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Amour: ce que le net a changé

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Jeudi, 20 Novembre, 2014 - 06:00

Enquête. Le web a bouleversé notre rapport à l’amour et à la sexualité, pour le meilleur et pour le pire. La pratique voit le triomphe de «l’entrepreneuriat» amoureux: c’est à qui se vendra le mieux, entre espoirs et désillusions.

Stéphanie et Alexandre Prats se sont connus en septembre 2013 sur Celibataire.ch. Il s’appelait Au bord de l’eau, elle avait pour pseudonyme Coluchette. Aujourd’hui, le maître socioprofessionnel et assistant social de 52 ans vient d’épouser la femme au foyer de 40 ans à Lucens (VD). Ils aimeraient faire passer le message aux célibataires, pour leur prouver qu’on peut dénicher l’âme sœur sur le Net.

En Suisse, 90% des célibataires auraient recours aux rencontres en ligne. Sans compter les usagers mariés, à la recherche d’aventures. Au total, 1,3 million de Suisses seraient en chasse sur les réseaux. Si les chiffres, émanant de communicants, sont invérifiables, il suffit de sonder son entourage pour constater l’ampleur du phénomène, commencé il y a près de quinze ans. Depuis, le tabou qui entourait la drague en ligne s’estompe. La pratique est décomplexée chez la jeune génération, friande d’applications branchées comme Tinder et Adopteunmec. Elle a largement modifié notre façon d’aborder une relation amoureuse, nous obligeant à réinventer la rencontre, pour le meilleur et pour le pire.

L’alchimie des corps

Premier changement de taille, l’ordre de la rencontre a été inversé. «Avant, l’amour amenait au sexe. Aujourd’hui, c’est le contraire, explique la sexologue Denise Medico, cheffe de service à la fondation Profa de Lausanne. On choisissait une personne, puis on lui proposait un rendez-vous. Désormais, on lui donne rendez-vous d’abord, on couche avec, on choisit ensuite.» Même si, pour la spécialiste, l’internet est un outil formidable, «les sites passent à côté des vrais déterminants d’une relation, à savoir la vie charnelle, la façon dont deux corps vibrent en commun». Les chances sont maigres qu’une cyberrencontre fonctionne dans la vie concrète, parce qu’elle dépend d’une alchimie non verbale (l’odeur, la façon de bouger, la présence, etc.).
Pourtant, l’écrit en dit beaucoup, pour qui sait décoder. Lou*, 40 ans, universitaire, a appris à lire entre les lignes. «On peut dire ce qu’on veut sur soi, mentir, enjoliver… La manière dont on le dit trahit qui on est. En lisant ses messages, on voit si un homme a de l’esprit, s’il manie le second degré. La vitesse de repartie trahit l’intelligence… Autant de critères déterminants pour que je sois attirée par lui.» La jeune femme, mère de famille, écarte les prétendants qui l’«ennuient»: «Il faut aller sur les sites en chasseur. Se conduire comme un homme. Si tu y vas en brebis cherchant son berger, alors tu vas trouver beaucoup de loups sur ton chemin!»

Certaines applications comme Tinder, très à la mode parmi les plus jeunes, misent tout sur la photo. Alice*, 24 ans, employée de commerce, y est restée trois semaines. Elle a entamé une relation avec un jeune homme. «C’est la première fois de ma vie que je m’inscris sur une application de ce type. Mes copines me parlent de Tinder depuis la fin de l’été. Ce qui m’a séduite, c’est qu’on n’a pas besoin de se présenter. Une photo et un pseudo suffisent.» Elle a choisi un portrait où on ne la reconnaissait pas. Les garçons avec lesquels elle a chatté portaient souvent des lunettes de soleil sur leur photo de profil. «Je n’ai pas changé d’avis, j’encourage quelque chose de plus romantique, il faut laisser faire le hasard. Mais je remarque qu’en Suisse on a de la peine à sortir et à s’amuser, pour faire connaissance.»

