Analyse. Mécaniquement, l’initiative réduira d’année en année le solde migratoire bien en dessous de ce que promettent ses auteurs. Démonstration chiffrée.texte Johan Rochel et Mikael Portmann illustration originale étienne delessert
Pour de nombreux citoyens, la votation Ecopop du 30 novembre prochain pourrait être l’occasion de réaffirmer une volonté de «contrôler» notre politique migratoire. Les impressions sont toutefois trompeuses: le texte de l’initiative nous ferait totalement perdre le contrôle de celle-ci. En effet, l’initiative Ecopop engage une spirale de baisse de l’immigration jusqu’à l’absurde. Suivant une démonstration chiffrée de la mécanique de l’initiative, la Suisse serait dépossédée de ses instruments de politique migratoire.
Pour rappel, l’initiative Ecopop exige que «la part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne puisse excéder 0,2% par an sur une moyenne de trois ans». Nous pouvons en déduire ce que nous appellerons l’«équation Ecopop»: le nombre de sorties + le 0,2% d’accroissement autorisé = le nombre d’entrées autorisées.
L’effet des sorties
Si Ecopop devait être mise en œuvre tout de suite, l’équation ressemblerait à ceci: 93 000 (nombre de sorties, en moyenne, entre 2007 et 2013) + 16 000 (accroissement de 0,2% de 8 millions d’habitants) = 109 000 entrées autorisées. Tirés du site des initiants, les chiffres ne devraient pas provoquer de controverse. Selon les propos d’Ecopop, l’initiative ne signifierait donc qu’une diminution du tiers des entrées autorisées (160 000 sans l’initiative, 109 000 avec). Cette limite fixe de 0,2% inscrite dans la Constitution pose un premier problème de flexibilité, pourtant si nécessaire à la défense des intérêts du pays. Mais, plus grave encore, le texte déploie des effets mécaniques qui rendent notre politique incontrôlable.
Pour comprendre ces effets, il faut tout d’abord se concentrer sur l’une des composantes essentielles de l’«équation Ecopop»: le nombre d’individus qui quittent la Suisse (les sorties). Ces émigrants sont en majorité des étrangers. En 2013, 73 000 personnes de nationalité étrangère sont parties, contre seulement 29 000 Suisses. Fait intéressant, le nombre de Suisses qui quittent le pays année après année n’a presque pas changé en vingt ans.
Pourquoi s’intéresser au nombre de sorties? Ce point est essentiel car, si l’initiative est appliquée, la réduction du nombre d’entrées aura rapidement un effet sur le nombre de sorties. En d’autres termes, moins d’étrangers qui entrent implique mécaniquement moins d’étrangers qui repartent. A son tour, cette baisse du nombre de sorties influe négativement sur le nombre d’entrées autorisées. Par à-coups, l’initiative entraîne donc le nombre d’entrées autorisées vers le bas. La spirale est mécanique: moins d’immigrants sont autorisés à entrer en Suisse, moins d’émigrants (étrangers) quittent la Suisse, moins d’immigrants sont autorisés à entrer en Suisse, moins d’émigrants (étrangers) en repartent et ainsi de suite. Cette funeste dynamique sera d’autant plus renforcée par la peur des étrangers de ne plus pouvoir revenir en Suisse. Qui se risquerait à émigrer en sachant pertinemment que le retour ne sera peut-être plus possible?
Une analyse rapide des chiffres des années 90 corrobore cet engrenage. Entre 1991 et 1997, l’immigration en Suisse a reculé de 133 000 (1991) à 70 000 (1997), soit une réduction de 48%, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Avec un décalage de quelques années, l’impact sur l’émigration s’est fait sentir. Composée principalement d’étrangers quittant la Suisse, l’émigration a diminué de 86 000 (1992) à 51 000 (2003), soit une réduction de 41%.
Où s’arrêterait la mécanique Ecopop de perte de contrôle sur l’immigration? En reprenant les éléments de l’«équation Ecopop», nous pouvons spéculer sur le point d’équilibre, à défaut de le prédire. Procédons tour à tour avec les inconnues de l’équation. L’accroissement autorisé de 0,2% de la population résidante restera compris entre 16 000 et 18 000. Le nombre de sorties se composera d’une part d’un solde migratoire des Suisses d’environ 6000 sorties par année. La donnée la plus cruciale concerne le nombre d’étrangers qui repartiront après avoir immigré en Suisse.
Malheureusement, on ne saurait que spéculer sur ce chiffre. Sur la base des données à disposition, il paraît crédible d’avancer que la moitié des étrangers va repartir. Suivant cette estimation, l’«équation Ecopop» se stabiliserait au point d’équilibre suivant: 21 000 sorties (6000 Suisses et 15 000 étrangers) + 16 000 (0,2% de 8 millions) = 37 000 entrées autorisées.
Perte d’autonomie
Cette dernière estimation met clairement en lumière deux points essentiels. D’une part, la mécanique Ecopop entraîne la Suisse vers une perte d’autonomie migratoire. Nous confions notre immigration à une mécanique incapable de servir nos intérêts. D’autre part, il est certain que la mécanique Ecopop entraînera le nombre d’entrées autorisées vers le bas – vers le très bas. On ose imaginer les terribles combats politiques au moment de distribuer moins de 40 000 entrées. De manière piquante, Ecopop indique sur son site que les demandes d’asile (21 000 en 2013, selon leurs chiffres) et les mariages avec un citoyen suisse (14 000 en 2013) devraient rester protégés. Il subsisterait donc environ 5000 entrées pour l’économie.
Face à cette pression, l’asile ou le regroupement familial auront-ils la priorité sur les besoins en personnel de nos hôpitaux? Ces mêmes hôpitaux auront-ils la priorité sur le secteur de la construction? Le texte est à la fois radical et extrême dans la spirale qu’il met en place. Gardons-nous de choisir cette voie.
Johan Rochel
Vice-président du foraus – Forum de politique étrangère.
Mikael Portmann
Physicien de formation, entrepreneur à Zurich.