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Genève: l’impossible défi du double-vitrage

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Jeudi, 8 Janvier, 2015 - 05:50

Enquête. Unique en Suisse, la réglementation du canton impose d’équiper tous les bâtiments de fenêtres économiques d’ici à 2016. Des investissements colossaux pour les propriétaires, qui font face à une pénurie de main-d’œuvre. L’Etat lui-même n’arrivera pas à rénover son parc immobilier dans les temps.

Séverine Géroudet

Avec ses 2780 logements, la cité du Lignon est l’une des plus denses du canton de Genève. La plupart de ses bâtiments, construits entre 1960 et 1970, possèdent des fenêtres d’origine, à simple vitrage. Le problème? Ces vitres ne répondent plus aux exigences énergétiques fixées par le canton. En effet, le simple vitrage laisse échapper près de 400 kilowattheures par année (l’équivalent de 40 litres de mazout), alors qu’un double-vitrage aux normes actuelles en laisse fuiter quatre fois moins (soit 100 kilowattheures par an). Et le Lignon n’est pas un cas isolé. Le parc immobilier genevois, constitué d’une majorité de bâtiments construits avant 1970, est l’un des plus vétustes de Suisse. Même s’il n’existe pas de chiffres précis, les professionnels de l’immobilier estiment que 20% des édifices ne possèdent pas encore de fenêtres aux normes.

Pourtant, l’ensemble du parc immobilier devra posséder des doubles-vitrages d’ici au 31 janvier 2016. Le canton est aujourd’hui le seul de Suisse à s’être fixé cet ambitieux objectif. Ce délai très court a semé un vent de panique dans le secteur: les propriétaires n’ont plus qu’un an pour effectuer les travaux nécessaires et ils craignent des sanctions en cas de retard. Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment (FMB), estime que beaucoup n’y parviendront pas. «L’Etat vient d’avouer que lui-même n’arriverait pas à tenir le délai! Après la date butoir, le parc immobilier de l’Etat ne sera pas complètement assaini. Il y a donc un problème d’égalité de traitement. L’Etat ne fait pas preuve d’exemplarité!»

Mais, alors que le canton avait adopté en 1989 déjà un délai de vingt ans pour assainir les fenêtres, pourquoi un tel retard? A l’approche de la première date butoir de 2009, les propriétaires se sont adressés au Conseil d’Etat pour la contester. «L’Etat a alors constitué un groupe de travail, réunissant des représentants des métiers du bâtiment et des propriétaires, et ce groupe a proposé une nouvelle échéance à 2016, raconte Olivier Epelly, directeur général de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN). Mais ce n’est qu’en début d’année que ce délai a été formalisé et la date du 31 janvier 2016 arrêtée.»

48 000 bâtiments

Pour Philippe Angelozzi, secrétaire général de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI) Genève, ce flou n’a pas incité les propriétaires à agir: «Même avec un délai de vingt ans, la faisabilité d’un tel projet paraissait osée. Le parc immobilier genevois représente en effet plus de 48 000 bâtiments et plus de 225 000 logements. La main-d’œuvre doit pouvoir répondre à la demande et il appartient à l’Etat d’accompagner et de faciliter la tâche des propriétaires.»

Or, les propriétaires se heurtent à de nombreux obstacles. Premièrement, pour tous les travaux autres que de l’entretien, ils doivent demander une autorisation de construire dont l’obtention peut prendre plusieurs semaines, voire des mois en fonction de la complexité du chantier. Face à l’urgence de la situation, le Conseil d’Etat a toutefois décidé en novembre dernier d’assouplir cette exigence. Résultat: les changements de fenêtres ne sont désormais plus soumis à autorisation de construire.

Si cette nouvelle mesure facilite la tâche de certains propriétaires, d’autres sont confrontés à un second problème de taille: la préservation du patrimoine. Genève compte près de 10 000 bâtiments protégés, sur lesquels on ne peut pas effectuer n’importe quels travaux. «Deux politiques publiques se contredisent, relève Philippe Angelozzi, de l’USPI. L’Office de l’énergie et l’Office du patrimoine et des sites s’opposent: l’un veut assainir tous les bâtiments, l’autre veut protéger le patrimoine bâti.»

Alors, afin d’accélérer également le processus pour les bâtiments protégés et d’éviter un laborieux traitement au cas par cas, l’Etat est de nouveau intervenu. Les fenêtres peuvent aujourd’hui être remplacées sans autorisation, pour autant que les matériaux d’origine, le partitionnement de la fenêtre (petits bois structurels) et l’architecture générale du bâtiment soient respectés. «A présent, seuls les bâtiments à valeur exceptionnelle, c’est-à-dire ceux classés ou mis à l’inventaire, nécessitent encore une autorisation de construire», explique Olivier Epelly, de l’OCEN.

Mais le sursaut des autorités est bien loin de convaincre tout le monde. Nicolas Rufener, de la FMB, émet des doutes sur ces nouvelles mesures. Selon lui, les interventions sur les immeubles protégés, qui nécessitent souvent un travail sur mesure, sont trop délicates pour se conformer à des règles établies. «De plus, avec le nouveau régime, les travaux sur les fenêtres sont considérés comme de l’entretien et non comme une amélioration du bâtiment. Il est alors difficile pour les propriétaires de faire valoir des changements sur le coût du loyer. Ils ne parviennent donc pas à amortir leur investissement.» Le remplacement des fenêtres est à l’entière charge des propriétaires.

«Plus l’immeuble est vétuste, plus la pose de double-vitrage représente un investissement financier élevé, mais pour un gain énergétique faible. Les propriétaires ne sont pas gagnants», constate l’architecte Didier Prud’hom, responsable des travaux au département immobilier de la Caisse d’assurance du personnel de la ville (CAP), elle-même propriétaire de nombreux bâtiments. Pour ses immeubles les plus anciens, la CAP a donc décidé de ne pas se contenter de changer les fenêtres mais d’en refaire complètement l’isolation. «C’est une stratégie gagnante car la rénovation globale d’un bâtiment permet de bénéficier d’un bonus à l’énergie offert par l’Etat et d’une participation des locataires par une légère augmentation de loyer, justifiée par de meilleures conditions d’habitation», explique l’architecte.

Start-up de la construction

Mais que l’on rénove uniquement les fenêtres ou l’ensemble de l’immeuble, les coûts pour les propriétaires demeurent considérables. Au milieu de ce chaos, seuls les vitriers ont le sourire, car leur secteur d’activité s’en trouve dynamisé. Kilian Riviera, fondateur de l’entreprise Kilian Riviera Immobilier, spécialisée dans la rénovation et la construction, se réjouit de la forte demande: «Notre entreprise n’existe que depuis une année et nous avons déjà remplacé près de 1500 fenêtres. Nous avons des commandes en attente pour près d’une année encore.» Cette «start-up du bâtiment» est d’ailleurs en train de décrocher un mandat d’envergure: le remplacement de près de 2000 fenêtres dans la cité du Lignon.

L’entrepreneur raconte cependant que près de 10% des petits propriétaires n’entrent même pas en discussion faute de moyens. Le volume des travaux extrêmement important qu’il reste à réaliser inquiète Nicolas Rufener, de la FMB: «L’échéance est proche. La demande va être très forte et ceux qui n’ont pas encore assaini leurs bâtiments risquent d’aller chercher de la main-d’œuvre ailleurs, à moindre coût. La concurrence va être féroce et les pressions seront fortes sur l’administration pour obtenir des dérogations.»

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