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L’étonnante renaissance des anciens métiers d’art

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Jeudi, 4 Décembre, 2014 - 05:51

Reportage. Etre orfèvre, maroquinier, guillocheur ou peintre en décors aujourd’hui, ce n’est pas seulement exercer un métier mis au goût du jour. C’est un art de vivre la modernité dans la tradition.

Nicolas Marischael l’orfèvre, Serge Amoruso le maroquinier, Supachai le guillocheur et Alexandre Poulaillon le peintre en décors réinventent des métiers jadis florissants et tombés en désuétude au fil des ans. A l’occasion d’un voyage organisé par la manufacture horlogère Vacheron Constantin, très impliquée dans les Journées européennes des métiers d’art, L’Hebdo les a rencontrés à Paris. Quatre savoir-faire que la tradition orale a préservés et que les technologies de notre temps ont encore perfectionnés.

Le guillocheur

En mars dernier, dans une bijouterie lyonnaise, deux machines à guillocher étaient à vendre. Toutes les grandes marques horlogères voulaient les acquérir. «Il est devenu très difficile de trouver de telles machines», observe Supachai, guillocheur chez Vacheron Constantin depuis 2008. Le guillochage consiste à inciser des traits en creux et entrecroisés qui décorent notamment les cadrans et boîtes de montres. Assis devant la machine, l’artisan tourne une manivelle de la main gauche et actionne un chariot mobile de la main droite, équipé d’un burin qui tranche dans le métal (or, platine ou laiton).

Si de tels objets se font toujours plus rares, les experts à savoir les utiliser le sont encore plus. En vogue jusque dans les années 40, le métier a manqué s’éteindre complètement les années suivantes, avant de récemment reprendre du poil de la bête. Arrivé en Suisse en 1989 sans parler un mot de français, le Thaïlandais Supachai s’est formé au guillochage manuel chez le cadranier genevois Stern Créations, auprès de Renato Peronne. Arrivé chez Vacheron Constantin, il se voit lancer un défi: dessiner la carte du monde en utilisant les techniques de guillochage plutôt que de faire et refaire des décors de lignes et de courbes. Créer ainsi des dessins figuratifs, personne ne l’avait encore fait. Quand il est réalisé en partie à l’aide d’une machine-outil à commande numérique, ce qui n’est pas exceptionnel, le guillochage n’autorise pas une aussi grande variété de dessins. Supachai a brillamment relevé le défi et «guilloché» manuellement la carte du monde. Il forme désormais un apprenti. La tradition se perpétue. Quand on lui demande quelle pièce il préfère, il rétorque sans la moindre hésitation: «La suivante!»

Credit photo: DR


Le maroquinier

Un beau jour, un client japonais que Serge Amoruso avait rencontré au Pays du Soleil levant descendit de sa Rolls pour rendre visite au maroquinier, dans son atelier-boutique du XIIe arrondissement, à Paris. Il tirait un petit chariot roulant signé Vuitton. Voyant un des sacs exposés en vitrine, l’homme demanda à Serge Amoruso s’il était possible d’en faire un trolley. «Bien sûr», répliqua l’artisan sans trop se poser de questions. Il lui faudra neuf mois pour réaliser l’objet, une coque en fibre de carbone sur laquelle sont fixées des roulettes de skateboard.

«Je ne fais que des pièces uniques et sur mesure. Derrière chaque œuvre se profile un visage.» Sellier de première formation, Serge Amoruso a passé huit ans chez Hermès avant d’ouvrir sa propre boutique, où il emploie deux collaboratrices. Originaire des Pouilles, il vibre avec les couleurs les plus raffinées et les matières les plus originales. Si on lui dit qu’il est impossible de réaliser un cousu main sur tel matériau, il prouve le contraire. Au Japon, un pays que cet amateur d’aïkido affectionne particulièrement, il a notamment appris les subtilités de la peau de requin galuchat auprès de tanneurs. «J’ai récemment fait mettre de côté cinq peaux qui n’intéressaient personne. Quand j’ai vu les dessins autour des écailles, j’ai trouvé cela extraordinaire. Un vrai tableau!»

Contrairement à l’orfèvre Nicolas Marischael, Serge Amoruso ne s’intéresse pas vraiment à l’internet. «Ma clientèle est suffisante. J’ai besoin de temps pour maîtriser la qualité et l’originalité de mes objets», dit-il. Il prend même le temps d’expliquer à ses clients comment boucler et déboucler une ceinture ou un bracelet-montre sans provoquer d’usure prématurée. Ayant formé maints apprentis, il rêve de trouver un successeur, même si, à 55 ans, il ne souhaite pas arrêter un métier qui a tissé sa vie. «Il ne suffit pas d’aimer le cuir ou les peaux de toutes sortes. Encore faut-il que la main suive l’intention!»

