Dossier. Les Romands font bonne figure à Berne. Les meilleurs d’entre eux, tous plurilingues, jouent dans la cour des grands. Mais combien de temps encore va durer cette période faste?
Il faut s’en réjouir: les Romands connaissent une période faste sous la Coupole à Berne. Deux conseillers fédéraux dont la NZZ am Sonntag affirme qu’ils sont les plus en vue du gouvernement, trois présidents des cinq plus grands partis, deux secrétaires d’Etat sur cinq, voilà qui dénote une présence plus que respectable. Et au Parlement? Le classement de L’Hebdo, réalisé sur la base des témoignages d’une quinzaine d’observateurs professionnels, ne laisse planer aucun doute. Le plus influent des Romands est Christian Levrat. La plupart des Alémaniques que nous avons interpellés le reconnaissent: le président du Parti socialiste est probablement aussi l’homme le plus influent de Suisse après la retraite du tribun de l’UDC, Christoph Blocher, qui disait s’ennuyer au Palais.
Pour s’en convaincre, il suffit de se plonger dans une récente interview de la très conservatrice Weltwoche. La première question fait place à une remarque admirative: «Nous vous félicitons, M. Levrat, car vous avez déjà atteint votre but électoral en 2015. Vous avez réussi à diviser le PLR et l’UDC sur la question des apparentements.»
Le Gruérien s’y entend pour exercer une grosse pression sur ses adversaires, comme le montre l’exemple de l’éventuelle alliance de la droite. Or, cette question sera cruciale cet automne à l’heure de renouveler le Conseil fédéral et son actuelle majorité de centre gauche: elle peut faire gagner ou perdre six ou sept sièges.
Les Romands ont aussi joué un rôle majeur dans un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui s’est renforcé ces dernières années. Réputé pour être très conservateur voici quinze ou vingt ans encore, le Conseil des Etats s’est recentré sous l’impulsion de la gauche romande, avec les deux tandems de l’arc lémanique (Liliane Maury Pasquier/Robert Cramer pour Genève et Géraldine Savary/Luc Recordon pour Vaud). Mais cette arrivée en force n’en est pas le seul moteur. L’arc jurassien joue aussi son rôle, lui qui a envoyé au Sénat des personnalités de centre droit très indépendantes d’esprit, comme Raphaël Comte (PLR/NE), probable futur président du Conseil des Etats, et Anne Seydoux-Christe (PDC/JU). Après l’échec des trois têtes de l’UDC Toni Brunner, Christoph Blocher et Adrian Amstutz d’y accéder en 2011, le Conseil des Etats est donc resté cette «chambre de réflexion» épargnée par le populisme.
En ce qui concerne le Conseil national, en revanche, le bilan est moins brillant. Les Romands y ont perdu en influence, même s’ils accomplissent leurs tâches parlementaires avec engagement. La raison en est simple: à part Isabelle Chevalley, ils sont absents des rangs des deux petits partis qui jouent désormais le rôle d’arbitre lors des votes: le PBD de la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf et les Vert’libéraux du président Martin Bäumle.
Alors que les élections fédérales auront lieu cet automne, le classement de L’Hebdo a choisi de se concentrer sur l’influence des députés. La force de proposition, la maîtrise des dossiers ne suffisent pas, il faut encore savoir imposer son idée. A ce titre, de manière générale, le niveau des Romands s’est relevé en raison de leur professionnalisation. Derrière le trio des poids lourds, l’immense majorité des autres ne fait pas que de la figuration. En commission notamment, ils abattent eux aussi un travail remarquable, même si celui-ci est beaucoup moins médiatisé. Les dilettantes ont quasiment disparu de la députation welsche, même si quelques élus situés sous la barre des 15 points devraient s’interroger sur l’opportunité de se représenter.
Paresse linguistique des Alémaniques
Dans les vingt premières positions du classement ne figurent quasiment que des personnalités dont la politique est devenue prioritaire dans leur emploi du temps. Ce d’autant plus qu’elles ont le plus souvent un nouvel atout en main: une bonne connaissance de la langue allemande, parfois même du dialecte. «Les Romands parlent beaucoup plus l’allemand qu’auparavant, alors que les Alémaniques sont devenus plus paresseux à cet égard, eux qui n’ont pas besoin du français pour s’imposer», note un lobbyiste alémanique suivant le Parlement depuis plus de trente ans. «Or, la langue est un pont à l’heure de conclure des compromis», ajoute-t-il. Le prototype du Romand qui se lamente de son statut de minoritaire et qui en fait son principal fonds de commerce a pratiquement disparu, notent beaucoup d’observateurs. «Les Romands ont compris qu’il fallait chercher le contact avec les Alémaniques. On ne fait pas de majorité en restant entre soi», résume un député.
