«JEUNE ET JOLIE». Les adolescentes d’ici et maintenant s’identifient-elles à Isabelle, qui se prostitue par plaisir? «L’Hebdo» a vu le film avec quatre Romandes de son âge.
Isabelle se débarrasse de sa virginité avec un flirt de vacances l’été de ses 17 ans. Déception. De retour à Paris, elle se met à coucher contre de l’argent avec des inconnus dans des chambres d’hôtels sans que personne ne se doute de rien au lycée. Ses parents finissent par le découvrir, et Isabelle tente de reprendre des relations normales avec des garçons de son âge. Le nouveau film de François Ozon pose des questions dérangeantes. Les jeunes filles rêvent-elles de prostitution? Sont-elles prêtes à coucher pour se payer les sacs Prada en vitrine? Se reconnaissent-elles en Isabelle? Nous avons vu Jeune et jolie avec quatre adolescentes de 17 à 18 ans domiciliées dans la région lausannoise. Si elles ont «adoré» le film, Isabelle, ce n’est pas elles.
Le film
Charlotte: «On s’identifie tout de suite à l’héroïne, elle vit comme nous, elle garde pour elle une partie de ce qu’elle vit.» Marine: «Elle est à la fois grande mais touchée lorsque ses parents lui amènent un gâteau d’anniversaire. Elle sait qu’elle n’est plus une enfant et qu’elle perd quelque chose.» Caroline: «Le film montre des choses qui nous concernent et que l’on voit peu au cinéma. Comme la masturbation féminine.»
La première fois
Caroline: «La première fois, ça change une fille. Pour l’héroïne du film, c’est une désillusion qui la pousse peut-être à se lancer dans la prostitution.» Marine: «Il vaut mieux le faire avec un garçon à qui l’on tient: comme d’un point de vue sexuel ce n’est pas génial, ça passe mieux. Je craignais de ne pas tomber amoureuse assez tôt! Passé 17 ou 18 ans, on se demande si on est normale si on est encore vierge. Mais ensuite, on se sent libérée et on n’hésite pas à avoir des relations sans être amoureuse.» Caroline: «Les filles que je connais et qui l’ont fait avec le premier venu le regrettent.» Marine: «Une amie avait pris rendez-vous sur le Net avec un inconnu juste pour que ce soit fait…» Estelle: «C’est un poids en moins.» Marine: «Les garçons sont flattés si on leur donne notre virginité. Nous, ça nous est égal.»
Pourquoi Isabelle se prostitue
Estelle: «On la voit lire Les liaisons dangereuses: je pense qu’elle veut manipuler les hommes, jouer avec eux.» Caroline: «Elle pense que ce sont eux les coupables, les dégueulasses qui la sollicitent, pas elle. C’est vrai qu’un homme reste un homme, même s’ils ne sont pas tous comme ça. Elle se dit que si un homme paie, c’est qu’il la veut vraiment. C’est valorisant.» Marine: «Elle fait cela pour ressentir des émotions, se sentir désirée.» Estelle: «L’argent est symbolique, puisqu’elle ne le dépense pas.» Charlotte: «C’est une manière de se prouver sa valeur. Ce n’est pas coucher qu’elle aime, c’est le tout, le jeu, découvrir l’hôtel. Lorsqu’elle a un copain de son âge, il l’agace parce qu’il n’est pas valorisant.»
C’est grave, docteur?
Marine: «C’est son âge qui me choque. Si elle avait 30 ans, cela changerait tout.» Charlotte: «C’est bizarre de commencer sa vie sexuelle de cette manière. Je ne m’imagine pas à sa place.» Estelle: «Aujourd’hui, on est trop pressé, les jeunes ont envie de tester de plus en plus vite des choses extrêmes sans profiter de simplement faire l’amour.» Marine: «Si une amie me disait qu’elle se prostitue, j’aurais peur pour elle, qu’elle ne se rende pas compte du danger, des agressions, etc.» Caroline: «Je serais inquiète mais je ne la jugerais pas. Je ne lui dirais pas d’arrêter. C’est sa vie, son corps.»
Isabelle est-elle une pute?
Charlotte: «Pas vraiment, puisqu’elle ne fait pas cela pour de l’argent…» Estelle: «De l’extérieur, oui, mais dans sa tête, non.» Caroline: «C’est une fille qui se cherche.» Marine: «Les putes, même les garçons de 19-20 ans y vont. Ils trouvent normal de faire cette expérience, parfois c’est un cadeau d’anniversaire que les autres leur offrent.»
Coucher sans être amoureuse
Caroline: «C’est personnel, certaines aiment le faire, d’autres préfèrent qu’il y ait du sentiment.» Estelle: «Il y a une différence entre les filles et les garçons. Les garçons qui couchent à gauche et à droite sont des players, on les admire. Mais ils sont super critiques si les filles font pareil.» Marine: «Les garçons disent que s’ils apprennent qu’une fille couche avec un autre, ils ne la voudront plus.» Marine et Caroline: «On ne juge pas, eux oui! Cela montre la domination des hommes sur les femmes! Alors qu’on a bien le droit de se faire plaisir aussi.»
Le feraient-elles pour un sac Prada?
Charlotte et Estelle: «Non, même en cas de grand besoin d’argent, il y a toujours une autre solution.» Caroline: «Cela peut être pour certaines filles une manière de se sentir plus matures, mais je me sentirais mal dans mon corps de le faire.» Marine: «Parfois ma mère s’inquiète, me demande si des hommes m’abordent…»
Les films pornos
Caroline: «Quand j’avais 11 ans, il y avait déjà des images qui circulaient en classe. Un ami m’a dit qu’à force de voir des filles dans des vidéos, il avait envie que les vraies filles leur ressemblent. J’étais déçue.» Marine: «Tous les mecs ont des photos de filles en bikini comme fond d’écran pour frimer. Mais ces films peuvent perturber. Nous-mêmes, à force de voir des filles crier, on se demande si on est normales de ne pas pousser autant de cris!»
Ceci est mon corps
Pourquoi, un beau jour, Isabelle décide-t-elle de devenir Léa et de faire commerce de son corps? Ne comptez pas sur François Ozon pour dresser un portrait psychologique de son personnage, encore moins pour tenter une approche moralisatrice du thème sensible de la prostitution adolescente. Après avoir fait du spectateur, dès le premier plan, subjectif, un complice et voyeur, le cinéaste filmera son héroïne sans jamais la montrer en train de s’expliquer. Sortir de l’enfance, revendiquer sa liberté et son droit d’user de son corps à sa guise: voilà ce que semble finalement vouloir Isabelle. Ozon est un cynique, un manipulateur, diront encore ses détracteurs. Alors que le talent du cinéaste est immense, on en veut pour preuve la manière dont il parvient à guider notre regard sans jamais nous asséner de vérité univoque.
De François Ozon. Avec Marine Vacth et Géraldine Pailhas. France, 1 h 34. Sortie le 28 août. Le 22 août à Lausanne (Pathé Galeries, 19 h), première en présence de Marine Vacth et Frédéric Pierrot.