Décodage. La mise sur orbite politique de Roger Köppel révèle que l’UDC manquait d’une relève du calibre de Christoph Blocher. Et que la «Weltwoche» était bel et bien devenue le porte-voix de l’UDC, malgré toutes les dénégations de son rédacteur en chef.
Jeudi 26 février, Roger Köppel annonce sa candidature au Conseil national sur la liste de l’UDC zurichoise lors d’une conférence de presse à laquelle se précipitent près de 50 journalistes. Le lendemain, le Tages-Anzeiger voit déjà le rédacteur en chef de la Weltwoche succéder à Ueli Maurer au Conseil fédéral en 2019.
Que s’est-il passé pour que la presse alémanique s’embrase à ce point? Roger Köppel est l’un des éditorialistes les plus lus du pays, le plus controversé en tout cas. Partisan d’un journalisme de la provocation jouant la carte de l’«anti-mainstream», sa plume est souveraine jusque dans le déni de réalité des faits, ses convictions souverainistes jusque dans l’absolutisme.
En 2001, il a repris la Weltwoche lors d’une opération financière très opaque, sur laquelle il ne s’est jamais expliqué. Il lui a conféré une ligne très proche de celle de l’UDC tout en lui permettant de devenir un acteur politique influent.
En fait, cette candidature révèle surtout deux aveux implicites de l’UDC. Celle-ci a beau être le plus grand parti de Suisse, avec ses 26,6% des suffrages recueillis en 2011, elle était jusqu’ici incapable de trouver un vrai successeur digne du patriarche Christoph Blocher.
Certes, la relève existe en son sein (voir notre article du 31 juillet 2014). Mais ni l’ancien secrétaire général Gregor Rutz, ni le banquier Thomas Matter ou encore le titulaire d’un MBA de Harvard Thomas Aeschi n’ont l’envergure ni la foi d’un Roger Köppel.
Avec lui, c’est un nouveau messie qui émerge. Non seulement le rédacteur en chef et éditeur – titre dont il est très fier, car auréolé d’un statut d’entrepreneur – souscrit à toutes les thèses de Christoph Blocher: indépendance de la Suisse face à l’UE, neutralité stricte, respect de la volonté populaire, mais aussi besoin de lutter contre l’actuel «gouvernement de gauche».
Une ferveur missionnaire
Surtout, Roger Köppel partage la même ferveur missionnaire que Christoph Blocher, qui avait sillonné la Suisse avant de gagner le vote sur l’Espace économique européen (EEE) en 1992. Comme lui, il justifie son combat par l’impérieuse nécessité de «sauver une Suisse au bord du gouffre».
Après la votation du 9 février 2014, Roger Köppel a lui aussi entrepris une tournée de conférences pour persuader son auditoire – à vrai dire déjà converti – que le peuple suisse avait pris la bonne décision. A chaque fois, il emballe des salles combles par ses harangues à la Fidel Castro durant près d’une heure et demie.
Même s’il n’a pas le charisme de son mentor, l’éditorialiste remplit toutes les conditions pour jouer les gardiens du dogme au groupe parlementaire de l’UDC.
La mise sur orbite politique de Roger Köppel traduit aussi l’aveu que la Weltwoche était bel et bien devenue ces dernières années l’organe de campagne de l’UDC. «La candidature de Roger Köppel est bonne pour lui, bonne aussi pour l’UDC, même si elle risque de créer des tensions intestines, mais c’est une mauvaise nouvelle pour la Weltwoche», confie l’un de ses anciens collaborateurs.
En 2011, le magazine, malgré sa ligne blochérienne, n’avait pas hésité à faire tomber Bruno Zuppiger, le candidat UDC qui devait conquérir un second siège au Conseil fédéral et qui a dû jeter l’éponge après avoir été impliqué dans une affaire d’abus de confiance.
Reste à savoir jusqu’où ira Roger Köppel, dont beaucoup disent qu’il est dévoré par l’ambition. «C’est un égomane qui a décidé de ne plus se contenter d’écrire des éditoriaux. Pour lui, le Conseil national ne peut être qu’un tremplin vers le Conseil fédéral», dit un autre de ses anciens collègues.
