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Zurich: Les «techno freaks» détrônent les «golden boys»

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Jeudi, 19 Mars, 2015 - 05:48

Quand l’économie zurichoise court après l’impératif numérique et la plus-value, les créateurs d’idées ou d’algorithmes s’imposent comme la nouvelle race des héros.

Ce millionnaire ne possède pas de montre, pas de maison, pas même un appartement. Il roule en VW Multivan et, chez lui, les meubles de seconde main sont légion. Oliver Herren, 36 ans, 3 enfants de 6 à 10 ans, a créé Digitec avec deux copains, puis vendu 30% de l’entreprise à Migros il y a trois ans.

La presse économique estime que chacun en aurait tiré 14 millions. Le jeune homme pourrait donc s’offrir de beaux jouets. Il sourit. «Je préfère travailler. Parce que consommer… On achète, et après?»

Au café Sphères (lire en page 59), à quelques enjambées du Technopark et de la Prime Tower, dans ce Züri-West surgi des friches industrielles d’Escher-Wyss, Oliver Herren ne dépareille pas. Avec son t-shirt et ses baskets, il peut passer pour un étudiant de la Haute école d’art sise à côté.

Il est tombé dans la marmite technologique il y a plus de vingt ans quand, avec ses premières économies, il s’achète un ordinateur qu’il bricole sans répit. Avec un informaticien et un ingénieur sur machine, le gymnasien crée Digitec, vend des ordinateurs, souvent améliorés. La création d’un site internet entraînera un afflux de commandes.

Après les ordinateurs, softwares, téléphones et autres produits viendront s’ajouter, via la firme Galaxus, des meubles et des jouets. Le jeune père continue de travailler chez Digitec. Un soir par semaine jusqu’à minuit pour rentrer tôt les autres jours, pour partager temps et repas avec sa famille. Quant à ses fins de soirées, il les consacre à sa nouvelle petite entreprise. Nous y reviendrons.

Une nouvelle race de héros

Après les golden boys flambeurs du type Loup de Wall Street, les héros numériques et autres créateurs d’entreprises tiennent le haut du pavé. Des professionnels que tous s’arrachent. Chercheurs, physiciens, mathématiciens, ingénieurs, graphistes, programmateurs, ils ont ceci en commun qu’ils évoluent aisément dans l’univers des nouvelles technologies, mieux, les développent et lancent produits ou services sur le marché. A Zurich, ils sont partout.

Les plus connus arrivent au boulot à vélo, ceints d’un sac en bandoulière, souvent barbus: les «Googlers». Deux en 2004, ils sont aujourd’hui 1500 à travailler sur le site de l’ancienne brasserie Hürlimann, où ils développent notamment Google Maps, Gmail et YouTube, et même leurs muscles dans la salle de fitness où on lit en grandes lettres: «What is your goal?»

Ils seront davantage encore dès la fin de l’année, puisque le géant américain a annoncé qu’il s’étendra sur 50 000 m² supplémentaires le long de la gare centrale. Un monde cosmopolite, 75 nationalités, comme dans d’autres instituts de recherche ou entreprises implantés dans le canton, tels Disney Research, Hewlett Packard ou IBM. Ils sont partout.

A Schlieren aussi, le Bio-Technopark abrite plus de 30 jeunes pousses des sciences de la vie ainsi que Roche, Novartis et des chercheurs en médecine de l’université. Enfin, à part l’UDC, tout le monde espère en trouver bien d’autres encore dans le futur parc d’innovation de Dübendorf auquel le Conseil fédéral vient de donner le feu vert.

Bref, dans ce bouillonnant biotope zurichois, Oliver Herren est loin d’être le seul épris de technologie. Juste à côté de Digitec, ils sont quelque 2000 au Technopark. Flavio Heer, 39 ans, y a cofondé Zurich Instruments, un spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

Il produit des appareils de mesure ultra-sophistiqués qui permettent, notamment, de différencier une cellule saine d’une cellule cancéreuse. La firme emploie plus d’une trentaine d’employés dont la moitié sont étrangers, du Danemark, de la République tchèque, d’Allemagne ou d’Italie, essentiellement des docteurs en physique et ingénieurs.

