Professionnels de la branche et cinéphiles vivent une longue histoire d’amour avec le septième art au bord de la Limmat où, actuellement, on assiste à un véritable boom des salles obscures.
Il arrive qu’on respire à Zurich un parfum de Hollywood. Quand, vers la fin de l’été indien, on s’installe sur la terrasse du Collana Caffè posé face à l’Opéra. A l’heure où le lac, juste en face, rougeoie sous le soleil couchant, on observe à l’est la soie et le taffetas somptueux des spectatrices qui glissent vers le haut lieu de la musique et, à l’ouest, le glamour du septième art: des stars internationales posent sous les flashs, on reconnaît les acteurs Richard Gere, Benicio Del Toro ou Diane Keaton, des réalisateurs comme Alejandro González Iñárritu ou Claire Denis.
Ou encore la grande prêtresse du Festival du film de Zurich, Nadja Schildknecht, et Karl Spoerri, les codirecteurs ayant fêté l’an dernier le 10e anniversaire de la manifestation. La fin de l’automne venu, si le festival quitte l’étendue de granit qui recouvre la place du Sechse-läuten, le cœur du cinéma continue de battre dans tout Zurich.
Les statistiques sur l’industrie créative le confirment: capitale économique du pays, Zurich est aussi sa capitale du cinéma. Parmi les plus de 10 000 personnes qui travaillent dans l’industrie cinématographique en Suisse, 3450 sont installées dans le canton, soit 34%.
Les Américains de Fox Warner ou de Disney ont leur siège suisse au bord de la Limmat, comme la quasi-totalité des distributeurs suisses, Frenetic et Filmcoopi notamment. Disney y a implanté en 2008 son unique laboratoire de recherches en Europe, en collaboration avec l’EPFZ.
La chaîne de cinémas possédant le plus de salles en Suisse, Kitag, se trouve à Zurich. Depuis ses 18 ans, la grande dame de la production suisse Ruth Waldburger y habite, comme tant d’autres producteurs, acteurs, techniciens et réalisateurs, dont Fredi M. Murer ou le couple de cinéastes le plus en vue du moment, Samir et Stina Werenfels, qui viennent de voir leurs films projetés au Festival de Berlin.
«Aussi longtemps que je m’en souvienne, Zurich et le cinéma sont étroitement liés», raconte Edouard Stöckli, exploitant de salles qui fit fortune dans le porno. Lazar Wechsler y créa en 1924 la toute première maison de production d’Helvétie, Praesens-Film. Kurt Früh y a travaillé pour le théâtre et la télévision avant de réaliser ses films urbains comme Dällebach Kari.
C’est ici qu’ont ouvert les premiers studios de la Télévision suisse, que Heinrich Fueter a fondé la maison de production Condor-Films et épousé la grande comédienne Anne-Marie Blanc, célèbre Gilberte de Courgenay.
Phare culturel de Zurich, «le Schauspielhaus accueillit des artistes fuyant le nazisme dès les années 30, une source de talents qui abreuva le théâtre, mais aussi le cinéma».
Boom des salles
Et la saga ne s’arrête pas. Surprenant à l’heure où la fréquentation diminue de manière dramatique, ployant sous la concurrence des séries et de l’internet, Zurich multiplie ses salles de projection.
Après le succès rencontré avec Riff Raff – des salles consacrées aux films d’art et d’essai, un bar et un bistrot dans le très trendy Ve arrondissement –, son fondateur, Frank Braun, a ouvert Houdini* l’an dernier: cinq nouvelles salles et un superbe bar dans la coopérative Kalkbreite (voir page 61).
Edouard Stöckli a transformé son cinéma porno Stüssihof, dans la vieille ville, pour y projeter des films suisses, et il agrandit son multiplexe Arena de huit salles, ce qui en fera 18 au total. Enfin, en 2017, Samir et un groupe d’intellectuels vont inaugurer Kosmos sur la chaude Langstrasse: six salles obscures, un grand café-librairie dont un espace pour les débats, lectures, baptêmes de disques.
«Ce sera un lieu de résistance à l’uniformisation de Zurich, qui risque, comme tant d’autres villes, de ne plus proposer que Gucci et les autres», déclare Samir, qui croit dur comme fer au cinéma comme expérience commune, mais aussi comme endroit où l’on se parle autour d’un verre. Une réponse à un besoin d’échange non pas virtuel, mais culturel, charnel. Une histoire d’amour.