Zoom. La Voisin C7 de l’architecte a été retrouvée par un spécialiste vaudois des voitures anciennes. Elle était la «machine à rouler» fétiche de Le Corbusier.
En janvier dernier, le négociant en automobiles anciennes Christoph Grohe, installé sur la côte vaudoise, s’est rendu en Angleterre pour acquérir une Voisin C7 de 1925. Un modèle rare, à carrosserie légère en aluminium, l’un des plus petits produits par la défunte marque française.
La voiture reposait depuis une petite quarantaine d’années chez un collectionneur. Celui-ci l’avait achetée dans les années 70 sur l’île anglo-normande de Jersey. La conduite intérieure était dans «son jus» d’époque, en bon état de conservation.
En février, Christoph Grohe a exposé sa trouvaille au salon Rétromobile de Paris. Bon connaisseur des automobiles Voisin, il émettait alors l’hypothèse que sa voiture ait pu appartenir à Le Corbusier, dont on célèbre en 2015 les 50 ans de la disparition.
L’architecte était un admirateur des créations de l’industriel Gabriel Voisin: il a possédé entre-deux-guerres pas moins de quatre modèles de la marque.
En découvrant un ouvrage récent* consacré à Le Corbusier et à l’automobile, Christoph Grohe s’est aperçu que le numéro de châssis de sa nouvelle acquisition était celui de la voiture de l’architecte chaux-de-fonnier: 18 330.
«Comme j’ai une formation scientifique, je sais que le doute doit être de mise en pareille circonstance, argumente le spécialiste des voitures anciennes. Un numéro de châssis, cela peut se changer. Mais celui-ci est présent ailleurs, notamment sous le capot. C’est bien la voiture que Le Corbusier aimait tant faire photographier devant ses nouvelles créations architecturales.»
Machines à habiter, machines à voler, machines à rouler, tout était machinisme fonctionnel pour Le Corbusier. Il fallait concevoir les villes en fonction de l’automobile, comme dans son plan de refonte du centre de Paris au milieu des années 20.
C’est le célèbre «Plan Voisin», nommé ainsi en raison de son financement par le constructeur de belles voitures. Celui-ci, qui avait eu une formation de dessinateur-architecte, avait fait fortune pendant la Première Guerre mondiale en construisant des milliers d’avions militaires. Puis il avait lancé sa production automobile en 1918, gardant ses solutions d’avant-garde, comme l’emploi de l’aluminium.
Art déco
Gabriel Voisin était aussi passionné par le cubisme, jusqu’à donner des angles vifs à ses carrosseries. Il aimait aussi l’Art déco et les créations textiles de Sonia Delaunay, à laquelle il avait demandé de collaborer à la création de ses modèles.
Il est ainsi possible que le tissu bigarré qui garnit encore l’intérieur des portes de la C7 de Christoph Grohe soit de Sonia Delauney. Le Corbusier, autre collaborateur épisodique de Gabriel Voisin, a conçu des poignées de porte pour les automobiles de la marque, disparue en 1937.
La rare Voisin C7, désormais rapatriée dans le canton de Vaud, a une carrosserie audacieuse, baptisée «Lumineuse». Reprenant les acquis de l’architecture moderniste, la voiture est pourvue de larges glaces horizontales qui baignent l’habitacle de lumière.
Ses fins montants de pare-brise et de portières donnaient une excellente visibilité au conducteur et à ses passagers. Propulsée par un moteur 1,5 litre, elle était capable d’atteindre 110 km/h.
Le Corbusier a possédé une dizaine de voitures, la plupart petites et pratiques. Il avait dessiné, avec l’aide de son cousin Pierre Jeanneret, un petit «véhicule minimaliste à fonctionnalité maximisée», préfiguration de la 2 CV de Citroën ou de la Renault 4CV. Sa «voiture minimum» n’a jamais vu le jour, comme on a longtemps cru que ses automobiles personnelles avaient à jamais disparu de la circulation. A tort.