Enquête. La Chine tente à tout prix d’inverser la fuite de ses universitaires les plus qualifiés. Mais les domaines de recherche restent toujours déterminés par le Parti et les mentalités peinent à changer, analyse «The Economist».
De la porcelaine fine, des paysages chinois sur parchemin et de la calligraphie décorent le bureau de Shi Yigong, doyen de l’Ecole des sciences de la vie de l’université Tsinghua, à Pékin. Presque rien n’évoque les dix-huit ans qu’il a passés aux Etats-Unis où, à l’instar de milliers de Chinois, il était allé poursuivre de hautes études. M. Shi a même été professeur à l’Université de Princeton. Là, en terres américaines, il s’est senti trop spectateur quand son pays natal est devenu prospère. Alors, en 2008, à 40 ans, il est rentré. Il est l’un des intellectuels les plus fameux à avoir effectué son retour, emblème des efforts du gouvernement pour hisser sa réussite académique au niveau de son succès économique.
Depuis la fin des années 70, la Chine a voulu à tout prix envoyer ses étudiants à l’étranger pour améliorer leur formation, afin de réparer les dégâts causés par Mao Tsé-toung dans les institutions académiques du pays. Plus de 3 millions de Chinois ont ainsi traversé les mers pour étudier. Ils ont constitué jusqu’à un cinquième des étudiants étrangers au sein de l’OCDE. Et plus d’un quart aux Etats-Unis.
Si tous les pays exportent des étudiants, la Chine voit cependant, à la différence des autres, la plupart de ses brillants cerveaux rester à l’étranger. Selon le Ministère de l’éducation, seulement un tiers d’entre eux sont revenus. Et même moins selon d’autres statistiques. Une étude réalisée cette année par un étudiant de l’Oak Ridge Institute for Science and Education a révélé que 85% de ceux qui ont obtenu un doctorat aux Etats-Unis en 2006 y habitaient toujours en 2011.
Pour attirer ces personnes hautement qualifiées dans ses universités, le gouvernement chinois a lancé toute une série de projets depuis les années 90. Certains proposaient la combinaison d’une prime unique allant jusqu’à 1 million de yuans (158 000 francs), une promotion, un salaire assuré et une allocation logement ou même un appartement gratuit. De grandes écoles ont construit des habitations à acheter ou à louer à prix d’ami pour les universitaires convoités. Et toutes ont promis des équipements de premier ordre. Bien des campus qui, jusqu’alors, se révélaient spartiates sont devenus très chics. Les programmes visent aussi les non-Chinois. Lancé en 2011, le plan pour les experts étrangers Mille talents a attiré 200 personnes. Les dépenses en faveur des universités ont ainsi sextuplé de 2001 à 2011. Et les résultats sont saisissants: de 2005 à 2012, les publications universitaires ont augmenté de 54% et les brevets accordés ont été multipliés par huit.
La plupart des grandes écoles ont encore du chemin à faire pour s’imposer. Seuls deux établissements chinois figurent au sein du top 100 du classement mondial Times Higher Education; l’université Jiao Tong de Shanghai ne recense que 32 établissements de Chine continentale parmi les 500 meilleurs. L’absence de tout Chinois parmi les Prix Nobel de sciences tracasse également le gouvernement, quand bien même le pays compte un lauréat en littérature et un autre – peu apprécié – titulaire du prix Nobel de la paix: le dissident emprisonné Liu Xiaobo.
Des incitations perverses
Dans sa volonté de devenir un géant universitaire, la Chine bute sur différents obstacles. Déjà, parmi les cerveaux qui reviennent au pays, nombre d’entre eux le font à temps partiel. Selon David Zweig, de l’Université des sciences et de la technologie de Hong Kong, près de 75% des Chinois séduits par le programme Mille talents n’ont pas renoncé à leur poste ailleurs. De plus, ces programmes achètent souvent une réputation plus que la qualité de la recherche. Ils visent avant tout des enseignants qui ont déjà derrière eux leurs plus belles années ou des spécialistes en sciences, en technologie et en management. Le Parti n’a pas envie d’attirer des experts de sujets politiquement plus controversés.
Sur place, les universités chinoises peinent à motiver leurs cerveaux. Selon Cao Cong, de l’Université de Nottingham (GB), la prime aux études à l’étranger a créé des incitations perverses. Elle envoie aux plus brillants d’entre eux le signal qu’ils feraient bien de passer leurs années les plus productives à l’étranger: chaque année, plus de 300 000 étudiants quittent ainsi le pays.
Autre constat: en Chine, la recherche est formatée par l’Etat. Bien des bourses sont alors accordées par des bureaucrates incapables d’évaluer les projets. Résultat: les chercheurs sont récompensés pour la quantité de leurs publications, pas pour leur qualité. Ce qui crée une tendance à se défiler face à des recherches durables et ouvertes. «Parfois, les relations suffisent pour obtenir une promotion ou une bourse », pense Shi Yigong, de l’université Tsinghua, qui a recruté des scientifiques chinois venus de prestigieuses universités américaines et d’ailleurs pour travailler dans ses laboratoires. En matière scientifique, le Parti communiste a choisi six domaines à creuser, parmi lesquels les nanotechnologies, le changement climatique et les cellules souches. Laisser les politiciens décider n’est cependant pas la bonne recette pour innover.
Des signes encourageants
Jusqu’à il y a peu, les universités recrutaient leurs propres étudiants une fois leur diplôme obtenu. Nombre d’entre eux n’avaient pas de doctorat, les enseignants étaient assurés d’un emploi à vie et la promotion se faisait à l’interne. De nos jours, on perçoit des signes encourageants. Certaines universités modifient les procédures de recrutement et jugent plus aisé de trouver la perle à l’étranger. A l’Université de Pékin, par exemple, les départements recourent désormais aux méthodes d’évaluation internationales et, à voir les résultats, ils en sont récompensés. Des départements tels que celui de M. Shi ont séduit des fonds privés pour des chaires généreusement salariées. Des professeurs assistants dans certains établissements renommés sont payés de 70 000 à 80 000 dollars par an, dont 80% proviennent de donations. Mais la Chine compte plus de 2400 universités et instituts de recherche et, à ce jour, les mentalités n’ont que rarement changé.
© The Economist Magazine Limited
Traduction Gian Pozzy