Maintenant, tout de suite

«Les sites présupposent que les gens ne savent plus se rencontrer dans le monde réel», relève Olivier Voirol. Pour le sociologue lausannois, dire qu’on n’a plus de lieux où faire connaissance aujourd’hui s’apparente à une prophétie autoréalisatrice. L’idée que nous n’avons plus le temps est, elle aussi, paradoxale. Surtout quand on sait que les 50 millions d’utilisateurs que Tinder revendique dans le monde se connecteraient en moyenne nonante minutes par jour…

Tinder est une version hétéro de Grindr, qui avait fait ses preuves chez les homosexuels. Son système de géolocalisation permet des «plans» rapides, selon le lieu où vous vous trouvez. A la table d’un restaurant fribourgeois, Bastien* et Cyril*, en couple, consultent chacun l’application, pour détecter les autres gays à proximité. «C’est excitant, ou amusant, de voir qui est dessus. C’est de la drague soft, cela s’arrêtera à quelques photos, pour nourrir mes fantasmes», explique Cyril. Chacun semble capturé par son iPhone, insensible à ce qui l’entoure, à commencer par son voisin. «La première raison du succès des sites, c’est qu’ils permettent d’occuper le temps, de se sentir moins seul», avance Denise Medico. Même au milieu des autres.
Algorithme, mon amour

En plus d’avoir inversé l’ordre de la rencontre, l’internet l’a rendue «mathématique». Partant du principe que «qui se ressemble s’assemble», des sites plus chers comme Parship proposent, via des tests de personnalité et des «algorithmes d’affinité», de «matcher» votre profil avec celui d’un candidat avec lequel vous êtes invité à «badiner». Il y aurait 38% de chances de réussite. Dormez-vous la fenêtre ouverte ou fermée? Suivez-vous vos sentiments ou votre instinct? Après un test d’une demi-heure, le site nous informe que GSWWZ2Y9, 39 ans, 178 cm, domicilié à Bâle, pourrait être l’homme de notre vie. Mais avant de lire son message, il faudra débourser près de 270 francs, pour une formule de trois mois d’abonnement.

La ressemblance est-elle un gage de réussite? Pour Denise Medico, cela ne fait pas de doute. «Dans la plupart des cas, oui. Sinon, le décalage culturel peut devenir rapidement un obstacle à la relation. Mais plus on vieillit, plus c’est une autre notion qui compte: la complémentarité. Et la recherche de similitude est aussi une voie compliquée, qui peut être la cause de pas mal de problèmes!» L’idée fait bondir le psychiatre Serge Tisseron, auteur notamment de Rêver, fantasmer, virtualiser – Du virtuel psychique au virtuel numérique, chez Dunod. «Dans la «vraie vie», les gens avec lesquels on s’entend sont différents de nous. Avec les algorithmes, c’est comme si on voulait trouver son semblable. Donc éviter la surprise, l’inconnu. Si vous craignez la surprise, choisissez l’ennui, c’est plus radical!»

Le marché de l’affect

Troisième glissement opéré par les sites: le télescopage souvent hypocrite de deux domaines apparemment inconciliables. D’un côté, il y a l’Amour, qui échapperait à la Raison et au calcul. De l’autre, l’implacable logique mathématique des algorithmes. Et un «marché» sur lequel on doit se vendre (un profil, c’est un peu l’équivalent d’une lettre d’embauche). «On peut sortir complètement fracassé de cette expérience, rappelle le sociologue Olivier Voirol. Lorsqu’on touche à l’affectif, à l’amour, à la sexualité, on touche à l’identité des gens. C’est cela qui est en jeu, et ce n’est pas un jeu!» L’universitaire s’apprête à publier, avec son collègue Kai Dröge, une étude à ce sujet soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. «C’est incroyablement palpitant de chercher l’amour sur un site. Et, en même temps, c’est une déshumanisation, puisqu’on accepte de s’en remettre à un dispositif technique dont on ne saisit ni la logique ni le fonctionnement. Les sites de vente comme eBay ont la même architecture. On a simplement remplacé le type de «produits», pointe le chercheur.

Rencontrer son voisin via l’Internet

Les sites spécialisés, pour gens «beaux», «riches», «catholiques» ou sympathisants de droite, font débat. Pour Yvan Vuignier, directeur de Swissfriends.ch, cette segmentation ne serait pas intéressante en Suisse romande. «Même gratuit, un site spécialisé ne trouverait pas une communauté suffisamment active pour être attractif. Le bassin est trop petit.» Les Romands restent donc généralistes. Swissfriends, leader du marché, existe depuis quinze ans. A côté des mastodontes internationaux comme Meetic, il a su se distinguer par son ancrage local. «Nous sommes en quelque sorte le plus grand bar de Suisse romande», explique Yvan Vuignier, qui revendique plus de 90 000 membres dans le pays. Il inaugurera à la fin du mois une nouvelle version du site. «En plus des services liés à la rencontre, nous proposerons à nos membres de participer à des événements. Ce sera l’occasion pour eux d’élargir leur cercle de connaissances.» Au programme: visite du musée de l’Hermitage, à Lausanne, avec repas, randonnée à raquettes, initiation aux sushis ou au dessin animalier… Le marché est arrivé à maturité en 2011. Entendez: il ne connaît plus une expansion à deux chiffres en Europe. La Suisse n’est pas épargnée par ce ralentissement, dû à une offre pléthorique. Dans ce contexte, les sites classiques doivent se réinventer, quitte, paradoxalement, à s’éloigner du Net. «Les événements que nous organiserons viendront compléter l’offre du web. Ils expriment une volonté des internautes de revenir à des contacts plus traditionnels. Il y a d’autres manières de découvrir ses semblables que sur le web!»

