Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Reportage: les sages rebelles d’Espagne

$
0
0
Jeudi, 19 Mars, 2015 - 05:51

Reportage. La crise et la corruption minent les deux grands partis de droite et de gauche du pays. Deux formations nouvelles les talonnent et bouleversent le paysage politique: Podemos (Nous pouvons) et Ciudadanos (Citoyens). Immersion dans leur campagne électorale en Andalousie. Surprise: que ces «indignés» sont sages en comparaison avec les Grecs de Syriza!

Le train roule des heures à travers les oliveraies andalouses. Il s’arrête dans des gares désertes. Juste une jeune femme qui descend avec sa petite valise et marche vers ses parents grisonnants venus l’embrasser sur le quai. Car les jeunes partent.

A Madrid, à Barcelone… ou en Allemagne, en Angleterre, en Suisse. Cette grande région du sud (8 millions d’habitants) vit, mal, de l’agriculture et du tourisme: 34% de chômage. Elle votera le 22 mars. Ce ne sera pas la révolution.

Les socialistes sont au pouvoir depuis trois décennies et y resteront. Mais, s’ils demeurent bien placés dans les sondages, pour gouverner la province ils devront probablement trouver des alliés. Pas auprès de la droite, discréditée par des scandales à répétition. Auprès des trublions qui menacent d’en finir avec le bipartisme traditionnel?

Jaen (116 000 habitants), au cœur du pays des olives, de «l’or liquide», comme on aime à dire ici. La nuit tombe sur la place de la Concordia. Un petit millier de personnes sont venues écouter le message de Podemos.

Quatre discours, quatre femmes. Teresa Rodríguez en tête, 34 ans, sûre d’elle, manteau rouge, foulard vert autour du cou, bras tendu et main ouverte au-dessus de sa tête pour saluer la foule et au-delà, précise-t-elle, tous ceux qui ont dû émigrer.

La prof de collège de Cadiz pourfend bien sûr les notables qui ont piqué leur part des subventions européennes, qui ont pactisé avec les promoteurs immobiliers pour s’enrichir, mais elle n’en reste pas là. Elle égratigne la troïka tant détestée en Grèce sans pourfendre pour autant l’Europe ou les méchants Allemands.

Elle s’attarde plutôt sur la nécessité de réformer l’agriculture: pour dépasser la monoculture. L’olive, c’est bien beau, mais cela donne des emplois temporaires, les récoltes sont bonnes une fois, mauvaises une autre. Il faut, pense-t-elle, développer d’autres productions, profiter enfin de l’engouement pour le bio.

«Oui, on peut!»

Pas d’envolée à la Mélenchon contre le système capitaliste. Podemos s’ancre certes à gauche – bien qu’il n’utilise jamais cette étiquette! –, réclame une politique plus sociale, mais ses leaders font tout pour éclipser la doxa marxiste dans laquelle ils ont baigné à leurs débuts.

Ils entendent donner une voix à tous les citoyens écœurés par les dérives des vieux appareils. Catalyser tous les mécontentements. Au-delà de la lutte des classes et du clivage gauche-droite, rassembler toutes «les attentes sociétales disparates», comme dit le théoricien d’origine argentine Ernesto Laclau (1935-2014), analyste subtil du populisme qui a inspiré Pablo Iglesias, la star du nouveau parti.

Le public reste calme. Pas de banderoles, pas de cris. Ce n’est pas l’Oktoberfest, ironisera le journal local. Juste un slogan, ponctué par les militants: «Si se puede!» (Oui, on peut!) Des mines plutôt graves. Maria, fine noiraude, un peu à l’écart, seule et pensive, explique à voix basse: «On est là pour écouter.

Nous n’attendons pas de miracle de Podemos. Inutile de s’échauffer comme les Grecs, qui déjà se cassent le nez sur les réalités. Mais il faut du changement. On n’en peut plus de cette caste de politicards!»

Pas de raz-de-marée en vue. Mais si les sondages se révèlent justes, avec plus de 15% des voix sur ce scrutin régional (23% prévus aux élections nationales fin 2015), les trouble-fêtes pèseront. Les socialistes s’en inquiètent.

Leur vedette, la présidente du gouvernement d’Andalousie, Susana Diaz, se bat comme une belle diablesse. Quarante ans, enceinte de quatre mois, elle parcourt villes et villages, annonce le renouveau, parle de son ventre aux dames et rassure les inquiets.

Pour barrer la route aux contestataires, elle lance: «Qui peut croire qu’on doit s’inspirer du Venezuela?» Allusion aux fonds (on parle de trois millions d’euros) que Chávez a versés à une fondation présidée par l’un des dirigeants de Podemos, Juan Carlos Mondenero, admirateur de la «révolution bolivarienne». La révélation a fait mal.

