On s’habitue à tout. Même à la guerre qui ronge l’Ukraine. On se lasse de tout, des images et des mots qui disent le drame.
L’affaire est entendue: tout est de la faute de Poutine. On lui fera la vie dure et on en restera là. Comme si l’Europe avait cessé de réfléchir sur elle-même et son voisinage.
Les extrémistes des deux bords de la guerre civile ukrainienne s’installent dans la violence. Le Kremlin soutient les caïds séparatistes sans pouvoir venir en aide aux populations du Donbass. Le pouvoir de Kiev a de son côté cédé aux échauffés du nationalisme. Il a donné le statut de «héros de la patrie» aux survivants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), connue pour son alliance avec les nazis, ses massacres de juifs et de Polonais. Un symbole.
Pire, le président Porochenko a largué ses concitoyens de l’est. Il en parle comme des ennemis: il a ordonné le retrait de toutes les administrations des territoires contrôlés par les séparatistes. Avec ces mots terribles devant le Parlement: «Pendant que nos enfants iront à l’école, les leurs se terreront dans les caves.» Les vieux ne reçoivent plus leurs rentes. Les fonctionnaires fuient et, arrivés à l’ouest, se heurtent à la méfiance antirusse, au rejet de ceux qui craignent pour leur emploi.
Les trois millions d’habitants du Donbass sont abandonnés, livrés à des chefs séparatistes brutaux, rejetés par le pouvoir légal. Victimes des combats entre les provocations des milices de tout bord et les bombardements de l’armée ukrainienne. La cassure ne cesse de se creuser. L’usage de l’ukrainien vient d’être confirmé comme la «seule langue nationale».
Le site russe Gazeta.ru le dit bien: «Nationalistes ukrainiens comme nationalistes russes ont aujourd’hui des griefs à l’égard du gouvernement de leur pays. Les premiers exigent de Porochenko une plus grande reconnaissance de leur participation à Maïdan et sont prêts à poursuivre l’«opération antiterroriste» à l’est. Les seconds, que le projet de «Nouvelle Russie» fait rêver, critiquent Poutine pour avoir «reculé» dans le Donbass et aspirent eux aussi à de nouvelles victoires. Tel est le problème: les fanatiques sont utiles en temps de guerre, mais après, on ne sait plus quoi en faire.»
Dans la partie de l’Ukraine épargnée, ce n’est pas la joie non plus. Ceux qui ont occupé la place Maïdan et ont renversé au prix de leur sang le régime du kleptocrate Ianoukovitch se sentent floués. Certes, des élections ont eu lieu. Mais les oligarques sont restés en place. La corruption reste au cœur du système. Et de jeunes hommes continuent de mourir sur des fronts incertains.
L’hiver sera dur. Le gaz ne sera pas coupé, mais c’est maintenant le charbon qui va manquer: il venait du Donbass. Quant à l’économie, elle n’en finit pas de sombrer: elle était fortement liée à la Russie.
Et la Moldavie, ce pays oublié entre l’Ukraine et la Roumanie? Déchirée elle aussi. Le Parti socialiste, dit prorusse, vient de sortir des urnes en tête, mais la coalition actuelle des formations dites pro-européennes se maintiendra avec une courte majorité. Trois quarts des Moldaves (3,5 millions) parlent roumain, les autres russe. Mais près d’un sur deux craint que l’accord avec l’UE ne coupe le pays de la Russie qui le fournit en énergie et lui achète ses produits agricoles. Applaudir benoîtement le résultat «pro-occidental» des élections est un peu court.
Cela pose deux questions à l’europe. Si l’intégration de ces républiques à son marché se fait contre leur partenaire traditionnel à l’est, elle conduit à des drames. A quand un modèle d’association plus souple et concerté avec Moscou? La nouvelle guerre froide souhaitée à Washington va jusqu’à interdire cette réflexion.
Et quel est le discours des Européens? La fièvre des nationalismes épuise la malheureuse Ukraine. Elle rôde aussi dans des parages proches. Le manichéisme s’installe dans les esprits, détournés des réalités complexes. La vénération fervente des drapeaux se substitue aux idéaux de la démocratie, du dialogue et de la tolérance.
Mais qui le dit? Les dirigeants de l’UE se bornent à des philippiques anti-Poutine. Ils sont coupables de ne pas rappeler haut et fort les principes fondateurs de l’Union. Personne ne les proclame aussi bien que l’a fait le pape François, pénétrant et critique, devant le Parlement européen.