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La chronique de Chantal Tauxe: l’année en trompe-l’œil de Didier Burkhalter

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Jeudi, 11 Décembre, 2014 - 06:00

Intouchable. Grâce à son année présidentielle, Didier Burkhalter est devenu incritiquable. La mue de cette souris grise en homme d’Etat reçu par les grands de la planète vaut la peine d’être revisitée, dans la perspective des défis qui l’attendent d’ici à 2017, année couperet pour la mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse», et donc pour la politique européenne, dont il a la responsabilité.

A la tête de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), le Neuchâtelois a délivré un sans-faute. Il a accompli tout ce qui paraissait nécessaire à la désescalade des tensions en Ukraine. Un parfait VRP de la paix. Mais la paix n’est pas qu’une affaire de bons offices, surtout lorsqu’elle doit s’établir entre un Poutine revanchard et des puissances occidentales qui ont formulé à l’égard des Ukrainiens des promesses qu’elles peinent à tenir. La «réussite» suisse est-elle au demeurant si surprenante? Notre diplomatie a toujours su mettre à disposition de la communauté internationale des négociateurs de haut vol, en 2014 ni plus ni moins qu’auparavant ou à l’avenir.

Avec sa double casquette présidentielle, Didier Burkhalter a vu des dizaines de ministres et côtoyé des chefs d’Etat plus qu’il n’est de coutume pour un primus inter pares helvétique. Cela lui a permis d’étoffer sa stratégie de contacts privilégiés avec les pays voisins, dont il espère, depuis son arrivée au Département des affaires étrangères, qu’ils pèseront de tout leur poids à Bruxelles pour favoriser les intérêts suisses. Cette optimisation diplomatique du «diviser pour régner» n’a jusqu’ici pas porté de fruits concrets. Dans leurs discours, les Allemands, les Italiens et même parfois les Français disent volontiers à quel point la Suisse est un partenaire précieux. Mais dans les conseils européens cette courtoisie se heurte mécaniquement à la solidarité communautaire.

Les dividendes diplomatiques à attendre de l’engagement pour l’OSCE sur le casse-tête des relations bilatérales existent peut-être sur le papier mais butent sur un obstacle structurel; si le monde nous sait gré d’avoir bien fait le job, la sécurité n’est justement pas un domaine qui lie les membres de l’Union européenne entre eux. L’OSCE n’est pas une institution de l’UE, mais un gremium informel.

Trois épisodes d’une autre nature ont dopé l’aura de Didier Burkhalter. Au lendemain du 9 février, sa réaction acérée à un journaliste alémanique qui lui demandait de s’exprimer en allemand: le président de la Confédération s’est fendu d’un plaidoyer pour le respect de la langue de Molière et de la minorité romande «qui devra faire avec cette décision, comme toujours». Il a alors démontré qu’il n’est pas dénué de convictions, qu’il est capable d’«habiter» sa politique malgré sa légendaire discrétion. S’il veut garder sa stature d’homme d’Etat, forgée sur le parquet international, il faut lui souhaiter d’autres francs coups de gueule à usage national.

Quelques semaines plus tard, Ueli Maurer, en exprimant ses doutes sur l’engagement de son collègue au sein de l’OSCE, a involontairement soudé tous ceux qui croient en une Suisse ouverte, à droite comme à gauche, derrière Didier Burkhalter. En septembre, un troisième événement a propulsé ce président vraiment «normal» au firmament de la notoriété branchée et globalisée: un cliché de lui seul sur le quai de la gare de Neuchâtel a été retwitté à l’infini. Le monde nous envie désormais ce président qui se déplace sans garde du corps et sans chichi.

Grandi par son bilan présidentiel, le Neuchâtelois rentré dans le rang saura-t-il restaurer nos relations bilatérales avec l’UE ou redeviendra-t-il un superapparatchik? De fait, c’est Simonetta Sommaruga, qui lui succède à la présidence, qui sera en première ligne: il n’y aura pas de solution institutionnelle sans résultat sur la libre circulation, et c’est la socialiste qui a la charge des problèmes migratoires. Les deux ministres s’entendent bien, la coordination du travail entre leurs départements devrait être optimale.

Le libéral-radical devra aussi s’employer à assurer sa ré­élection en décembre face à un Johann Schneider-Ammann qui apparaît affaibli, mais qui a, lui, gagné plusieurs fois en votation populaire, alors que son collègue romand n’a jamais reçu cette bénédiction depuis qu’il est à la tête du DFAE. Le 9 février, il a même perdu la principale votation de la législature, échouant à fédérer les soutiens des partis, de l’économie et des syndicats à la libre circulation des personnes. Pour Didier Burkhalter, 2014 est surtout une année en trompe-l’œil.

chantal.tauxe@hebdo.ch
Twitter: @ChantalTauxe
Facebook: chantal.tauxe
Blog: «Pouvoir et pouvoirs», sur www.hebdo.ch

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