Sur le plan politique, ce classement consacre l’actuelle suprématie de deux partis, le PS et le PDC, chez les Romands. Il est aussi un constat d’échec pour le PLR, loin de refléter la qualité des personnes qui siègent pour ce parti dans les gouvernements cantonaux. Le premier de ses députés, Christian Lüscher, n’est que dixième. Voici vingt ans, les ténors s’appelaient Pascal Couchepin, Claude Frey ou Gilles Petitpierre.
Changement de leadership en vue
Concernant les députations cantonales, la présente législature amorce un prochain changement de leadership. Fribourg reste en tête, mais sa délégation, qui compte trois membres presque inconnus, s’est affaiblie. Derrière le canton bilingue, Vaud revient en force: sa députation gagne deux rangs par rapport à 2010. Elle est désormais très équilibrée avec son lot de riches personnalités souvent détonantes (Olivier Feller, Fathi Derder, Jacques Neirynck ou encore Isabelle Chevalley), même si celles-ci ne pèsent guère dans leur parti.
La mauvaise surprise vient de Genève, qui dégringole au dernier rang! Sa députation a été laminée en cours de législature par trois départs pour le Conseil d’Etat, mais cela n’explique pas tout. Elle continue de souffrir de ses maux ancestraux: ses divisions intestines et un mauvais réseautage avec la Suisse alémanique.
Il faut en être conscient, dans quatre ans, tout aura peut-être changé, et il y a fort à parier que l’influence des Romands aura régressé. Parce que les deux poids lourds du PDC, ceux qui ont marqué ce parti de leur empreinte ces huit dernières années, auront quitté la scène: après trois législatures, le Valaisan Christophe Darbellay ne peut se représenter au Conseil national et doit donc abdiquer la présidence du parti. Pour sa part, le Fribourgeois Urs Schwaller, un peu en retrait après l’échec de sa candidature au Conseil fédéral, a décidé de mettre un terme à sa carrière sous la Coupole. Quant à Christian Levrat, qui n’a que 45 ans, il décidera après les élections s’il veut mener son parti aux élections de 2019. C’est dire si les Romands ne doivent pas bouder leur force de frappe actuelle.
Collaboration Fatima Sator et Sou’al Hemma
MÉTHODOLOGIE
Comment les parlementaires sont-ils notés? L’Hebdo a évalué l’influence des parlementaires selon les critères suivants: les commissions auxquelles ils appartiennent, leurs responsabilités, leur efficacité en commission, leur faculté à trouver des compromis, leur réseau en Suisse alémanique et leur cote dans le parti. Toutes les commissions ne se valent pas: la plus importante est la Commission de l’économie et des redevances (CER), créditée de 5 points. Suivent: les Commissions de la santé (CSSS) et de l’aménagement du territoire (CEATE), 4 points; les Commissions des transports (CTT), des finances (CdF) et des institutions politiques (CIP), 3 points; les Commissions de la science (CSEC), de la politique extérieure (CPE), de la sécurité (CPS) et de gestion (CdG), 2 points; enfin, les Commissions des affaires juridiques, de rédaction et judiciaire, 1 point. Les autres critères sont crédités de 1 à 10 points.
La présidence d’un parti, d’une grande association, d’une chambre et d’une commission donne droit à 2 points supplémentaires; la vice-présidence à 1 point. La présence dans les médias se base sur les données suisses des médias de presse écrite (SMD) durant la présente législature. La présence sur les réseaux sociaux (Twitter) et le taux d’absentéisme (voir politnetz.ch) n’ont pas été notés.
CLASSEMENT COMPLET DES PARLEMENTAIRES ROMANDS
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CLASSEMENT PAR CANTONS ET PAR PARTIS
DANS LE MÈME DOSSIER
-Fribourg, un règne qui touche à sa fin
-Valais, une législature cauchemardesque
-Neuchâtel, deux autogoals qui font mal
-Jura, toujours pas de relève à l’horizon
-Genève, la chute vertigineuse