Autre enseigne locale qui connaît un succès pérenne dans ce marché volage, Celibataire.ch, créé fin 2001. Alain Michel, carreleur de formation, est un webmaster autodidacte. Il gère le site avec sa femme, et compte de 5000 à 6000 visiteurs quotidiens, dont 98% de Suisses. Malgré le potentiel de millions de profils à travers le monde, l’utilisateur lambda choisit des personnes qui vivent à proximité de chez lui. Celibataire.ch, gratuit pour les femmes, organise aussi des soirées bowling ou des pique-niques. Son fondateur se réjouit de voir le web pallier le manque de contacts humains dans notre société. «C’est triste, mais on connaît mieux nos «amis» sur Facebook que nos voisins. Des gens se sont aperçus sur notre plateforme qu’ils habitaient le même immeuble!»

Les vertus du «plan cul»

Point positif, les sites ont amené une plus grande liberté, une mixité dans les rencontres éphémères. «J’ai eu de belles aventures, explique Anaïs*, une styliste de 42 ans. Par exemple un professeur de théologie, ou un jeune ramoneur de 25 ans! Chacun de ces hommes m’a apporté quelque chose. Des discussions intellectuelles, de la tendresse ou du sexe; parfois les trois. Je ne les aurais jamais croisés dans mon milieu.»

Vincent* travaille dans le médical. On lui donnerait facilement 28 ans, même s’il en a 40. Il est sur Adopte­unmec.com depuis une semaine et il a déjà quatre rencontres à son actif. Le site joue sur l’ironie (ou le cynisme), érigeant l’homme en objet que les utilisatrices peuvent mettre dans leur panier à commissions. On précise si on désire une relation ou une aventure en choisissant entre les appellations CDI ou CDD.

Vincent fait défiler les profils: suite de selfies avec bouche en canard et regard «kawaii». «J’y suis par amusement, on verra bien. Les filles, ça s’emballe vite. Pourtant, je ne leur laisse rien espérer! Heureusement, j’ai mes portes de sortie…» Le jeune homme trouve qu’il est plus difficile d’aborder des filles en soirée. «Derrière leur écran, elles se sentent rassurées.» Son portable émet un son de trompette: il vient de recevoir un nouveau message. «C’est curieux, une intimité s’instaure, et pourtant elle ne repose sur rien puisqu’on ne se connaît pas.» Une conquête lui écrit: «Tu m’as fait voir les étoiles l’autre nuit.» Il ne lui donnera pas de second rendez-vous. Ce serait trop «facile», pas assez excitant. «C’est surtout les déçues qui se connectent. Les filles équilibrées n’ont pas besoin de ça! Ici, on brûle les étapes, on ne sait plus attendre. Mon ancienne copine, j’ai mis des mois à pouvoir simplement l’embrasser.»

La fin du virtuel

Dernier changement de taille, se découvrir en ligne n’est plus considéré aujourd’hui comme moins «réel» que des présentations en chair et en os. Même s’il est plus facile de se tromper sur la personne à qui on a affaire. «On ne parle plus de «virtuel» aujourd’hui, mais de «numérique», explique Serge Tisseron. Une rencontre sur l’internet ou dans un café, ce sont deux modalités de présence différentes, mais elles ne sont pas moins authentiques l’une que l’autre.»

Aujourd’hui, la tendance, pour les plus de 40 ans, est de préférer les cyberrencontres érotiques, sans aller plus loin. «Depuis quelque temps, je remarque que les hommes me demandent des photos, des webcams, et que cela leur suffit», raconte Anaïs. La styliste se connecte sur l’application Twoo, qui l’informe aussitôt que sa «cote de popularité» est basse depuis la veille. Pourtant, il y a une trentaine de nouveaux messages dans sa boîte. «Après une interruption de deux ans, je suis revenue avec le même profil et les mêmes photos. Et j’ai constaté que les choses avaient beaucoup changé. Les hommes me demandent directement des photos de moi nue, ce qu’ils ne faisaient pas avant. Ou ils m’envoient des photos de leur membre, sans faire de cérémonie. Ils souhaitaient qu’on se filme, qu’on fasse l’amour à distance, chacun se masturbant dans son salon. Cela leur suffit. C’est pauvre!» La cyberrencontre est rassurante parce qu’elle n’implique aucun engagement. On peut rompre en un clic. «Je crois que la réalité effraie. Les gens ont peur de rencontrer leurs semblables. A distance, on peut se laisser aller», regrette Anaïs.

