Interview. Le «grand vieux» du Parti libéral-radical met en garde les siens contre la tentation de renoncer à leur indépendance. Et dénonce les visées du tribun de l’UDC sur le parti.
Propos recueillis par Marcel Odermatt et Simon Marti
Un conflit sur l’orientation politique sévit ces temps-ci au sein du Parti libéral-radical (PLR). Etes-vous parfois tenté de vous réinvestir activement dans les événements?
Je ne suis plus en politique depuis onze ans et je ne suis pas en état de manque. Mais j’aimerais parfois rappeler que les opposants à l’EEE en 1992, par exemple l’UDC, ont misé sur les bilatérales et qu’ils les remettent en cause aujourd’hui avec l’initiative «Contre l’immigration de masse».
Comment le libéral-radical pur sucre Franz Steinegger se définit-il politiquement?
Je suis libéral-radical, point. Je suis mal à l’aise avec ce débat gauche-droite autour du PLR. Le problème est ailleurs: aujourd’hui, la politique suisse vit la même situation que l’Allemagne de la République de Weimar. Les extrêmes des deux côtés du Parlement réussissent à faire capoter n’importe quel projet par une alliance contre nature. C’est ce qui s’est récemment produit en politique sociale, de la santé et de la sécurité.
Mais où votre parti se sent-il appelé? Vers un centre très disputé ou à droite, vers l’UDC?
Je n’ai jamais considéré le centre comme une position politique. Je déconseille au PLR de se définir comme un parti du centre. Il est où, le centre? Quand gauche et droite sont toujours plus extrêmes, le centre emboîte le pas? Ce n’est pas une posture indépendante. Il en va de dossiers concrets sur lesquels le PLR doit affûter son profil.
Et, suivant le cas, collaborer avec l’UDC?
Bien sûr. Prenez le débat sur la Convention des droits de l’homme. Le PLR n’est pas contre la convention mais nous ne pouvons prétendre que tout se déroule pour le mieux. Nous ne pouvons voter en démocratie directe sur Schengen-Dublin quand, cinq ans plus tard, les juges de Strasbourg remettent en question le système. A long terme, en Suisse, cela ne marche pas.
Votre solution?
La Cour de justice doit se limiter à quelques décisions essentielles et ne pas fonctionner comme un super-Tribunal fédéral. Sans quoi, un jour ou l’autre, cela va casser.
Le président de l’UDC, Toni Brunner, propose au PLR un apparentement des listes sur le plan national pour les élections de 2015.
Pour le PLR, ce n’est pas bon. Les apparentements ont toujours été une affaire des partis cantonaux. A eux de décider si, pour eux, cela a du sens de s’apparenter avec d’autres partis, pas au PLR national. C’est un vieux rêve de Christoph Blocher que de phagocyter les radicaux. J’y vois un grand danger car, dans ce cas, le PLR n’a plus sa raison d’être.
Beaucoup de chefs d’entreprise se plaignent du fait que la Suisse serait devenue hostile à l’économie. C’est vrai?
Ça se peut. Nous nous portons si bien que nous pouvons nous permettre un tel scepticisme. Mais cela s’explique par la crise financière de 2008.
Mais ce sentiment a commencé plus tôt, avec le grounding de Swissair en 2001.
Oui, mais à l’époque cela a été exploité sans vergogne par Christoph Blocher qui trônait au milieu du fromage économique. En l’occurrence, il était secondé par l’actuel rédacteur en chef de la Basler Zeitung, Markus Somm, qui écrivait à l’époque pour le Tages-Anzeiger et qui, dans une interview, a permis à Blocher de mettre les turbulences de Swissair sur le dos du Parti radical.
Ce scepticisme à l’égard de l’économie n’est-il pas un problème pour un PLR libéral?
Bien sûr. On a réussi à imputer ces problèmes économiques au PLR. L’économie n’a pas de problème avec le PLR, c’est le parti qui a des problèmes avec l’économie. Mais puisqu’on parle de crise financière, il faut savoir que les gens qui en sont coresponsables ont pris leurs distances depuis longtemps d’avec le PLR. Et ils sont aujourd’hui proches d’un autre parti. Le PLR continue d’avoir d’excellentes relations avec l’économie réelle: avec le bâtiment, l’industrie des machines, etc.
Le Conseil fédéral est aujourd’hui dominé par le centre gauche. Des tabous bourgeois tels que la «police des salaires» et les quotas féminins tombent presque chaque semaine. Faut-il un changement au gouvernement?
Nous avons bel et bien au Conseil fédéral une configuration particulière. Eveline Widmer-Schlumpf est élue par le centre gauche. Si elle entend être réélue, elle doit tenir compte de ce camp. Cela entraîne des décisions que je rejette en tant que libéral-radical. Mais si les majorités ne s’infléchissent pas fortement à l’Assemblée fédérale, Madame Widmer-Schlumpf a toutes les chances de garder son maroquin. Tous les groupes doivent désormais se demander comment ils s’accommodent de la situation. Y compris le PLR.
Votre groupe a toujours affirmé qu’il ne soutenait pas Eveline Widmer-Schlumpf et qu’il ne le ferait pas en 2015 non plus.
Je me demande à quel point c’est la bonne stratégie. Naguère, lors des élections fédérales, on se lamentait du cartel de pouvoir formé par les grands partis. De nos jours, c’est devenu plus embrouillé pour les partis et les conseillers fédéraux. Il faudrait en tenir compte à l’occasion d’un état des lieux sans préjugés.
Vous avez présidé le conseil d’administration de la NZZ jusqu’en avril 2013. Et voilà que vos successeurs ont voulu installer à la rédaction en chef Markus Somm, proche de l’UDC, ce qui a soulevé des protestations. Pourquoi le navire amiral libéral navigue-t-il sans pilote?
Ce n’est pas à moi de commenter la décision du conseil d’administration. Mais ce que j’ai remarqué, c’est que la NZZ a un vaste lectorat et qu’elle n’est pas davantage l’organe de combat de l’économie que celui de la bourgeoisie de droite. La NZZ doit en prendre conscience. Les gens ne veulent pas un Stürmer (ndlr: hebdomadaire nazi 1923-1945) ni une nouvelle Weltwoche. Ils veulent un média largement diversifié avec des informations de qualité.
Mais Somm est membre du PLR…
C’est aussi un bon journaliste, un bon auteur. Mais il est étiqueté comme rédacteur en chef de la Basler Zeitung, un journal de Blocher. On peut le regretter ou le juger injuste, mais c’est ainsi qu’il est perçu.
Cela ne vous cause pas du souci que la NZZ recueille aujourd’hui surtout des éloges de la gauche?
Peut-être que l’on loue moins la NZZ que l’on dénonce Markus Somm. Quand on veut s’informer de manière exhaustive sur ce qui se passe dans le monde, il n’y a pas d’autre choix. Je ne crois pas que la gauche soit d’accord avec tout ce qui est écrit dans ce journal.
© SonntagsBlick
Traduction Gian Pozzy
Profil
Franz Steinegger
L’Uranais de 71 ans a été conseiller national de 1980 à 2003 et président du Parti radical-démocratique de 1989 à 2001. Juriste et avocat, il reste actif comme membre de conseils de fondation et d’administration. Il a renoncé en 2013 à ses mandats importants de président des conseils d’administration de la NZZ et de la Suva. Ayant atteint la limite d’âge statutaire à la tête du groupe éditant la Neue Zürcher Zeitung, il a cédé la place à Etienne Jornod, président exécutif de Galenica.