Enquête. Andriy Portnov, vice-patron de l’administration du président ukrainien renversé, est inscrit depuis mars sur liste noire par le Seco. Pourtant, il est autorisé par le DFAE à voyager dans tout l’espace Schengen.
Bienveillante et accueillante. La Suisse sait parfois retrouver le sens de traditions dont elle était si fière et qui se sont quelque peu émoussées en vingt ans d’offensives contre l’afflux d’étrangers «indésirables». Elle a ainsi ouvert ses frontières, et donc celles de tout l’espace Schengen, à un ancien dirigeant ukrainien. Or, ce dernier est inscrit sur liste noire internationale.
Le 6 novembre dernier, l’ambassade helvétique à Moscou a accordé un visa de type «business» à entrées multiples valable un an à Andriy Portnov, responsable adjoint de l’administration présidentielle de Viktor Ianoukovitch, le président ukrainien renversé par la «révolution de Maïdan» en février dernier. Interpellé par L’Hebdo, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) s’est contenté de déclarer que «cette personne n’est pas frappée de mesures de restrictions de voyage en Suisse ni dans l’UE, ce qui lui a permis d’obtenir un visa selon la procédure ordinaire».
Andriy Portnov, 41 ans, s’est fait connaître dans son pays comme l’un des principaux piliers de l’ancien régime, qu’il a fermement défendu jusqu’à la dernière heure. Les révolutionnaires de la place Maïdan l’accusent d’avoir joué un rôle déterminant dans l’enchaînement des événements du centre de Kiev en février dernier, ayant débouché sur les tirs qui ont fait plusieurs morts.
L’ancien haut fonctionnaire conteste ces reproches. Il a remporté plusieurs décisions de justice à ce propos en Ukraine. Ainsi, le 9 octobre, la Cour d’appel administrative de Kiev jugeait illégales les actions entreprises par le nouveau parquet ukrainien. «Pendant huit mois, le système a travaillé contre moi et ma famille. Et pourtant, le procureur général n’est pas parvenu à convaincre la cour de ses soupçons à mon endroit», s’est-il réjoui au terme de l’audience.
Fort de ces victoires, il entend désormais porter le combat dans les pays occidentaux pour tenter de «desserrer l’étau des sanctions internationales», basées, selon lui, sur des informations «falsifiées» par les nouvelles autorités au pouvoir à Kiev. C’est du moins l’explication qu’il livre sur son profil Facebook, en plus d’une photographie de son visa helvétique (voir ci-dessus).
L’avocat du régime
Les pays occidentaux, Etats-Unis et Union européenne en tête, n’en pensent pas moins. Début mars, ils ajoutaient son nom à la liste d’anciens hauts responsables dont les avoirs et les ressources économiques se voyaient instantanément gelés. La Suisse s’est jointe au mouvement sans tarder et le Seco l’a introduit sur sa propre liste le 10 mars.
Andriy Portnov passe toujours pour l’avocat de l’ancien régime. D’avril 2010 à février 2014, lorsqu’il s’est trouvé au cœur de l’Etat, l’ex-haut fonctionnaire s’est occupé notamment de négocier des accommodements avec l’appareil judiciaire. En allant jusqu’à démettre, grâce à des failles de la loi, des juges nommés par l’administration précédente de Ioulia Timochenko et qui se montraient insuffisamment accommodants avec les nouveaux dirigeants.
L’homme avait, semble-t-il, su habilement retourner sa veste. Car c’est grâce à l’équipe précédente qu’il a accédé aux marches du pouvoir. De 2008 à 2010, il a dirigé le fonds souverain ukrainien.
L’ancien homme de l’ombre parviendra-t-il à convaincre les Occidentaux de lever les sanctions? Apparemment, il a déjà réussi à se faire financer son voyage par un ami ou un mécène. Car en Suisse comme dans l’UE, il est, en raison de ses fonds bloqués, sans ressource.