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La leçon de xénophobie d’Eric Zemmour

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Jeudi, 27 Novembre, 2014 - 05:59

Décodage. Le polémiste et journaliste français a participé à diverses manifestations mardi 25 novembre à Genève, à cinq jours de la votation Ecopop. Pendant ce temps, son livre réquisitoire «Le suicide français» continue de très bien se vendre de part et d’autre du Jura.

C’est un «suicidé» qui se porte bien,à merveille, même: depuis sa parution, le 1er octobre, Le suicide français d’Eric Zemmour a été tiré à 400 000 exemplaires, informe le service de presse de l’auteur. Les chiffres des ventes sont toujours un peu plus compliqués à obtenir auprès des maisons d’édition, stratégie commerciale oblige. Mais la réalité est là: le pavé de 534 pages du journaliste et polémiste s’écoule comme des petits pains. Seul, dans un tout autre genre, l’ouvrage de Valérie Trierweiler Merci pour ce moment, sorti début septembre, fait mieux.

Le sujet n’est pourtant pas gai du tout. Le suicide français est le récit d’une chute, celle de la France au cours de ces quarante dernières années. On pensait les Français repus de visions délétères et autres prédictions catastrophistes les concernant. Il n’en est rien, du moins pas dans le cas présent. C’est que le déclin version Zemmour est aussi une promesse de rebond. Il donne en creux des raisons d’espérer en un avenir meilleur et peut redonner à ceux qui en éprouvent le besoin la fierté d’être Français. Comme le livre porte sur les quarante dernières années et s’emploie à en déceler les errements selon la grille d’analyse de l’auteur, il n’est pas à proprement parler une machine à rêves et ce n’est pas dans cette période qu’on trouvera les grands hommes qui font le panthéon de Zemmour. Seul Pompidou, qui succède au général de Gaulle, trouve grâce à ses yeux. Mais justement, c’est à la mort de ce président qui avait le bon goût d’aimer les classiques que s’ouvre la parenthèse du déclin français. Parenthèse non refermée, on l’a bien compris.

Les raisons d’«être fier» apparaissent comme des antiphrases, en ce que le livre «révèle» et énumère les supercheries et billevesées dont les Français auraient été les victimes plus ou moins consentantes. «Qu’avons-nous fait de ce que nous étions?» pose l’auteur, comme dans une inversion de l’impératif sartrien – «deviens pour toi ce que tu es en soi». Chez Zemmour, l’individu n’a pas d’essence propre, l’essence est un temple et ce temple est la France, celle de Louis XIV, Napoléon et de Gaulle, le dream team mythologique de coach Zemmour. Celui-ci est Jean Paul II en 1980 au Bourget, s’adressant en ces termes aux fidèles français: «France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?» Il suffit de remplacer le mot baptême – et encore, Clovis sied à Zemmour comme à chacun au demeurant – par celui de grandeur.

Le péché Mai 68

Pour le polémiste, la France a une «âme», sacrifiée sur l’autel du «droit-de-l’hommisme» et du «sans-frontiérisme». Mais l’âme est immortelle et ne demande qu’à irradier de nouveau. Elle brûle comme d’un feu vital dans le corps de Zemmour, qui «sait» ce qu’il doit à la France: ses parents, des juifs qui étaient nés et avaient vécu dans la pauvreté en Algérie, un pays qu’ils ont quitté à l’indépendance pour la France métropolitaine, vouaient à leur nouvelle terre d’accueil et à sa culture un amour inconditionnel, rappelle-t-il souvent. Ils le lui ont visiblement transmis.

Si le Français est devenu l’être mou que fustige l’auteur, c’est à cause de Mai  68, ce péché originel qui va entraîner la France dans la chute, juge-t-il. L’être mou est celui qui n’écoute que ses désirs, qui ne se sent redevable de rien ni de personne. Il est le dieu de lui-même. Cette critique de 68 n’est pas nouvelle: Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner l’ont faite en connaisseurs. Zemmour la reprend à son compte. A partir de cette année venimeuse, toutes les frontières tombent, les hiérarchies volent en éclats, les tabous sont explorés tels la caverne d’Ali Baba. L’homme ne domine plus ses pulsions, il les assouvit. C’est ici qu’entre en jeu un contre-modèle, prêt, selon le polémiste, à ne faire qu’une bouchée de la France affaiblie: l’islam. Lequel a conservé le sens des hiérarchies et sait faire la différence entre l’homme, l’être viril, et la femme, qui donne la vie. Là où Alain Soral, un antisémite, prêche l’alliance du christianisme et de l’islam pour détrôner le judaïsme dominateur, Eric Zemmour prône le sursaut français. L’islam est, pour le journaliste, un contre-projet politique, lui qui est islamophobe au sens politique du terme.

