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Un cœur qui bat rouge

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Jeudi, 11 Décembre, 2014 - 05:47

Rencontre. Milton Glaser, créateur du logo «I ♥ NY», est l’un des plus grands graphistes de la planète. Il nous parle de sa passion pour la ville et de sa détermination à bouleverser les codes alors dominés par les designers suisses.

C’est en 1977 que Milton Glaser a sauvé New York. Dans cette ville gangrenée alors par la pauvreté et le crime, la mairie cherche à réinventer son identité visuelle pour rassurer les touristes. Chargé de cette tâche, le graphiste s’y attelle un soir à l’arrière d’un taxi, griffonnant quelques lettres et un cœur rouge sur un morceau de papier. En quelques secondes, il crée l’un des symboles les plus marquants du XXe siècle, le logo «I ♥ NY». Du jour au lendemain, l’emblème fait le tour de la planète, redorant au passage le blason de la ville.

Ce New-Yorkais de naissance a aujourd’hui 85 ans. Son atelier se trouve au deuxième étage d’une petite maison Art déco, à l’est de Manhattan. Sa table de travail est dénuée d’ordinateur. L’espace est décoré de peintures bouddhistes et d’œuvres orientales. Lui-même ressemble à un maître zen. Son bouc, son crâne rasé et ses yeux légèrement bridés lui confèrent un air de sage. «Je ne m’attendais pas à ce que le logo ait autant de succès, explique-t-il, avec sa contenance de philosophe. Les New-Yorkais aimaient vraiment leur ville, j’ai tout simplement retranscrit cette idée.»

Une révolution

Dans les années 90, Milton Glaser a participé à la résurrection d’un autre morceau de la Grande Pomme: Brooklyn, l’un de ses boroughs les plus pauvres et dangereux, devenu par la suite l’île la plus hype du globe. Au cœur de cette transformation se trouvait une bière: la Brooklyn Lager. «Je ne savais pas comment la vendre, se rappelle Steve Hindy, son créateur. Je voulais à l’origine mettre une image du pont de Brooklyn sur l’étiquette et l’appeler la Brooklyn Eagle.» Séduit par l’idée, Milton Glaser accepte de l’aider en échange de parts dans la société. Le graphiste conseille alors à Steve Hindy de nommer sa bière simplement «Brooklyn» et lui présente un logo épuré, avec un simple «B». Aujourd’hui, le breuvage se vend aux quatre coins du monde. Et il s’est imposé comme l’une des effigies de Brooklyn.

Sa passion pour cette ville est le fil rouge qui traverse l’œuvre de Milton Glaser. Quelques années après avoir fondé le studio Push Pin, il a lancé le New York Magazine, en 1968. Plus récemment, il a réalisé les affiches de la nouvelle saison de Mad Men, la série télévisée qui se déroule dans le New York des années 60. Une affiche multicolore inspirée d’un poster qu’il avait conçu pour Bob Dylan en 1966.

Alors que nous retraçons la carrière de cet homme qui a stimulé l’imagination du monde par son approche graphique audacieuse, le téléphone nous rappelle à la réalité. Milton Glaser porte le cornet à son oreille gauche puis peste: non, le prix proposé par son client n’est pas acceptable; non, il est fatigué de discuter avec lui; non, il ne veut pas faire les choses de cette manière. Sa voix est sèche. Il ne veut plus entendre parler de son client. Il raccroche.

Milton Glaser est un caractériel qui a les idées fixes. Ce tempérament lui a permis de développer son propre style en défiant le canon artistique de son époque: le design suisse. Quand Milton Glaser sort de l’école d’arts Cooper Union, en 1954, le graphisme est dominé par les codes du modernisme helvétique. «Tout le monde suivait les règles de ce mouvement», se souvient-il. Lui veut aller plus loin. «Tout avait déjà été imaginé dans le domaine. Comme je n’aurais jamais pu faire mieux, j’ai alors cherché à défier les règles pré­établies par les maîtres du design suisse, de la même manière que le modernisme avait affronté les règles de l’esthétique du XIXe siècle.» Le graphiste a ainsi inventé un style fluide, haut en couleur, dont s’est inspiré le psychédélisme des années 60 et 70, à l’opposé de l’austérité helvétique.

Ironie du sort, il travaille maintenant avec un Suisse: le chef Daniel Humm. Milton Glaser a conçu des ustensiles pour le prestigieux restaurant new-yorkais Eleven Madison Park. Il lui a notamment créé un porte-bouchon de vin. «Il s’agit probablement de l’objet le plus étrange que j’aie jamais créé.»

Aime-t-il toujours New York? Quelques secondes passent. Puis il lâche: «Oui, oui. Mais je crains pour son avenir. La gentrification de Manhattan est en train de transformer la ville en un terrain de jeu pour riches.» Trouvera-t-il de nouveau une idée pour sauver la ville de son cœur?

 


Sommaire:

Central Park, monument à ciel ouvert
Manhattan cow-boy
Le Lower East Side au plus haut
Devine qui vient au «diner»
- Un cœur qui bat rouge
Croquer dans la Grosse Pomme

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