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France: menace sur la cité des arts du roi des ports francs

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Jeudi, 12 Mars, 2015 - 06:00

«L’île Seguin serait-elle maudite depuis la fermeture des usines Renault, il y a vingt-trois ans?» questionnait il y a peu Les Echos. Le journal français faisait allusion à l’actuelle affaire Yves Bouvier, le Genevois mis en examen à Monaco pour soupçon d’escroquerie envers un résident de la principauté, l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev.

Patron de Natural Le Coultre, numéro un mondial de la logistique et de l’entreposage des œuvres d’art, Yves Bouvier tenait aussi le rôle d’intermédiaire lors de la vente de tableaux au milliardaire russe.

Il aurait surfacturé le coût de ces transactions, ce qui lui vaut d’être poursuivi par la justice monégasque. L’entrepreneur nie farouchement de telles pratiques délictueuses, arguant être tombé dans un piège.

Reste que la réputation d’Yves Bouvier est entachée. Comme le sont ses activités aux ports francs de La Praille, dont il est le principal locataire, ainsi qu’aux entrepôts du Luxembourg, de Singapour, bientôt de Pékin ou Shanghai, autant de coffres-forts défranchisés qu’il promeut avec son expérience acquise à Genève.

Une telle ombre a toujours une longue portée. Elle touche aussi un projet à 150 millions d’euros, investis par Yves Bouvier, sur la commune de Boulogne-Billancourt, dans le grand Paris. Les onze hectares de l’île Seguin, une langue de terre tendue sur la Seine, sont en friche depuis la fermeture, sur place, des usines Renault, en 1992.

L’homme d’affaires François Pinault a songé à y installer un musée pour sa collection d’art moderne et contemporain, avant de fuir vers Venise, excédé par les lenteurs de l’administration française. Laquelle n’a pas non plus retenu les autres projets qui, jusqu’en 2009, entendaient revivifier la friche industrielle.

Microville artistique

La commune de Boulogne-Billancourt, 120 000 habitants, a décidé à ce moment-là de donner un destin mi-culturel, mi-immobilier à l’île, sous la tutelle de l’architecte Jean Nouvel. La construction de la partie centrale, consacrée à des bureaux et habitations, est pour l’heure bloquée par des riverains qui lui reprochent sa trop grande densité et sa trop grande tour.

En revanche, à la pointe en aval de l’île, l’édification d’une cité internationale de la musique, avec une salle de 4000 places, a déjà commencé. En amont, à l’autre pointe, le terrain est toujours en jachère. Normalement, les travaux du R4 d’Yves Bouvier devraient commencer cet été, toutes les oppositions de riverains ayant été levées et le permis de construire délivré.

Le nom R4 n’est guère opportun: il fait référence à l’humble petite voiture naguère fabriquée sur l’île par Renault, alors que le projet est clairement haut de gamme. Cette microville artistique ne ressemble à rien de connu.

Elle est un agrégat de lieux d’exposition, de galeries privées, d’ateliers d’artistes, de salles de ventes aux enchères, d’espaces de conférences, d’espaces de stockage des œuvres. Ce cluster artistique est coupé en deux par une voie publique et articulé autour d’une place centrale. Il se déploie sur huit niveaux (dont deux en sous-sol) avec un toit-terrasse qui fera lui aussi office de lieu d’exposition, par exemple pour des sculptures. La surface de plancher approche les 20 000 mètres carrés.

Le R4 se veut ouvert, communautaire, expérimental, facilitant les interactions entre les artistes, les acteurs économiques de l’art et le public. Il est un pôle de création, mais aussi une affaire commerciale, les différents espaces étant loués aux divers acteurs du lieu.

L’espace de stockage, disposé dans un grand cube, est destiné aux collectionneurs, dont les pièces, en particulier les plus monumentales, pourront voyager sur la Seine avant de tirer parti d’un pont roulant pour trouver abri dans le cube. Celui-ci sera partiellement ouvert au public.

Yves Bouvier a confié la direction du R4 à la société de Nelly Wenger, ex-présidente de l’Expo.02 avant de prendre brièvement la direction de Nestlé Suisse. C’est bien une équipe suisse qui mène le projet, Nelly Wenger étant entourée par son mari, Fred Wenger, l’historien de l’art Juri Steiner ou la graphiste Marie Lusa.

Celle-ci a également signé l’identité graphique de la nouvelle fondation Van Gogh d’Arles portée par la famille Hoffmann, qui entend aussi créer une cité de l’art dans la ville provençale. Les mécènes suisses sont décidément les bienvenus en France, même par mauvais temps fiscal.

Pas un philanthrope

Corrigeons: Yves Bouvier n’est pas un philanthrope qui œuvre pour le bien public, à fonds perdu. Il investit 150 millions dans sa microville artistique qui, en retour, doit rapporter de l’argent. A preuve, dans le R4, un grand cube de stockage des œuvres, au bénéfice du moyen de transport le moins cher qui soit, fluvial.

Les collectionneurs et galeristes manquent de places sécurisées à Paris pour protéger leurs pièces, en particulier les plus grandes d’entre elles. Le R4, qui devrait ouvrir en 2018, comblera un manque d’infrastructures locales.

Questionné sur son inculpation à Monaco, qui pourrait menacer ses projets, notamment le R4, Yves Bouvier répond que celui-ci «n’est pas menacé par l’affaire judiciaire en cours, car il en est totalement indépendant. La pérennité du R4 est assurée. Le développement du projet se poursuit pour pouvoir commencer les travaux le plus vite possible.»

Jean-Paul Torris, de l’Association des riverains de l’île Seguin, n’est pas de cet avis: «Cette affaire peut avoir des conséquences indirectes sur le R4. Si Yves Bouvier est condamné, sa réputation s’en trouvera endommagée.

Dès lors, il aura du mal à commercialiser ses espaces avec des galeristes ou maisons d’enchères, qui auront perdu confiance en lui. Il faudra aussi tenir compte de ses finances personnelles, car investir 150 millions dans un tel projet n’est pas rien.

Yves Bouvier a de plus préempté un terrain proche du R4, à la pointe extrême de l’île, pour y construire des bureaux et un hôtel. Tout cela représente beaucoup d’argent et reste fragile.»

«Ce sera d’autant plus compliqué si Yves Bouvier emprunte de l’argent à des banques pour financer son R4, ajoute Pierre Gaborit, avocat, professeur de droit et figure emblématique de la gauche à Boulogne-Billancourt.

Les banques n’aiment pas ce genre de situation. Mais si lui assure l’entier du financement, il n’y a pas péril en la demeure. Je mettrais également un bémol sur son entrepôt d’œuvres d’art. Il ne pourra pas compter sur un espace en franchise d’impôt ou de douane, comme à Genève. J’ai posé la question au Ministère des finances, à Bercy. La réponse a été sèche: «Pas de ports francs en France!»

Mauvais moment politique

Jean-Paul Torris tique aussi sur cet entrepôt de stockage dans le R4: «La mairie nous a vendu le principe d’un grand projet culturel d’intérêt général. C’est faux. Cet entrepôt servira aux riches clients de M. Bouvier. Le R4 est avant tout une affaire immobilière commerciale.

Cela dit, je souhaite à Yves Bouvier d’être rapidement dégagé de ses ennuis, car sa mise en examen fait ressurgir la problématique plus générale des ports francs, ces nouveaux paradis fiscaux, et celle d’une Suisse aux prises avec le reste de l’Europe pour ces mêmes enjeux de fiscalité. Pour Yves Bouvier, son affaire de mise en examen tombe à un mauvais moment politique.»

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