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Amazon, la nouvelle tribune de Jeff Bezos

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Jeudi, 15 Août, 2013 - 05:55

POUVOIR. Les poids lourds de la Silicon Valley sont en quête de débats et d’influence politique. C’est ce que démontre l’acquisition du «Washington Post» par le fondateur d’Amazon.

Markus Brauck, Jan Friedman, Thomas Schulz

Au jour J +1 après la vente du Washington Post à Jeff Bezos, patron d’Amazon, les commentateurs utilisaient déjà des termes de manuel d’histoire: ils parlaient de tournant, d’ère, de césure. Le sauveteur venu de l’internet est ovationné puisque, dit-il, il croit non seulement à l’avenir du Washington Post mais à celui des journaux en général. Au jour J +4, le débat n’a pas progressé d’un pouce car aucun journal n’a posé la vraie question: que retire Jeff Bezos de l’opération?

On observe depuis quelque temps une tendance nette: riches à milliards, blasés de leurs succès et surpuissants, les poids lourds de la Silicon Valley s’efforcent de reporter leur influence économique et culturelle sur la scène politique.

Jusqu’alors, leur devise était: pourquoi se mêler des affaires de Washington où ne se côtoient que les médiocres qui ne réalisent rien? Mais peu à peu certains d’entre eux ont laissé deviner un avis différent. Ils se sont aperçus que la révolution numérique qu’ils pilotent changeait bel et bien le monde; qu’ils pouvaient bel et bien mettre en œuvre leur philosophie de la transparence totale. Mais que, pour ce faire, il leur fallait de l’influence politique. D’un coup, on a vu tous les grands noms du secteur s’intéresser à la politique: Mark Zuckerberg, de Facebook (et sa fidèle Sheryl Sandberg), la patronne de Yahoo!, Marissa Mayer, le président exécutif de Google, Eric Schmidt.

Jeff Bezos en fait aussi partie. Il a une vision d’entrepreneur qui ressemble à un projet politique. Son idée d’une disponibilité de toute chose en tout temps et en tout lieu, à laquelle il subordonne toute autre considération, est le projet hautement politique d’un commerce sans limites. Bezos n’est plus seulement le roi du commerce en ligne, il est associé à des projets spatiaux, aux recherches sur l’ordinateur quantique et à nombre d’autres innovations.

Du rejet à l’implication. Kevin Hartz fait partie de ces entrepreneurs actifs dans les IT (information technologies). A la fin des années 90, il revendait sa première société. Puis il s’est associé à des start-up qui, avec son aide, sont devenues des géants: PayPal, Pinterest, Airbnb. «Nous avons longtemps perçu la politique comme une baudruche, un processus bureaucratique. Qu’on nous laisse travailler, disait-on à la Silicon Valley. Mais nous avons maintenant compris que nous devions gagner en influence à Washington. C’est juste que nous n’en comprenons pas encore bien les mécanismes, nous sommes en train d’apprendre.»

L’achat d’un quotidien influent et prestigieux est une manière de faire ses classes en politique. Les prix des journaux se sont effondrés. En 2007, le groupe de presse du milliardaire Sam Zell, comprenant le Chicago Tribune et le Los Angeles Times, était encore estimé à 8,2 milliards de dollars. En Allemagne, cette année-là, le modeste Braunschweiger Zeitung valait 210 millions d’euros, nettement plus que le Washington Post aujourd’hui.

Le printemps dernier, Eric Schmidt, président de Google, a publié avec Jared Cohen, directeur de Google Ideas, The New Digital Age, qui constitue surtout une réflexion politique sur l’avenir de Google (et Sheryl Sandberg, de Facebook, a aussi pondu un ouvrage traitant des femmes en politique et du monde du travail).

L’œuvre de Schmidt et Cohen est une lecture éclairante qui montre pourquoi l’arrivée en politique des ténors du numérique est essentielle: l’évolution qu’ils prévoient pour les années à venir n’influencera pas seulement l’économie, elle remet foncièrement en cause la question des droits fondamentaux, car il en ira toujours plus de la fusion entre l’homme et la machine.

De leur côté, Mark Zuckerberg, de Facebook, et Marissa Mayer, de Yahoo!, se retrouvent dans un lobby appelé FWD. us actif dans la politique d’immigration et l’amélioration des formations scolaire et universitaire. Mais cela ressemble plus à un laboratoire chargé d’analyser comment s’organise l’influence politique. Et Zuckerberg a utilisé les colonnes du Washington Post pour donner de l’écho à ses idées: «Pour une nation d’immigrés, nous avons une curieuse politique d’immigration.»

Ce que l’on voit là est une révolution copernicienne par rapport aux générations précédentes de l’internet, sous l’égide de Steve Jobs et de Bill Gates. Les icônes de la Silicon Valley se tenaient ostensiblement à distance de la scène politique. L’an dernier encore, un dirigeant d’Apple disait qu’il était du devoir de son groupe de fabriquer les meilleurs produits, pas de résoudre les problèmes de l’Amérique. Ce temps est passé.

La nouvelle ambition est de montrer à un monde politique atone qu’il doit régler sa cadence sur celle de la Silicon Valley. L’élite du numérique n’a jamais été apolitique, elle ne s’est simplement pas occupée de politique. En vérité, elle est profondément idéologique. Ses racines plongent dans la contre-culture des années 60 à San Francisco. Aujourd’hui encore, elle est imprégnée de fantaisies utopistes et sous l’influence de penseurs libertaires ultra-individualistes. Elle voit les technologies comme le sommet du progrès de l’humanité, comme la poursuite de l’évolution par d’autres moyens. Selon la devise: «Pour chaque problème il existe une appli.»

©Der Spiegel
Traduction et adaptation: Gian Pozzy

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Reed Saxon, Keystone
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