Zoom. Acteur incontournable des défilés, la plateforme de partage d’images et de vidéos dicte implicitement ses règles pendant les fashion weeks. Gare à l’overdose.
Le sourire benêt et le nœud de cravate serré, il pose aux côtés de Jean Paul Gaultier, Karl Lagerfeld, du top Karlie Kloss ou de la critique de mode Suzy Menkes. Il a même osé le selfie dans le mythique appartement de Gabrielle Chanel, rue Cambon.
Lui, c’est Kevin Systrom, cofondateur et directeur général d’Instagram, 31 ans et déjà plus d’un milliard de francs au compteur. Début mars, le Californien s’est rendu à Paris à l’occasion de la fashion week. Le but de sa visite?
«S’immerger» au cœur d’une communauté – la mode – qui utilise religieusement sa plateforme de partage d’images et de vidéos. Bien entendu, il a lui-même tout documenté sur son compte «Insta».
La bobine du patron d’Instagram ad nauseam pendant une fashion week: la boucle est bouclée. Car du premier rang à la zone des standing – les parias sans siège attribué – rares sont ceux qui assistent à un défilé sans smartphone à la main, prêts à dégainer du pouce pour alimenter le réseau social, visuellement plus impactant que Facebook ou Twitter.
A une époque où la popularité se mesure en nombre de like, partager une photo de fashion show permet de se démarquer socialement, de faire partie, au moins virtuellement, du très élitiste milieu de la mode.
Devenus leur propre média, les spectateurs utilisent leurs clichés pour raconter leur propre expérience, leur propre histoire des défilés.
Depuis environ trois ans, Instagram a donc totalement redéfini les règles autour des podiums: trouver la meilleure tenue, le meilleur angle, la meilleure lumière pour prendre la meilleure image, telles sont les nouvelles obsessions des invités. Impossible pour les créateurs de ne pas en tenir compte.
Tendance prêt-à-partager
Avec des photos de défilés visionnées et «likées» par des milliers de personnes en quelques minutes, Instagram se révèle pendant les fashion weeks aussi efficace (et beaucoup moins cher) qu’une traditionnelle campagne de pub. La mise en scène des shows s’en ressent.
Les designers de mode doivent non seulement émerveiller leurs invités, mais aussi leurs innombrables followers. Concevoir des expériences uniques, mémorables. Et prêtes-à-partager. A l’arrivée, on assiste à une surenchère d’ornements dispendieux, de lumières et d’effets spéciaux parfois tapageurs.
Dans la catégorie meilleur défilé-spectacle, la palme revient sans conteste à Chanel, qui transforme chaque saison le Grand Palais, à Paris, en décor cinématographique, tantôt supermarché, tantôt boulevard haussmannien. Cette semaine encore, Karl Lagerfeld a fait exploser les compteurs Instagram avec sa magnifique «Brasserie Gabrielle».
De la scénographie des défilés, l’effet Instagram s’étend au design des collections. Parce que les vêtements sont désormais scrutés sur des écrans bidimensionnels, les volumes s’aplatissent, les coupes se simplifient, les motifs géométriques et les couleurs flashy pullulent.
Certains exemples sont des réussites, comme la collection de la jeune Française Christine Phung et ses élégants tissus imprimés de formes abstraites et violacées. On est bien loin de Milan et du pétage de plombs pourtant acclamé de Donatella Versace, qui a tenté de propulser sa marque dans l’ère numérique avec des minirobes bariolées et saturées d’arobases, de hashtags et autres émoticones en sequins.
C’est l’un des principaux problèmes des défilés à l’ère d’Instagram. Les collections – bonnes ou mauvaises – sont souvent éclipsées par une mise en scène extrêmement photogénique. La plupart des invités manquent la présentation des vêtements, tous obsédés qu’ils sont par leurs photos ratées.
Car soyons lucides: il est très difficile de prendre une bonne photo de mannequins en mouvement avec un téléphone, surtout quand vos voisins essaient de faire la même chose. Au culte de l’image, certains refuzniks opposent des présentations intimistes. Viktor & Rolf ont ainsi offert leur dernière collection de prêt-à-porter dans un salon parisien et sur rendez-vous. D’autres interdisent carrément l’usage des smartphones. Et tant pis pour le selfie avec Kevin Systrom.