COULISSES. Enfant de la République devenu binational, Sébastien Leprat conseille désormais Eveline Widmer-Schlumpf dans le contentieux avec la France sur le droit successoral. Ce qui fait grincer des dents au PLR, sa famille politique.
On ne l’a entrevu qu’une fraction de seconde sur les images du TJ le 11 juillet dernier à l’occasion de la signature d’une nouvelle convention sur les successions. L’homme qui est assis juste à la gauche d’Eveline Widmer-Schlumpf, reçue ce jour-là à Bercy par le ministre français de l’Economie et des Finances Pierre Moscovici, c’est Sébastien Leprat. Une place de choix pour un collaborateur scientifique au parcours extraordinaire. Ce Franco-Suisse de 42 ans – qui aurait pu se retrouver de l’autre côté de la table si l’amour n’était pas passé par là – conseille désormais la cheffe du Département fédéral des finances sur les questions fiscales et financières liées à l’UE et à la France.
En quittant le secrétariat général de la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro pour aller rejoindre Eveline Widmer-Schlumpf en juin dernier, Sébastien Leprat n’a pas choisi la facilité. Le voici plongé au cœur d’un dossier explosif, notamment en Suisse romande. Il doit défendre une convention dont les plus féroces détracteurs viennent du PLR, le parti dont il a été secrétaire latin durant huit ans.
Le meilleur avocat d’Eveline Widmer-Schlumpf. Dans son bureau du Bernerhof, Sébastien Leprat reste pourtant très zen au seuil de sa campagne d’explications auprès des députés des deux Chambres fédérales. Même s’il ressent un impérieux besoin de mettre beaucoup de choses au point: «Je n’ai pas du tout vécu la signature de cette convention comme une capitulation de la Suisse face à la France. Les médias ont complètement passé sous silence la reprise d’un dialogue sur les nombreuses questions encore ouvertes», insiste-t-il. Un point très positif pour la Suisse, qui a de plus obtenu un report de l’entrée en vigueur de la convention, de manière à pouvoir procéder à une éventuelle votation populaire.
Face aux critiques qui s’abattent en Suisse romande sur Eveline Widmer-Schlumpf, Sébastien Leprat est désormais son meilleur avocat. A Berne, pourtant, personne n’aurait parié un centime sur son retour au sein du secrétariat général de la Grisonne. N’était-ce pas elle qui, à peine élue au Conseil fédéral, l’avait engagé avant de s’en séparer au bout d’un an seulement? En l’absence de tout commentaire de part et d’autre à l’époque, on avait supposé que le courant n’avait pas passé entre ces deux personnalités que tout oppose. Autant la conseillère fédérale apparaît sèche et austère, autant le Franco-Suisse est jovial, convivial et tout en rondeur. Autant elle affronte les conflits sans crainte de s’y blesser, autant il préfère les éviter.
Des critiques au sein du PLR. Revoici donc Sébastien Leprat au cœur du pouvoir à Berne. Rien pourtant ne le prédestinait à devenir un haut commis de l’administration suisse. Bien qu’ayant eu des grands-parents helvétiques, ce Parisien du Vésinet est un pur enfant de la République. Fils de fervents gaullistes, il fait la Sorbonne en faculté de droit et entame une préparation pour entrer à l’ENA. Il finit par porter son choix sur sa petite sœur, les Instituts régionaux d’administration (IRA). C’est l’amour qui le fait dévier d’une voie toute tracée dans l’Hexagone!
Au début des années 90, un certain Adolf Ogi, ancien moniteur de ski ayant donné des cours à la maman de Sébastien Leprat, se souvient de cette femme. Il cherche une famille d’accueil pour sa nièce – Barbara Marti – qui veut apprendre le français à Paris. Les flèches de Cupidon n’atteignent les deux jeunes tourtereaux qu’au deuxième séjour de la belle dans la Ville lumière, en 1996.
Sébastien Leprat ne restera que trois ans secrétaire de mairie en France. Très vite, sa carrière bascule en Suisse. Il travaille notamment pour le PLR et pour la conseillère vaudoise Jacqueline de Quattro, qui en fait son secrétaire général. Il laisse un excellent souvenir à ses collègues. «C’est un bon stratège, un immense bosseur, un homme d’équipe d’une loyauté irréprochable, incapable du moindre coup tordu», disent tous ceux qui l’ont côtoyé.
Tout dernièrement, Sébastien Leprat s’est pourtant fait quelques solides inimitiés au sein de sa propre famille politique. En aparté, les plus critiques expriment une double amertume. Par deux fois désormais, le Franco-Suisse est parti travailler «chez l’ennemi», soit une conseillère fédérale que la majorité du groupe n’a pas élue au Conseil fédéral en 2007 face à l’UDC Christoph Blocher. Pire: Sébastien Leprat défend bec et ongles une convention sur les successions avec la France qui est «clairement défavorable» à la Suisse. Et cela leur est insupportable.
Ce binational n’a-t-il pas le cœur encore trop français? Est-il capable de gérer le conflit d’une double loyauté? «Il a peut-être été submergé par l’émotion de se retrouver quasiment dans la peau d’un vice-ministre en face de Pierre Moscovici. Cela se traduit par une certaine maladresse dans son attitude face aux parlementaires romands fustigeant cette convention», suppose un conseiller national. Ce que l’ex-vice-président du Parti radical suisse Léonard Bender, lui aussi double national franco-suisse, ne croit pas une seconde. «Sébastien Leprat est désormais un haut commis de l’Etat en Suisse d’une loyauté au-dessus de tout soupçon. Sa parfaite connaissance des mœurs politiques françaises est un atout pour Eveline Widmer-Schlumpf.»
Un binational convaincu. Interrogé sur ses références, le collaborateur de la ministre des Finances admet qu’elles sont avant tout françaises. Tout en précisant qu’il a voté «oui» au Traité de Maastricht en 1992, il ne cache pas son admiration pour le souverainiste Philippe Séguin, «ce rassembleur charismatique qui incarnait le mieux un gaullisme à la fois social et patriote». Sébastien Leprat cite aussi les intellectuels Raymond Aron et Pierre Rosanvallon.
Cela dit, Sébastien Leprat souligne qu’il se sent «pleinement binational» et ne pourrait, ni ne voudrait, devoir choisir pour l’un des deux pays. «Je me sentirais apatride. En Suisse, j’apprécie beaucoup la démocratie directe et le fédéralisme. De la France, je retiens un débat davantage axé sur les valeurs, alors qu’en Suisse, on a tendance à confondre celles-ci avec une politique d’intérêts.»
Eveline Widmer-Schlumpf a désormais un collaborateur à l’identité plurielle qui l’aidera à renouer des rapports plus cordiaux avec la France. Pas sûr pourtant qu’elle fera ratifier cette convention par le Parlement sur le front intérieur.
PROFIL
1971 Naissance à Paris.
1996 Maîtrise de droit (master) à la Sorbonne.
2000 Secrétaire au PLR, responsable pour la Suisse latine.
2008 Collaborateur personnel d’Eveline Widmer-Schlumpf au DFJP.
2009 Secrétaire général du Département de la sécurité et de l’environnement du canton de Vaud.
2013 Collaborateur scientifique au Département fédéral des finances.