Eclairage. Les républicains américains font flèche de tout bois pour faire échouer l’accord sur le nucléaire iranien. Avec le premier ministre israélien Netanyahou, ils se mobilisent contre toute espèce d’entente. Et contre Barack Obama.
L’affront est spectaculaire: le républicain John Boehner, président de la Chambre des représentants, a invité à Washington le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui devrait s’adresser le 3 mars prochain aux deux Chambres du Congrès. Et cela sans prendre la peine d’en informer la Maison Blanche. A l’aide de ce stratagème, les républicains combinent deux objectifs: en politique étrangère, ils tentent de saboter les efforts d’Obama pour trouver un accord dans le litige avec l’Iran sur le nucléaire. En politique intérieure, ils présentent le président comme un bras cassé.
Quel rejet brutal de la vieille tradition américaine visant à chercher, en politique étrangère, des points communs par-delà les divergences partisanes! Non seulement la manière dont les républicains conduisent leur politique à Washington va à l’encontre des intérêts nationaux des Etats-Unis, mais elle met aussi en danger la diplomatie internationale.
Des intérêts communs
Cinq autres puissances négocient avec Téhéran aux côtés des Américains: la Russie, la Chine, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Ensemble, elles se sont proposé de déterminer avec Téhéran un accord politique cadre d’ici à mars et, d’ici à juillet, un règlement définitif dans le conflit avec l’Iran. Dans ses grandes lignes, l’accord serait le suivant: l’Iran réduit le nombre de ses centrifugeuses à gaz servant à enrichir l’uranium de 19 000, actuellement, à environ 4000. En échange, les sanctions économiques infligées à l’Iran seraient levées peu à peu.
Mais les jusqu’au-boutistes du Congrès américain l’exigent: ce ne sont pas 4000 centrifugeuses qu’ils veulent au terme des négociations, mais zéro. A l’instar de Netanyahou, ils sont persuadés que l’Iran ne fait que feindre sa disponibilité à céder; qu’en réalité, il entend n’être empêché de construire sa bombe atomique par rien et par personne. C’est pourquoi ils veulent encore accroître la pression et, plutôt que d’abolir les sanctions actuelles, en infliger de nouvelles. Dans son dernier discours sur l’état de l’Union du 20 janvier, Obama s’est indigné de la politique d’obstruction des républicains et a menacé de bloquer désormais par son veto toute loi visant à aggraver les sanctions. «De nouvelles sanctions, a-t-il dit, équivaudraient à garantir l’échec de la diplomatie.»
Les perspectives de mener les négociations à un terme heureux n’ont jamais été grandioses. Mais, désormais, leurs chances se sont encore amenuisées. Car Téhéran compte aussi son lot de jusqu’au-boutistes. Des gardiens de la révolution au guide spirituel Ali Khamenei, tous les adversaires d’une entente avec le «grand Satan» américain et le «petit Satan» israélien se sentent confortés dans leur défiance.
Dénoncée par le New York Times, la «rupture avec la raison et la diplomatie» de John Boehner arrive en un moment où l’influence iranienne augmente au Moyen-Orient. Comme l’écrit The Economist, Téhéran donne déjà le ton dans trois capitales arabes: Bagdad, Damas et Beyrouth. S’y ajoute désormais Sanaa, capitale du Yémen, où les milices chiites des Houthis ont pris le pouvoir. Dans la guerre contre les bandes assassines du soi-disant Etat islamique, il y a clairement des intérêts communs entre l’Occident et l’Iran, qui ne pourraient peut-être pas aboutir à une collaboration directe mais au moins à un dialogue sur une responsabilité commune et sur le rôle d’une puissance régionale.
Une stratégie dangereuse
C’est pourquoi l’échec des négociations sur le nucléaire iranien aurait des répercussions stratégiques immenses. La plus dangereuse: une course à l’armement nucléaire dans la région. Les centrifugeuses des sites atomiques iraniens tourneraient à plein régime et le breakout redouté, soit le délai dans lequel l’Iran pourrait construire sa bombe avec le matériau fissile qu’il possède, en serait inévitablement raccourci.
Comment pourraient réagir les républicains et Netanyahou? Par une opération militaire? Ou espèrent-ils continuer de ruiner l’économie iranienne par d’autres sanctions et obtenir ainsi une capitulation face à leurs exigences?
En invitant Netanyahou, les républicains ont clairement lancé la campagne électorale 2016. John Boehner a invité le premier ministre israélien à parler devant le Congrès des «très sérieuses menaces de l’islam radical et de l’Iran sur notre sécurité et sur notre style de vie». Même s’il ne le dit pas, la politique de Barack Obama lui semble trop molle et trop accommodante. Son message revient à dire qu’avec les démocrates la sécurité de l’Amérique est en de mauvaises mains.
Rien d’étonnant à ce que les portes de la Maison Blanche restent fermées au chef du gouvernement israélien lors de sa future visite. Même le secrétaire d’Etat John Kerry ne veut pas le rencontrer. Allez savoir si Netanyahou, qui affrontera des élections parlementaires le 17 mars, en tirera bénéfice pour son pays et lui-même.
Mais le pire réside dans les répercussions pour la sécurité au Moyen-Orient. La manière cavalière avec laquelle les républicains sabotent le travail du gouvernement Obama pourrait faire échouer les négociations avec l’Iran dans la dernière ligne droite. Il pourrait en résulter ce conflit que la communauté internationale s’efforce de contenir depuis douze ans et qui est jugé comme le plus dangereux de tous par le plus grand nombre. Et cela au moment même où le Moyen-Orient brûle, une fois de plus, de toutes parts.
© Die Zeit Traduction et adaptation Gian Pozzy