«Nos clients, des chercheurs du CERN, des universités ou de l’industrie, ont besoin d’interlocuteurs qui comprennent leurs besoins.» Le numérique, explique Flavio Heer, est à l’origine du succès de l’entreprise.

«Ce qui a fait la différence avec nos concurrents, c’est que nous avons transformé le plus possible de processus de l’analogique au numérique. Avec au final un produit meilleur marché et plus flexible.» L’autre clé du succès: la précieuse libre circulation des personnes dans un secteur où l’on s’arrache les meilleurs spécialistes.

Au Technopark, on trouve aussi l’ingénieur en construction Stefan Meier de Concretum, autre spin-off de l’EPFZ ayant développé un béton révolutionnaire qui sèche en soixante minutes au lieu des deux jours habituels, une aubaine pour les pistes d’aviation. Ou encore les cinq ingénieurs, tous en pull à capuche, qui travaillent pour GetYourGuide.

Tobias Rein, 33 ans et cofondateur du site de voyages, peut s’enorgueillir d’avoir attiré deux investisseurs américains pour 25 millions de dollars. Cela dit, si GetYourGuide développe son software à Zurich, «le gros de nos cent emplois se trouve à Berlin où les centrales d’appel coûtent bien moins cher en personnel et en locaux».

Tobias Rein met le doigt où le bât blesse. Les emplois à basse valeur ajoutée ont peu d’avenir dans une Suisse chère.

La peur de louper le virage

La bataille pour assurer des lendemains qui chantent, des biens et des services qui s’exportent et des emplois bien payés traverse une phase décisive à Zurich. Parce que la limitation de l’immigration acceptée le 9 février rendra encore plus ardue la recherche de spécialistes.

Parce que le secteur financier, pilier de l’économie régionale, est toujours en restructuration. Et parce que tous angoissent à l’idée de rater le virage numérique. Et pas seulement les horlogers face à la SmartWatch.

Alors on prend le taureau par les cornes. Dans les médias bien sûr, d’où Zurich domine la branche, chaque éditeur s’achète des sites de petites annonces numériques, par exemple. C’est d’ailleurs Marc Walder, le CEO de Ringier (qui détient L’Hebdo, L’illustré et Le Temps en Suisse romande) qui a lancé l’initiative Digital Zurich 2025.

Pour y attirer les meilleurs talents et soutenir les entreprises suisses dans ce changement d’ère, il a réuni une brochette de douze CEO, dont ceux de l’UBS, des CFF, de Google Suisse ou de Migros, autour de la maire de Zurich, du conseiller d’Etat en charge de l’Economie et du président d’Economiesuisse. Coup d’envoi à la fin du mois de mars.

Dans la banque, on se bat également: un groupe emmené par la directrice de la Chambre de commerce veut regrouper les fintech, les technologies de la finance, et développer un centre universitaire international.

Un effort d’autant plus nécessaire que la branche, pas encore sortie de la série noire de la crise et de la fin du secret bancaire, se voit asséner le coup de massue du franc fort.

A Zurich, la dépendance de la région envers sa place financière est telle qu’on l’a affligée de l’étiquette «Klumpenrisiko», comprenez: risque systémique. Un emploi sur dix dépend directement de l’industrie financière, banques et assurances, dans un canton qui réalise 43% de la création de valeur nationale dans ce secteur.

«L’inquiétude est palpable, personne n’est sûr de pouvoir garder son emploi», nous confie un cadre du Credit Suisse. L’Association suisse des employés de banques à Zurich, par la voix de sa secrétaire Sabina Gasser, constate que la branche se restructure encore.

Julius Bär a annoncé 200 suppressions de postes au début du mois de février. On s’attend à la disparition de petites banques, étrangères notamment. «Les exigences de la Finma, le franc fort et la régularisation des comptes étrangers coûtent cher. Alors on externalise, on automatise, on licencie», dit Sabina Gasser qui regrette que le secteur se soit trop longtemps reposé sur le secret bancaire.

