La politique, c’est la lutte pour le pouvoir à la «table des pèdzes». Le philosophe italien Antonio Gramsci a longtemps croupi à l’ombre sous Mussolini. Dans ses Cahiers de prison, il a beaucoup ruminé sur cette question déterminante de la boîte à outils politique: que faut-il pour gagner la majorité au sein de la population?
Tirant la leçon de son amère expérience personnelle, qui a vu le peuple italien se fier davantage à Mussolini qu’à ses adversaires politiques, Gramsci a compris qu’il ne suffisait pas d’être persuadé d’avoir les meilleures idées. Sa réponse est donc limpide: de belles idées comme la liberté et la justice ne valent rien tant qu’elles ne peuvent pas être ancrées dans la vie réelle des gens que l’on exploite et piétine. A cette fin, pense Gramsci, il faut des «intellectuels organiques», des gens capables de penser tout en étant enracinés dans le peuple.
Nous le remarquons de manière marquée dans le combat contre Ecopop. Il ne suffit pas de dire aux gens qui, depuis dix ans, ne bénéficient pas de la croissance économique de ce pays qu’Ecopop et son quota d’immigration ne changeront rien à leur statut de perdants de la croissance. Tous ceux qui déposeront un oui dans l’urne le savent déjà.
Mais ils ne font pas confiance à «ceux d’en haut». Ni aux politiques de Berne, ni aux dirigeants de l’économie sous perfusion de la Bahnhofstrasse.
Comment donc aborder le peuple aujourd’hui? Franz Steinegger, 71 ans, retiré du Conseil national depuis dix ans, en fait une fois de plus la démonstration. Dans la Schweizer Illustrierte du 17 novembre, il détruit le mythe Ecopop sur le terrain du réel: «Quel jeune homme vit encore sous le toit familial jusqu’à ce qu’il ait trouvé femme? Qui veut encore partager sa chambre avec ses frères et sœurs?» Steinegger y répond lui-même: «Les étrangers ne sont pas coupables de la disparition des espaces verts. Ce sont avant tout les Suisses qui exigent toujours plus de surface habitable.» Puis il demande: «Qui est mobile?» Et répond à nouveau: «Nous tous. Quand je suis à Zurich et que je prends le S-Bahn, je ne me sens pas cerné par les étrangers. Nous avons encore de la place. Il y a des vallées qui se dépeuplent.» Ce sont des phrases que nous pouvons comprendre: nous croyons l’homme venu d’Uri, nous sommes volontiers à côté de lui dans le S-Bahn de Zurich et, tout à coup, nous n’avons plus peur des étrangers censés nous cerner.
Que se passera-t-il si Ecopop est acceptée? Aucun conseiller fédéral, aucun autre politicien ne l’a mieux résumé que l’ex-président de la SUVA, qui l’illustre par un unique exemple concret, que tout le monde pige tout de suite: «Imaginez un hôpital avec deux entrées. L’une pour ceux qui rejettent Ecopop et l’autre pour ceux qui disent oui. Pour les adversaires, rien ne change. Mais les partisans dépendent avant tout du personnel suisse, entraînant des situations comparables à l’Italie: les parents doivent changer les draps et apporter à manger.»
Franz Steinegger est le dernier «intellectuel organique» parmi les radicaux de Suisse alémanique. Combien de temps devra-t-il attendre pour avoir un successeur?