Credit photo: Philippe Rigault


Le peintre en décors

Du papier japon imprimé au polystyrène et peint, ornant les murs de l’antichambre d’une exposition du Palais de Tokyo au début de ce printemps, il ne reste que le souvenir. Celui d’une prouesse artistique et d’une étroite collaboration entre trois hommes: Alexandre Poulaillon, peintre en décors qui réalise des papiers peints dominotés imprimés à la planche selon les techniques traditionnelles, Elias Guenoun, architecte, et Philippe Millot, graphiste. Travailler avec du polystyrène, matériau issu de l’industrie chimique, passer du petit au grand format, et cela en seulement trois semaines, ce ne fut pas une mince affaire. Installé dans un bâtiment que la ville de Mulhouse, son lieu de résidence, lui avait spécialement réservé, le peintre en décors dut imaginer une technique de gravure et d’impression adaptée aux circonstances. Il était assisté par des élèves de la Haute école d’art du Rhin. Le trio communiquait principalement par téléphone, entre seulement deux rencontres dans la capitale. «Elias et Philippe me transmettaient leur vision graphique, esthétique et philosophique pour la transformation de la matière. J’interprétais techniquement leurs besoins.»

Fidèle à des techniques ancestrales, Alexandre Poulaillon n’hésite pas à travailler avec des outils numériques pour graver ses planches d’impression. Le stylet et la table graphique ont remplacé le crayon et le papier. Mais le geste, éternel, perdure. «Au début du XVIIIe siècle, Jean Papillon a inventé le papier peint car il s’est autorisé à utiliser une presse, ce qui lui était interdit en sa qualité de dominotier. Il a outrepassé les codes», souligne l’artisan dont l’enthousiasme grandit au fur et à mesure qu’il parle de son métier. «Aucun papier peint ne ressemble à un autre.» Et de nous montrer sa dernière réalisation: un coffret fabriqué à partir de papiers dominotés. «L’armature est cousue à la main. Il n’y a pas une goutte de colle. Tout tient par la couture et le fil de lin.» Alexandre Poulaillon, qui forme un stagiaire, revisite avec une passion gravée dans son quotidien les techniques anciennes pour les adapter à notre époque. Un authentique retour vers le futur.

Credit photo: Marc Guénard


L’orfèvre

Ses éclats de rire sonnent comme les coups de son marteau, enveloppé dans un petit morceau de drap de billard. Puissants et tendres à la fois. «Il ne faut surtout pas martyriser le métal. Très malléable, l’argent peut facilement être rayé.» Dans son vaste atelier du sous-sol, au viaduc des Arts dans le XIIe arrondissement parisien, Nicolas Marischael a hérité de ses père et grand-père la plupart de ses outils, en fer forgé à la main. Il les manie depuis 1981, quand il a intégré la maison familiale, alors située dans le quartier du Marais et fondée en 1924 par son aïeul. C’est en son sein qu’il a obtenu son certificat d’aptitude professionnelle (CAP). «Ici, ces bouts d’acier que vous voyez sont un trésor irremplaçable. Hors de ce lieu, ils ne valent plus que le poids de la ferraille.»

Au rez-de-chaussée, aiguières, verseuses, bougeoirs, théières et couverts de table en argent massif ont une peau lisse et brillante. Nouveau-nés d’un travail d’orfèvre. Les yeux de l’artisan se font plus lumineux: «Certes, l’orfèvrerie est une petite niche, mais elle existe!» La France compte quelque 250 orfèvres. En dehors des grandes maisons comme Christofle, Ercuis ou Puiforcat, il demeure des artisans indépendants, tel Nicolas Marischael.

En 2014, l’artisanat d’art marie savoir-faire ancestral et technologies d’avant- garde. L’orfèvre parisien dispose d’une machine à graver à commande numérique et s’apprête à acquérir un appareil à souder au laser. «Pour les petites soudures, comme en joaillerie.» La modernité, c’est aussi l’usage sans retenue de l’internet, «cette vitrine mondiale» grâce à laquelle la clientèle des objets d’orfèvrerie, autrefois fort âgée, s’est sensiblement rajeunie. Pourtant, quelle que soit la demande, il n’est pas question de fabriquer plus de dix exemplaires de toute nouvelle pièce. Pourquoi dix? «D’une part, c’est le nombre de la perfection. D’autre part, j’avais le numéro 10 dans l’équipe nationale de water-polo aux JO de Séoul», lâche l’artisan, également sportif de haut niveau.

Avec l’aide de son épouse, qui commercialise des solutions de rangement pour argenterie tissus (un business développé avec le web), Nicolas Marischael a œuvré avec succès pour que, au sein de l’Union française de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, des pierres et des perles (UFBJOP), son métier ne soit plus considéré comme «le vilain petit canard». La création prochaine par cette chambre syndicale d’une section de formation en orfèvrerie est le signe tangible de la renaissance d’un métier jadis florissant.

Credit photo: DR

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Philippe Rigault
Marc Guénard
Mathieu Bouvier
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