Rencontre. Huitante-quatre jeunes finalistes venus de toute la Suisse se retrouveront, samedi 21 mars, à Berne pour mesurer leur talent de débatteurs. Portraits et explications.
A 15 ans, Zoé Colliard, écolière fribourgeoise en 11e Harmos, adore parler et argumenter. Et tant pis si toute la classe, «plutôt de droite», a une opinion opposée à la sienne. Elle défend ses convictions, vaille que vaille.
«Je suis une tête dure et on n’arrive pas à me faire changer d’avis!» Les 20 et 21 mars prochains, la jeune fille aura l’occasion de faire bon usage de sa tchatche en se mesurant à d’autres débatteurs de son âge, à l’occasion de la cinquième finale nationale de La jeunesse débat, au Kornhaus à Berne.
Huitante-quatre participants de toute la Suisse y prendront part, dont 32 Romands (24 finalistes officiels et huit remplaçants) répartis en deux catégories: les 13-15 ans et les 16-19 ans. «Mes profs viendront à Berne avec moi.
Ils sont géniaux. Sans eux, je ne serais pas allée bien loin.» Comme les autres participants, Zoé connaît les sujets dont elle devra débattre: Faut-il supprimer les devoirs scolaires à domicile? Faut-il introduire un repas végétarien obligatoire dans les cafétérias scolaires et d’entreprises? Faut-il percer un second tunnel au Gothard?
Les débats, qui opposent chaque fois deux pour et deux contre, se dérouleront en public et devant un hôte de marque. La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, viendra en effet écouter la crème des débatteurs juniors. Le plus difficile aux yeux de Zoé? «Ce n’est que trente minutes avant le débat que l’on fait connaissance de son partenaire et que l’on apprend quel point de vue on doit défendre.»
Des règles strictes
Enseignée dans le cadre de la formation continue par Lucie Schaeren et Yannis Papadaniel, la méthode La jeunesse débat répond aux exigences du nouveau plan d’études romand. Lucie Schaeren: «Les professeurs sont assez démunis par rapport à l’enseignement de l’oral.
Ils sont preneurs de la méthode. Nous formons quelque 400 enseignants par année. Depuis ses débuts, il y a dix ans, quelque 25 000 élèves ont appris à débattre.»
En décembre 2014, les deux Vaudois ont d’ailleurs publié, Mon carnet citoyen (aux Editions Loisirs et Pédagogie), soit une brochure pour les élèves et une pour les enseignants. Ces carnets permettent d’enseigner la citoyenneté à l’école en huit modules. Valeurs et opinions, règles et lois, désaccord et débat sont quelques-uns des thèmes abordés.
Le débat, qui oppose deux adolescents à deux autres, se déroule en trois parties autour d’une question fermée qui délimite clairement les positions pour ou contre. Il commence par une ouverture qui permet à chaque élève d’exposer son point de vue et sa ligne argumentaire durant deux minutes, cela sans interruption.
Suit la partie discussion libre, soit un débat de douze minutes, avec la permission de couper la parole à l’autre, de rebondir sur ses arguments et de le prendre en défaut. La phase de clôture, elle, dure une minute par participant et permet de faire un bilan. Il n’y a pas d’animateur, mais un chronométreur.
Pas de combats de coqs
De fait, il n’est pas question d’écraser ses petits contemporains et de reproduire les combats de coqs qui ont lieu sur les plateaux télévisés. En plus d’apprendre à s’exprimer oralement, gagner de l’assurance en public et défendre une opinion propre, il s’agit également de développer des compétences sociales, soit écouter et intégrer les avis contraires et savoir donner un retour constructif à ses pairs.
L’exercice a également pour but d’enseigner aux élèves à rechercher et à structurer l’information, aiguiser leur esprit critique et cerner une problématique. Tout un programme.
Un truc de premier de classe, La jeunesse débat? Yannis Papadaniel: «A priori, les finalistes sont ceux qui sont à l’aise en public. Ce ne sont pas nécessairement les élèves qui ont le plus de facilités scolaires qui sont les meilleurs. Des adolescents qui ont des problèmes à l’écrit se sont distingués à l’oral.
D’autres, qui s’intéressaient aux thèmes proposés, excellaient dans le débat.»
C’est le constat de Nino Bovay, 15 ans, élève chaux-de-fonnier de 11e Harmos, qui participera à la finale à Berne. Lui qui se destine à la filière physique et applications des maths au collège, relève avec bonheur la participation d’élèves de filière préprofessionnelle.
«Ce genre d’exercice est bon pour les élèves rabaissés par les profs. Ils peuvent montrer qu’ils ont des capacités.» Lui-même ne s’attendait pas à être pris. «Je ne me suis pas inscrit pour gagner. Mais je trouve l’expérience intéressante et amusante.»
La revanche des garçons?
Toutes autres sont les ambitions de Loïc Chevalley, gymnasien vaudois de 17 ans, qui rêve de devenir comédien. «J’espère gagner!» Le jeune homme, qui s’est lancé dans l’improvisation depuis six ou sept ans et dans le théâtre depuis trois ans, est impatient d’en découdre.
«Le débat est un exercice théâtral et intellectuel que l’on n’a pas l’habitude de pratiquer. C’est très stimulant. En plus de savoir s’exprimer, cela demande une certaine allure, de la spontanéité et du naturel. Il ne faut pas en faire trop ni trop peu…»
L’improvisation, ça aide? «Oui, énormément, mais il faut également préparer les arguments.» Pour cela, Loïc peut compter sur une équipe de dix copains qui l’aident à lister les arguments. Nerveux, Loïc, à quelques jours de la finale? «Il y a deux ans, c’est une fille qui a gagné. Ça met la pression…»
Du côté du Jura, Marieke Braun, 16 ans au mois de mai, prend les choses «à la cool» et se réjouit de rencontrer d’autres jeunes de toute la Suisse. La gymnasienne, option biochimie, se dit étonnée d’avoir été sélectionnée, même si elle avoue aimer parler.
«J’arrive assez bien à trouver des idées, mais pas à avoir un beau langage. Les autres disent moins de «pis» que moi.» Apprendre à débattre, cela s’apprend comment? «Il faut lire, écouter des débats et regarder autre chose que l’émission de téléréalité Les Anges…»
Professeur en 11e Harmos au Cycle d’orientation régional de Sainte-Jeanne-Antide, à Martigny, Florence Couchepin enseigne la méthode La jeunesse débat. Sans la contribution de deux confrères et de leur classe de français, elle n’aurait pas pu organiser un concours au sein de l’école.
«La classe de Mehdi Peci, élève discret mais efficace qui participera à la finale à Berne, est très participative. Elle prend ce que les professeurs lui donnent.»
Enseignerait-elle la méthode à toutes les classes? «Certaines ne s’y prêtent pas. Il faut que les élèves aient envie de participer.» Les adolescents ne profiteraient-ils pas tous d’un tel enseignement, même une heure hebdomadaire?
«Il est très difficile d’impliquer les élèves pour une branche enseignée une heure par semaine.» Mais les Helvètes ne se doivent-ils pas d’améliorer leur talent de débatteurs, moins bon que celui des Français? «Je vous rappelle que ce sont des Suisses qui ont remporté les derniers Championnats du monde de débat, en 2014…»
A quelques jours de la finale, Zoé espère bien gagner elle aussi. Mais elle a déjà remporté une sacrée victoire. «Apprendre à débattre a changé ma vie de tous les jours. Désormais, je songe à ce que les autres peuvent penser et ressentir. Apprendre à débattre, c’est se rendre compte que les autres comptent aussi…»