L’impératif numérique

Il est un Romand qui tire depuis quelque temps la sonnette d’alarme: Dominique Freymond. L’ancien chancelier de l’Etat de Vaud devenu entrepreneur et administrateur professionnel est un grand connaisseur de la région zurichoise.

Il y siège dans trois conseils, fréquente les clubs privés de businessmans, du traditionnel Baur au Lac au rendez-vous des jeunes entrepreneurs: Club zum Rennweg. «Les conseils d’administration des banques auraient besoin de gens compétents dans les nouvelles technologies, explique-t-il.

Or la plupart de leurs membres ont des formations juridiques ou économiques.» Pour ne rien arranger: «Complètement pris par la régulation, ils passent 80% de leur temps à contrôler plutôt que de penser le futur.»

Or le monde n’attend pas au guichet, il change à toute vitesse ses habitudes. «Oui, les banques sont en danger. Bill Gates le disait déjà en 1998: «Banking is essential, banks are not.» A l’heure fébrile du réveil numérique, tous se pressent chez l’homme qui ose ainsi retourner le couteau dans la plaie: Daniel Gutenberg, 49 ans.

Ça le fait marrer. «Je travaille depuis quinze ans dans les start-up. Depuis un an, tout le monde m’appelle pour savoir comment on devient une Silicon Valley.» C’est que, avant de se voir couronné business angel de l’année (en 2011), l’entrepreneur formé au Technicum de Neuchâtel a roulé sa bosse.

Moniteur de surf à Hawaii, il s’élancera sur la vague internet dans la fameuse Silicon Valley. Il crée sa propre firme de distribution de technologies de l’information en 1991, investit dans Netscape ou Alta Vista, premier moteur de recherche avant Google, achète des actions Facebook.

Bon nez. Aujourd’hui, l’homme qui se consacre aux jeunes entreprises qu’il finance, conseille, réseaute croit au potentiel zurichois. «On a la matière première, d’excellents ingénieurs. Il était plus difficile d’en trouver à la fin des années 90.»

Un autre art de vivre

Les changements vont au-delà de la technique. Daniel Gutenberg observe un nouvel art de vivre chez les chercheurs et entrepreneurs d’aujourd’hui. «Ils préfèrent utiliser que posséder. Ils prendront un taxi Uber plutôt que de se pavaner dans leur voiture.»

Les signes extérieurs de richesse perdent du terrain face à la réalisation d’un projet de vie. A Zurich, les jeunes entrepreneurs n’attendent pas d’avoir fait carrière pour fonder une famille. Une aspiration que Google a saisie puisque l’entreprise offrirait, lors d’une naissance, 5 mois de congés payés à 100% à ses employés femmes et 1 mois aux hommes.

Comme l’exprime Stefan Meier, l’ingénieur de Concretum: «Nous offrons aussi du temps partiel. Parce que personne ne trouve tout son accomplissement dans son job. Et les jeunes n’accordent plus tellement d’importance au statut social.»

Décidément, les techno freaks de Zurich ont peu en commun avec les traders et leurs excès. Ils veulent réaliser des idées, créer des entreprises. «Parce que c’est la dernière aventure, dit Flavio Heer de Zurich Instruments, des étoiles dans les yeux. Et nous sommes fiers que notre firme permette d’assurer l’existence de nos 26 enfants!»

Une chose est sûre, Oliver Herren préfère passer du temps avec les siens plutôt qu’avec des banquiers. Alors il a cherché «une solution cool» pour placer son argent, s’est mis à comparer des offres bancaires existantes puis à lire des Prix Nobel d’économie.

Et devinez quoi? Il a créé une nouvelle firme en octobre, avec un ami physicien, expérimenté dans l’assurance et la banque: True Wealth, un site de placements en ligne qui propose des fonds cotés en Bourse, bon marché et sans conseils d’analystes.

«On ne prétend pas savoir ce qui va se passer sur le marché. Mais les clients peuvent voir les résultats obtenus par les firmes durant les quinze dernières années. C’est transparent.» 

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Dominic Büttner Lunax
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