Dossier. Franc fort, frein à l’immigration, économie en berne, les acheteurs ne se bousculent plus pour acquérir n’importe quoi. Surtout dans les régions les plus chères comme l’arc lémanique.
Attirante, cette maison villageoise de 5,5 pièces à Yens, près de Morges. Son prix? près de 1,7 million de francs. Et cet appartement de 101 mètres carrés à Satigny, aux portes de Genève? Plus d’un million. Et cette promotion de 4,5 pièces à Bulle? 570 000 francs. Difficile de croire, à la lecture de ces prix, que la valorisation des logements se tasse depuis plus d’un an. Et pourtant c’est le cas.
«Les écarts entre les prix affichés et effectivement payés ont rarement été aussi importants qu’aujourd’hui», soulignent plusieurs acteurs et experts de la branche. Il n’est ainsi pas exceptionnel qu’un acheteur parvienne désormais à obtenir une baisse de 15% près de Genève ou de 10% dans l’agglomération lausannoise, et de gagner quelques avantages dans des régions comme le Nord vaudois, la Gruyère ou encore le Chablais, qui se sont beaucoup développées lorsque l’offre en logements était devenue rare entre Genève et Lausanne.
Inversion de tendance
«Si le recul des prix sur l’arc lémanique se poursuivra, sans prendre des proportions très importantes, c’est cependant la stabilité qui va dominer ailleurs en Suisse romande», précise Hervé Froidevaux, associé de Wüest & Partner, une société d’analyse du marché immobilier à Genève.
La soudaine hausse du franc après l’abandon du taux plancher par la Banque nationale, à la mi-janvier, a été le dernier coup de massue sur un marché entré en déclin depuis plusieurs mois. Avec le renforcement de la devise suisse et le brutal assombrissement des perspectives de l’économie qui en découle, c’est toute une catégorie d’acheteurs, inquiets pour leur carrière, qui risque de disparaître.
Mais, de l’avis général des experts et des professionnels, il est encore trop tôt pour en mesurer les effets. Même les taux hypothécaires, après leur forte baisse de l’an dernier, sont restés au niveau de la fin de 2014: entre 1,5 et 2% pour des emprunts à dix ans. De quoi stimuler la demande de crédits, sans l’accélérer (lire l’encadré).
Cette inversion de tendance, après une bonne quinzaine d’années de hausse continue des prix, est due aussi à l’arrivée sur le marché d’une foule de nouveaux logements dont certains ont été bloqués par de longues procédures avant de pouvoir être construits.
D’autres projets sont encore annoncés pour ces trois prochaines années, tels que l’écoquartier des Vergers, à Meyrin (GE), avec ses 1250 logements disponibles d’ici à la fin de 2017.
Eléments supplémentaires ayant perturbé le marché: les restrictions à l’accès au crédit hypothécaire édictées par la Finma (le gendarme de la finance), la Banque nationale et l’Association suisse des banquiers. Depuis, tout acquéreur a l’obligation de fournir au moins 10% des fonds propres nécessaires à l’achat de son logement sans recourir à sa prévoyance professionnelle. Il doit aussi payer lui-même les coûts de transaction (notaire, etc.: des milliers de francs), amortir plus vite sa dette et prouver plus qu’avant qu’il est solvable même si les taux d’intérêt se tendent.
Le piège de l’appel de marge
Dans un marché à la baisse, les futurs propriétaires, comme les récents d’ailleurs, ont encore un sujet de réflexion: le risque de l’appel de marge, ou amortissement extraordinaire. Ces deux expressions décrivent l’exigence de remboursement partiel qu’une banque peut exprimer envers son débiteur hypothécaire dont la maison voit son prix baisser fortement. Si celui-ci passe en dessous de la valeur du gage (le montant de la cédule hypothécaire), le prêt n’est plus couvert. Aussi, la banque a la possibilité d’imposer le paiement de la différence, qui peut s’élever à plusieurs dizaines de milliers de francs. Le propriétaire malchanceux s’expose ainsi à devoir revendre son logement à perte.
Fin de cycle
Le promoteur vaudois Patrick Delarive veut voir du positif dans les mesures restreignant l’acquisition d’un bien. «Elles calment un marché qui était en train de s’emballer. Mais il aurait fallu les répartir tout au long de la période de croissance. Or, elles arrivent presque toutes en même temps, alors que le cycle haussier est parvenu à son terme!» L’homme d’affaires, comme la plupart de ses confrères, aurait préféré des dispositions plus indolores.
Il est vrai que l’impact recherché par les autorités, à savoir un ralentissement de la demande de crédits hypothécaires, s’est fait ressentir au moment où le peuple suisse a pris une décision lourde de conséquences pour son avenir, l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse le 9 février 2014. Et que ce texte, s’il n’exerce pas d’effets immédiats, crée une grande incertitude quant à l’immigration à venir, et donc à la croissance démographique.
Une offre excédentaire de nouveaux logements, couplée à une demande affaiblie, ne manqueront pas d’exercer une pression sur les prix, constatent praticiens et experts du marché de l’immobilier. Mais dans quelle proportion? «Très variable selon les régions», répondrait ce cher M. Watson si cette question était posée par Sherlock Holmes.
LE BATEAU IVRE DES TAUX D'INTÉRÊTS
Les taux d’intérêt fixes à dix ans passaient l’été dernier sous le seuil des 2%. Jamais ils n’étaient autant descendus, et il paraissait difficile qu’ils continuent à décliner. Fallait-il acheter à ce moment-là, comme le suggérait L’Hebdo? La réalité a dépassé la fiction, puisque le marché suisse du crédit est entré, à la mi-janvier, dans l’ère des taux d’intérêt négatifs.
«Pendant quelques jours suivant la décision de la Banque nationale de mettre fin au taux plancher et d’introduire des taux négatifs, les banques ont été désorientées et les taux hypothécaires ont brièvement plongé», explique Roland Bron, de Vermögens-Zentrum, gérant de fortune. «Un de mes clients a même pu obtenir le taux exceptionnel de 0,77% pour un emprunt à 10 ans!» sourit le conseiller financier Stéphane Defferrard. Fin janvier toutefois, l’ordre était revenu sur le marché du crédit et les banques avaient relevé leurs taux. Désormais, un emprunt fixe à 10 ans se négocie entre 1,5 et 2% auprès des banques, un peu moins auprès des compagnies d’assurances et des caisses de pension, moins souples et plus exigeantes par ailleurs.
Le taux fixe, aussi avantageux puisse-t-il paraître, n’est pas forcément la meilleure formule tant que les taux n’amorcent pas de remontée. Un emprunt au Libor se révélerait être une meilleure solution pour qui s’intéresse à l’évolution des marchés financiers, soutient Roland Bron. Ce taux, renouvelé tous les trois mois, se fixe généralement à 100 points de base (1 point de pourcentage) au-dessus des taux de marché. Or, ils sont actuellement à – 0,86%. Et cela pourrait continuer une bonne partie de l’année 2015.
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