Amaranta Cecchini a travaillé sur les liens amoureux noués en ligne. Pour son doctorat, soutenu cette année à l’Université de Neuchâtel, elle a passé trois mois à enquêter sur la plateforme Second Life, l’univers virtuel créé en 2003, et constaté l’émergence de couples d’un genre nouveau. «Deux femmes entretenaient une relation de plus de trois ans, à travers leur avatar. Elles ne s’étaient jamais vues dans la vie concrète, et ne connaissaient pas leur vrai nom.» L’une d’elles, mariée, ne souhaitait pas chambouler sa vie de couple. «Cette relation extraconjugale numérique lui avait permis de trouver une compensation. Ce qui est intéressant, c’est que Second Life permet de «vraies rencontres», dans le sens où on fait connaissance avec l’autre au compte-goutte, sans que la relation soit d’emblée dirigée vers l’échange amoureux.» Ce cybercouple se retrouve chaque jour et partage la même maison virtuelle. A l’intérieur, on peut voir des photos souvenirs des deux avatars réunis. L’amour y règne, la vie concrète n’a plus d’importance.

*Noms connus de la rédaction
 


Conseils pour trouver l’amour

Mettez trois photos de vous. Une seule: vous avez quelque chose à cacher. Plus de trois: vous ne vous aimeriez pas un peu trop?

Montrez-vous en train de faire une activité qui vous tient à cœur.

Messieurs, évitez de mettre la photo de votre voiture en tête de votre profil, on verra que vous n’avez pas confiance en vous.

Les smileys, les abréviations comme «mdr» ou «lol» sont à déconseiller dans vos messages si vous avez plus de 16 ans.

Les selfies faussement ingénus et boudeurs sont en voie de ringardisation. Pourriez-vous simplement sourire?

Présentez-vous, plutôt que de dire ce que vous cherchez (ou, pire, ce que vous ne cherchez pas).

Ne jouez pas les désespérés en prétendant chercher le prince ou la reine qui illuminera vos jours ternes. Des attentes démesurées feront fuir les plus intrépides.

Réglez vos anciennes relations (et leurs lots de colère) avant de vous lancer dans une nouvelle histoire. L’aigreur ne vous va pas au teint.

Si vous êtes bisexuel, faites deux profils, l’un hétéro, l’autre homo. Sous les profils de femmes «bis» on trouve souvent des hommes hétéros déguisés. Quant aux hommes au profil «bi», ils n’intéresseront hélas ni les hétéros ni les gays.

Soyez courtois. La galanterie paie toujours.

Ne soyez pas dans l’attente, mais dans l’ouverture.

Rencontrez rapidement la personne en chair et en os, pour éviter les cristallisations mentales. Vous ne pourriez qu’être déçu.

S’il vous invite au palace pour le premier rendez-vous, c’est qu’il a envie de vous faire croire qu’il mène grand train, mais n’a pas les moyens de ses ambitions. Inutile de se mettre la pression, au début, choisissez la simplicité.


Les sites qui ont la cote

Swissfriends.ch Le leader. Bien implanté localement chez les 35-55 ans, le site inaugure sa nouvelle formule ce mois-ci.

Adopteunmec.com Une communication ironique, qui joue sur un consumérisme assumé. L’application du moment, avec Tinder, chez les 20-30 ans.

Parship.ch Un site pour hétéros, un autre pour gays. Service pointu et onéreux. Sorte d’agence matrimoniale du web, qui fonctionne par algorithmes.

Grindr.com (Pour gays) et son équivalent Gotinder.com (pour hétéros). Applications gratuites pour trouver des partenaires, grâce à la géolocalisation. On choisit d’après photo. Les gays se servent de cette vitrine pour des «plans» minute. Les hétéros sont plus sages (en apparence).

Meetic.ch Mastodonte multinational, une institution historique bien huilée qui a fait ses preuves. Ses concurrents: Friendscout24.ch ou Zoosk.com.

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Louiza Becquelin
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