Décodage. La mise en scène de l’évolution de la population étrangère de 1860 à nos jours relève de spectaculaires tendances de fond, comme la formidable empreinte des Italiens et le tournant des années 2000, qui voit la part longtemps prépondérante de nos voisins régresser.
Cela commence par un tweet. La conseillère nationale Cesla Amarelle repère dans la presse américaine un graphique synthétisant l’arrivée des immigrés dans le Nouveau Monde de 1829 à nos jours: des vagues colorées (par origine) illustrant le flux et le reflux du phénomène migratoire aux Etats-Unis et la grande variété de ses provenances à travers le temps – une composante largement irlandaise, puis allemande, avant une vague italienne, centre-européenne et russe (les deux dernières probablement juives) avant la fin de l’immigration libre, dans les années 1920, et le retour du phénomène depuis les années 1960, sur des origines entièrement différentes: latino-américaines et asiatiques.
Dans son tweet, Cesla Amarelle demande si un tel document existe pour la Suisse. La réponse est oui, le voici (ndlr: d’abord publié sur le blog de Pierre Dessemontet, reproduit ci-contre).
Il ressort de ce graphique que l’allure générale de l’immigration suisse ressemble remarquablement à celle des Etats-Unis: elle va et vient. Une première vague d’immigration se manifeste avant la Première Guerre mondiale, suivie par le repli sur les espaces nationaux durant l’entre-deux-guerres – en 1941, la population étrangère ne représente plus que 4% de la population totale, contre 14% en 1910. Un premier pic est atteint durant les trente glorieuses, puis l’immigration marque le pas, entre 1970 et 1990.
Elle repart à la hausse durant les années 1990, au gré des crises balkaniques, et après une nouvelle pause au début des années 2000, elle atteint son niveau actuel. L’évolution est remarquable: actuellement, la Suisse est un pays d’immigration, bien plus que ne l’est cette terre d’immigrés par excellence, les Etats-Unis: depuis 1990, la population étrangère a presque doublé dans notre pays.
Il est également intéressant d’observer l’évolution de la composition nationale de la population étrangère en Suisse. Comme aux Etats-Unis, elle a profondément changé au cours du temps.
A l’origine, l’immigration étrangère en Suisse est avant tout celle des voisins: jusqu’en 1970, les pays limitrophes fournissent 90% de l’immigration. La première immigration est germanique: de 1860 à 1930, Allemands, Autrichiens et Liechtensteinois représentent la moitié de la population immigrée; la part des Français, initialement importante, n’a cessé de décroître, au profit des Italiens, qui deviennent les plus nombreux dans la population immigrée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, et dominent l’immigration jusqu’en 1970 (où ils représentent 59% des immigrés installés).
Le retour des limitrophes
1970 marque le début de la diversification de l’immigration en Suisse: de 10% en 1970, les immigrés en provenance de «plus loin» passent à presque 60% du total en 2000: Espagnols d’abord, puis Turcs et surtout ex-Yougoslaves et, plus récemment encore, les Portugais viennent enrichir le paysage de l’immigration en Suisse, alors que les communautés plus anciennes s’assimilent par la naturalisation – processus visible chez les Italiens dès 1970, les Espagnols dès 1990, les Turcs et les ex-Yougoslaves depuis 2000.
2005 marque un tournant: l’entrée en vigueur des bilatérales est marquée par le retour en force des «limitrophes»: la part des Allemands a, depuis, doublé, celle des Français augmente, en même temps que celle des Anglo-Saxons et, de plus en plus, des «autres», ces communautés très diverses de 10 000 à 20 000 personnes, et qui se multiplient: Belges et Néerlandais, Polonais et Russes, Somalis et Erythréens, Maghrébins et Brésiliens, Chinois et Sri Lankais – la palette des communautés qui s’implantent en Suisse ne cesse de se diversifier. Ensemble, ils représentent désormais 20% du total des immigrés, soit environ 425 000 personnes, quatre fois leur part de 1970, bien plus que toute communauté nationale.