Enquête. Romands et Tessinois sont sous-représentés dans cinq des sept départements aux plus hautes sphères du pouvoir de l’administration. Selon les chiffres exclusifs que révèle «L’Hebdo», un énorme travail reste à faire pour mieux respecter les Latins à Berne.
Il était temps! Cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi sur les langues en 2010, le Conseil fédéral publie pour la première fois des chiffres précis concernant la présence des minorités latines dans les plus hautes sphères de l’administration.
Les Romands y sauvent l’honneur grâce au seul Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), mais dans cinq départements sur sept les valeurs cibles en matière de présence des Welsches ne sont pas atteintes. Quant aux Tessinois, tout le monde s’en moque et semble avoir oublié leur existence.
Il aura donc fallu deux ans à l’administration fédérale pour confirmer une enquête que L’Hebdo avait réalisée en moins de deux semaines (voir notre édition du 25 avril 2013). Mais ne cachons pas une bonne nouvelle tout de même. Le Conseil fédéral donne enfin l’impression de prendre le dossier au sérieux.
Dans un premier temps, en août 2014, il a renforcé les compétences de la déléguée au plurilinguisme Nicoletta Mariolini lors de la révision d’une ordonnance. Aujourd’hui, il joue la carte de la transparence des statistiques que l’Office du personnel – comme par hasard l’un de ceux qui comptent dramatiquement peu de Romands (8% seulement) – avait longtemps refusé de détailler.
Surtout, le Conseil fédéral commence à esquisser une politique globale de promotion du plurilinguisme, en sollicitant tous les départements concernés. Il veut aussi agir pour lutter contre les «disparités avérées» entre régions linguistiques dans le domaine des marchés publics. Et il prévoit des mesures dans le message sur la culture.
Voici deux ans, notre magazine s’était concentré sur 200 hauts fonctionnaires, allant des chefs des ressources humaines aux secrétaires généraux des départements.
Outre une statistique générale qui montre que les minorités sont correctement représentées sur l’ensemble des effectifs, le rapport du Conseil fédéral a affiné son analyse en se penchant sur les 127 personnes des classes 34 à 38, soit celles dont le revenu avoisine ou dépasse les 250 000 francs par an.
Moyenne trompeuse
C’est là que tout se gâte. A première vue, rien de dramatique pour les Romands, dont les valeurs cibles sont respectées avec un taux de présence de 21,9%. Mais ce résultat n’est dû qu’à leur nette surreprésentativité au sein du DFAE (31%), conduit depuis des décennies par l’un des leurs, aujourd’hui Didier Burkhalter.
Partout ailleurs, l’inquiétude est de mise. A l’Intérieur, le fief d’Alain Berset, qui avait des valeurs exemplaires en 2008, les a perdues, tout en restant juste dans la cible (22%). Dans les cinq autres départements, les Romands sont sous-représentés.
Il faut même tirer la sonnette d’alarme à l’Economie de Johann Schneider-Ammann (14%), aux Transports et à l’Energie de Doris Leuthard (10%) et à Justice et police de Simonetta Sommaruga (7%).
Le rapport d’évaluation se montre particulièrement cruel pour cette dernière, qui est pourtant la seule ministre à répondre avec aisance dans les trois langues nationales aux conférences de presse. Aucun autre département n’est aussi déséquilibré que le sien à sa tête: 93% des plus hauts commis de l’administration y sont germanophones.
C’est franchement choquant (bien que le nombre de fonctionnaires potentiellement concernés soit le plus bas)!
Cohésion nationale menacée
Si les Romands semblent bien considérés grâce au DFAE, les Tessinois n’ont que les yeux pour pleurer. Ils ne fournissent que 4,8% des cadres des classes 34 à 38, alors qu’ils devraient atteindre des valeurs oscillant entre 6 et 8%.
Voilà qui ne va pas améliorer les choses dans les relations déjà très tendues entre le Tessin, très affecté par son problème frontalier, et la Berne fédérale. Marco Romano et Ignazio Cassis, dont les interventions sont à l’origine du présent rapport, ne cessent de le répéter depuis des années: «Il y a là un réel danger pour la cohésion nationale.»