A la veille des élections du canton le plus peuplé de Suisse, qui font office de test avant les fédérales, nous sommes allés à la rencontre de ces Zurichois qui dessinent les tendances du pays.
Du cœur des cités à l’idylle campagnarde du Weinland, des paysans, des politiciens, des artistes, des banquiers, de jeunes entrepreneurs et des familles nous ont livré leurs réflexions. Pour savoir où va Zurich. Et peut-être où va la Suisse.
Et pour susciter l’envie d’aller y voir de plus près, nous vous proposons 55 adresses susceptibles de stimuler vos papilles, vos pupilles et votre curiosité.
Le Zurichois le plus connu du monde sera bientôt Tidjane Thiam. Sa longue silhouette d’Africain foulera la Paradeplatz avant d’entrer dans son bureau de CEO de Credit Suisse. Peut-être s’arrêtera-t-il un instant au café Al Leone, échangera-t-il le bout de gras avec Raymond Bär, de la banque Bär, une voisine.
Une chose est sûre: il sera invité au Festival du film de Zurich, sponsorisé par son employeur et dirigé par la femme de son président, Urs Rohner. Et qui sait s’il ne sera pas convié aussi à l’Albisgüetli, comme d’autres banquiers avant lui. Il pourrait alors tenter de convaincre l’UDC que le pays a besoin d’étrangers qualifiés.
Que l’on aime les Zurichois ou qu’ils nous exaspèrent, les gens de ce canton dessinent la Suisse de demain. Ils explorent de nouvelles façons de vivre ensemble dans des coopératives d’habitation (lire en page 56).
Ils réinventent leurs cités, tirant parti de leurs friches industrielles que ce soit au cœur du quartier d’Escher-Wyss-Platz à Zurich ou dans la Sulzer-Areal à Winterthour (page 54). Et ils misent résolument sur la culture qu’ils appellent de plus en plus souvent «industries créatives» pour désigner un vaste champ qui va du cinéma (page 58) à la musique ou au game design.
Stupeur et remblements
Les Zurichois. Toujours plus cosmopolites, plus globalisés, plus numérisés pour certains. Toujours plus inquiets pour d’autres. Parce que, si les nouvelles technologies croissent crânement, les beaux édifices qui faisaient la fierté, pour ne pas dire l’arrogance, du canton ne cessent de trembler sur leurs bases (lire en page 48).
La banque bien sûr, naguère fleuron de la Paradeplatz, doit continuer sa mue d’après-secret bancaire et rattraper ses clients avant qu’ils ne filent définitivement vers des services en ligne offerts par de nouveaux venus.
La Neue Zürcher Zeitung ensuite, qui, comme toute la presse, doit poursuivre sa transformation numérique. Le titre, qui se sépare de son imprimerie et vient de recevoir un nouveau rédacteur en chef, Eric Gujer, a traversé un tsunami: son conseil d’administration a failli donner la direction du journal à un homme béat d’admiration devant Christoph Blocher.
La NZZ, la belle libérale, le phare zurichois qui rayonne dans le monde aurait pu tomber entre les mains de celui qui, depuis plus de trente ans, tente de creuser la tombe du Parti libéral-radical. Un PLR traumatisé depuis ce dimanche d’avril 1999 quand l’UDC le dépassa largement, raflant 30% des voix contre 22%.
Un PLR qui, humilié encore il y a quatre ans, mordit la poussière à 12,9% dans ce canton qui fut si longtemps son fief incontesté. Des résultats qui, même atténués, se confirmèrent au niveau national.
C’en est assez! Le PLR s’est redressé. Devant la NZZ, journalistes, lecteurs et membres du parti se sont posés en rempart. Non, la révolution conservatrice ne passera plus!
Et c’est bien ici que réside tout l’enjeu des élections à venir, à Zurich en avril, et dans six mois dans tout le pays.
L’UDC, qui avait amorcé une légère descente en 2011, dans le canton comme sur le plan national, va-t-elle se tasser, voire continuer à baisser? Quant au PLR, va-t-il enfin amorcer une remontée? Ou, au contraire, baisser, au niveau national, en dessous des 15,1% de 2011, risquant ainsi de perdre un de ses deux sièges au Conseil fédéral?
Officiellement, on joue l’harmonie, la liste commune pour le Conseil d’Etat. Le truc a marché à Bâle, en ville de Zurich aussi, alors pourquoi pas. D’autant plus que la gauche n’est pas sûre de pouvoir se maintenir à trois au gouvernement.
Mais, au fond, un véritable Kulturkampf est engagé. Une bataille entre deux visions de Zurich, de la droite, de la Suisse. En ce moment, chacun insiste sur les seuls points communs: la politique économique et financière. Et personne sur tout ce qui sépare le PLR de l’UDC.
Le premier est progressiste, pour l’égalité entre les sexes, les femmes qui travaillent et l’apprentissage des langues. Le second, conservateur, défend l’usage du dialecte à l’école, les femmes au foyer, la suprématie du droit national sur les droits de l’homme.
Et surtout, l’essentiel: les deux partis divergent sur les échanges avec l’Union européenne. En vérité, sur ces questions, le PLR est plus proche de la gauche, tant sur l’ouverture que sur les changements de société. Et on ne parle même pas de style.
Payer pour le 9 février
A Zurich, à Berne aussi, la grande question que tous se posent est de savoir si l’UDC va payer pour le 9 février 2014. Parce que le oui à son initiative contre l’immigration a plongé l’économie dans une profonde insécurité. Parce qu’il sabote les projets de recherche, met en péril la libre circulation des personnes à un moment où chaque pays s’arrache les meilleurs spécialistes.
Bref, parce qu’il menace la croissance dans un pays où seule l’innovation permet de la maintenir et d’affronter la vie chère. Que propose l’UDC? Protéger un reste de secret bancaire. Ne plus respecter le droit international, comme l’a formulé le professeur de droit Hans-Ueli Vogt.
Interdire la burqa, réduire l’aide sociale, empêcher les naturalisations. Le parti très fort dans les campagnes et les agglomérations (lire en page 52) nourrit le mythe d’une Suisse qui n’aurait besoin de personne, il attise les peurs et les frustrations des perdants alors que ses stars, des gagnants, vivent dans le luxe de la Goldküste.
Une vision? Les autres en dessinent. C’est un PLR, le conseiller national Ruedi Noser, qui se bat comme un beau diable et depuis des années pour que voie le jour, à Dübendorf, un parc d’innovation réunissant la crème de la recherche, de l’industrie et des hautes écoles, pour inventer la Suisse de demain.
C’est une PLR encore, la députée au Grand Conseil Regine Sauter, qui, à la tête de la Chambre de commerce, fédère les efforts pour créer un centre international des technologies de la finance à Zurich. C’est un banquier proche du PLR qui nous confiera sa conviction: Zurich sortira renforcé de cette période troublée, parce que forcé d’innover.
Et c’est une socialiste, Jacqueline Fehr, qui défend des investissements dans la recherche, la formation et de nouvelles formes d’habitation.
Alors oui, quand le franc fort vient plomber l’économie, la droite libérale comme la gauche nourrissent l’espoir que les électeurs accordent leur confiance à ceux qui proposent des solutions. Parce que, entre le repli et l’ouverture, Zurich et la Suisse se trouvent à un point de bascule.