En résonance avec le FN

Tout l’art du propos, contrairement à d’autres ouvrages qui mettent le «petit peuple» en accusation, est d’exonérer le lecteur de quelque responsabilité que ce soit dans le déclin de la France. Cette responsabilité est entièrement imputée aux élites politiques, économiques et culturelles. Travail, capital, immigration, regroupement familial, islam, identité sexuelle, société multiculturelle, elles ont faux en tout, tranche l’auteur, réac assumé. Le livre entre en résonance avec les thèses protectionnistes qui ont en ce moment le vent en poupe, qu’elles émanent du Front national ou d’un Jean-Luc Mélenchon. Il est une charge contre l’Europe «ouverte» et la libre circulation des personnes qui, pense Zemmour, dissolvent la France et par là même l’empêchent de se régénérer en nation.

La nation étant le lieu de l’identité et du partage d’un même peuple, la synthèse, en l’espèce, de l’Ancien Régime de la Révolution de 1789. L’auteur n’accable pas seulement les élites, il pourfend aussi, encore et toujours, l’islam.

Le succès du Suicide français tient essentiellement au personnage Eric Zemmour. Attaqué, insulté, voué aux gémonies par ses détracteurs, ce petit être élastique se remet toujours droit. Il est pour ainsi dire d’humeur égale, comme si tout ce qu’il «subissait» était bien peu de chose au regard de l’histoire qui, il en est convaincu, lui donne déjà raison. Il est intellectuellement vif, cultivé sans paraître cuistre, il apprécie les joutes oratoires bien qu’il cherche en permanence à avoir raison, mais il a de l’humour et rit volontiers. Il serait «méchant», atrabilaire, qui l’aimerait en dehors d’un petit cercle, qui achèterait son livre hormis quelques fidèles? C’est un comble, il paraît bon. Qui sait, il l’est peut-être.

C’est bien le problème. Car ce bon-là est tout sauf un tendre. Porté par une pensée froide et mécanique, il est dépourvu de surmoi. Il s’assoit sur le politiquement correct et prétend dire la vérité qu’on voudrait ne pas voir. Ce faisant, il a fortement tendance à essentialiser les phénomènes sociaux. Son affirmation, dans une émission de télévision, selon laquelle «la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est comme ça, c’est un fait», lui vaudra une condamnation en justice pour provocation à la haine raciale, la diffamation n’étant toutefois pas retenue. Il refuse de dire pour qui il vote mais ne s’étrangle pas lorsqu’on soupçonne que ce soit pour le Front national.

Un «juif antisémite»

Le suicide français est du petit-lait pour Marine Le Pen, qui juge Eric Zemmour «bon auteur». Il se paie le luxe d’être «le juif antisémite», et pas sur peu: Pétain et le gouvernement de Vichy. Il tente de faire sauter ce qui est peut-être le dernier verrou dans l’«inconscient» français: la livraison des juifs à l’Allemagne nazie. Il s’en explique dans l’interview qu’il a accordée à L’Hebdo (lire en page ci-contre). Sa démonstration n’a toutefois qu’un but: dédiaboliser la notion de «préférence nationale».

Il n’aura échappé à personne, en Suisse romande, que la participation prévue d’Eric Zemmour à un dîner-débat ainsi qu’à l’émission de la RTS Infrarouge, mardi 25 novembre à Genève, intervenait à cinq jours de la votation sur l’initiative Ecopop, très restrictive en matière d’immigration. Zemmour, dont le livre a dès sa sortie figuré dans le top 5 des ventes romandes, aujourd’hui situé dans le top 20, selon la chaîne de librairies Payot, approuve ce projet de modification constitutionnelle sans l’avoir lu, mais il lui semble aller dans la bonne direction.

Car tout procède de la démographie, affirme l’essayiste. Et les peuples, face au défi du multiculuralisme, ont alors raison de vouloir préserver leur mode de vie. Or, trop d’étrangers, ceux-ci refusant désormais «l’assimilation», nuisent à cet objectif, dit-il. C’est un hommage qu’adresse Zemmour le bonapartiste au système démocratique suisse, le droit référendaire étant selon lui seul capable de faire entendre raison aux «élites». Ceux qui ne se reconnaissent pas dans la pensée zemmourienne verront là l’hommage du vice à la vertu. Ceux qui lui accordent du crédit apprécieront le compliment.


Eric Zemmour

Naît en 1958 à Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Journaliste au Figaro.Chroniqueur, avec Eric Naulleau, dans l’émission On n’est pas couché entre 2006 et 2011. Chroniqueur au Figaro Magazine et à RTL. Coanimateur, avec Eric Naulleau, de l’emission Zemmour et Naulleau sur Paris Première. Auteur de romans, dont Petit frère et Le suicide français.


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Pierre-Emmanuel Rastoin
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