Ce qui frappe le Suisse devant ce spectacle vibrant de la politique espagnole? Pas un seul parti, vieux ou neuf, ne fait campagne sur la population étrangère (14%), pourtant plus nombreuse qu’en France (11%): beaucoup de Maghrébins, employés surtout dans l’agriculture, davantage encore de Sud-Américains, plutôt dans les villes.

Ils semblent ne déranger personne. Il est vrai que beaucoup sont partis vers d’autres cieux, chassés par la crise.

La droite pas plus que la gauche ne mise sur le cheval xénophobe. Le PP (Partido popular) du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a d’autres soucis. Il proclame haut et fort que la reprise est là, que les dures réformes portent leurs fruits.

Car le chômage, il est vrai, baisse légèrement depuis un an. Les investissements reprennent. Le gouvernement prévoit une croissance de 2,4% cette année, de quoi faire rêver pas seulement François Hollande. Mais avec un salaire minimum à 600 euros, des retraites ratatinées, des services publics réduits, il y a peu de raisons de s’enthousiasmer.

Le boulet du parti de droite, ce sont les affaires de corruption. Le 5 mars, un juge a inculpé 40 notables madrilènes, dont trois trésoriers du parti, accusés d’avoir jonglé, à leur profit et à celui de leurs copains, avec des caisses noires, alimentées par des pots-de-vin liés à des contrats publics. En Andalousie, ces pratiques étaient pires encore avant que la justice, lentement, ne se mette en branle.

Le phénomène Ciudadanos

De plus, voilà que surgit, depuis quelques mois, une tranquille rébellion au centre-droit. Le phénomène de Ciudadanos, né en Catalogne, s’étend à tout le pays. Dans les villes surtout. Mais il grappillera des voix partout, décrochera quelques sièges qui détermineront les alliances de demain.

Au détriment surtout de la droite. Car ces aspirants au changement ne veulent rien chambarder. Juste punir les caciques corrompus. Moderniser l’Espagne, alléger sa légendaire bureaucratie, encourager l’esprit d’entreprise, améliorer l’éducation et la formation. Et, comme Podemos le dit aussi, «rendre aux citoyens dignité et fierté».

Jaen encore. Le meeting des nouveaux venus devait se tenir au théâtre mais, par prudence, il est déplacé dans une salle d’hôtel. Cartonner sur l’internet, c’est une chose, déplacer les gens en est une autre. Ils sont une centaine, des hommes surtout, peu de jeunes.

Le leader local de Ciudadanos, Juan Marín, n’est pas un tribun. Il évoque la nécessité du «bon sens», il parle de «rendre l’espoir à l’Andalousie», où le chômage des 18-30 ans atteint un record: 64%! Il faut dire que les largués du travail salarié déploient pour survivre des prodiges de débrouillardise et d’entraide: petits jobs au noir – une tradition –, jardins potagers, logements partagés…

C’est une femme, encore une, qui réveille le public: Inès Arrimadas, députée au Parlement catalan, a 33 ans et paraît si jeune. Belle, la langue bien pendue, elle s’enflamme en proposant aux producteurs de «l’or liquide» de vendre mieux leur huile en Europe, avec un marketing modernisé.

Elle réclame une administration publique «avec moins de graisse et plus de muscle». Son sujet favori: les écoles. Pas à la hauteur des temps modernes. «C’est là qu’il faut investir, pas dans les constructions de prestige!»

Un sens de la responsabilité

Le hic, c’est qu’elle est Catalane. Et, là, on est dans l’Andalousie profonde. Le leader de Ciudadanos, issu de Barcelone mais pourfendeur du séparatisme, s’appelle Albert Rivera. Un ponte du parti de droite local le lui reproche: «Les Andalous ne veulent pas se laisser diriger par un Albert.»

Alberto, ça passerait, mais pas Albert, qui sonne catalan. Cela ne fait pas rire: les nationalismes qui divisent l’Espagne ont la vie dure et lui ont coûté cher.

Ce qui n’empêche pas les Espagnols de rêver d’un avenir meilleur. Ils n’accusent pas les autres de leurs déboires. Ils s’indignent mais ne s’apitoient pas sur eux-mêmes. Ils veulent faire le ménage chez eux. Et, surtout, les plus lucides espèrent réinventer leur économie. L’ouvrir au monde sans renoncer à leurs fortes identités.

A Séville, dans un printemps déjà chaud, on installe les gradins pour les défilés de Pâques qui renvoient aux coutumes du Moyen Age. A quelques minutes du centre historique où se bousculent les touristes, ravis de la beauté des lieux et de la qualité de l’accueil, la ville surprend par sa modernité.

Des ponts élégants franchissent le Guadalquivir. Sur la route de l’aéroport étincelant, une multitude de bâtiments en verre et acier hébergent des entreprises de haute technologie, notamment aéronautiques. Des industriels européens, américains et même chinois lorgnent sur ces espaces et une main-d’œuvre bon marché.

Le frisson de la relance est là. Mais il reste un million de chômeurs en Andalousie. 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
DR
DR
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles