. En revanche, la Suisse pourrait quand même s’être tiré une grosse balle dans le pied sans très bien avoir compris comment: en approuvant l’initiative sur l’or de la Banque nationale suisse (BNS).
Cette proposition, qui veut contraindre l’institut d’émission à détenir au moins 20% de ses réserves en métal jaune (contre 8% actuellement), a en effet toutes les chances d’être acceptée, tant ses partisans et opposants sont au coude à coude. Soutenue par des milieux financiers proches de l’UDC, elle est combattue par pratiquement toutes les forces politiques du pays. Mais bien mollement. Economiesuisse, l’organisation patronale, reconnaît que son budget de campagne n’atteint pas les niveaux de celui d’Ecopop, même s’il a «un peu augmenté dernièrement». Aussi la BNS se sent-elle bien seule au moment de combattre un texte qui pourrait l’empêcher de faire son travail efficacement. Cette passivité est étonnante en regard des enjeux. Un oui pourrait provoquer des dommages tout aussi importants à l’économie suisse que la proposition d’Ecopop, et bien davantage qu’une interdiction des forfaits fiscaux.
Le franc moins bien défendu
«La Banque nationale, qui a déjà une marge de manœuvre limitée, se verrait encore davantage entravée dans son action si ce texte venait à être appliqué», soupire l’économiste Samy Chaar, stratège de la banque Lombard Odier. Défendre le cours plancher du franc suisse de 1,20 franc pour 1 euro serait encore plus compliqué que cela ne l’est déjà depuis son introduction en septembre 2011. C’est pourtant ce plancher qui a permis, et permet toujours, à l’économie suisse de prospérer au milieu d’une Europe qui peine à se remettre de sa longue crise.
Sans ce pare-feu, le franc bondirait face à la devise européenne, faisant chuter les exportations et le tourisme helvétiques, provoquant des licenciements massifs et conduisant à une explosion du chômage dans le pays.
La BNS maintient ce cours en vendant massivement des francs suisses – qu’elle crée ex nihilo – contre des euros, lesquels constituent actuellement ses réserves, qui dépassent le chiffre astronomique de 500 milliards de francs. Et chaque fois qu’elle doit intervenir pour «sauver» le franc d’une surévaluation, elle émet encore plus de monnaie pour acheter des euros. Si l’initiative était acceptée, elle devrait ainsi acquérir du métal jaune en plus de l’euro, ce qui élèverait encore le prix de ses interventions.
L’initiative offrirait, de plus, un terrain de rêve aux spéculateurs de toute nature. Contrainte d’acheter des quantités phénoménales d’or – la moitié de la production mondiale d’une année – pour atteindre le quota de 20% fixé par l’initiative, la BNS tirerait le marché mondial à la hausse. Et cela pour longtemps. Un vrai «pari sûr», ou «safe bet» en jargon financier, pour tous ceux qui voudront faire de l’argent facile sur le dos de la Suisse.
Autre cadeau, l’accroissement de la pression à la hausse sur le franc. Freinée dans son action, la BNS sera moins crédible au moment de manifester son engagement à maintenir le taux plancher. Cette faiblesse offrira une nouvelle occasion à tous ceux qui parient sur une future hausse du franc. Celle-ci était si bien inscrite dans le paysage avant l’instauration du taux plancher que, dans les hedge funds, on qualifiait avec dédain ce pari de «no brainer», ou «zéro cervelle»: il est si facile à gagner que c’en est presque indécent.
L’or, un actif risqué
Le texte prétend mettre le franc à l’abri des risques. La sagesse populaire prétend que rien n’est plus sûr que l’or. Au contraire, le métal jaune a perdu ces dernières décennies son statut de refuge ultime de valeur. Il est devenu «aussi risqué que les actions», comme le rappelle Samy Chaar. En quelques mois, son cours peut doubler, comme il l’a fait en 2009 sous la pression d’investisseurs internationaux alarmés par la crise financière et ses conséquences. Puis, après avoir atteint le prix hallucinant de 1920 dollars l’once (31,1 grammes, soit plus de 53 000 francs le kilo), il s’est effondré au printemps 2013 et vaut à peine 1200 dollars actuellement (quelque 36 000 francs le kilo).
Ces variations créent naturellement un risque pour les réserves de la BNS. Risque inutile du fait que le métal jaune n’a pratiquement plus d’importance pour asseoir la solidité d’une monnaie, comme l’a rappelé Thomas Jordan, président de l’institution, au Matin Dimanche. Une devise s’assoit sur la santé de l’économie d’un pays, l’aptitude de ses dirigeants à maintenir les comptes publics sous contrôle et les perspectives de croissance. Autant de critères que la Suisse maîtrise avec brio depuis longtemps.
Les organisations qui combattent Ecopop au nom de la préservation du «modèle suisse» feraient donc bien de s’en souvenir.