Marcela Iacub
Essai.Diffuser un film X dans le cadre de l’éducation sexuelle? Soutenue par les jeunes socialistes suisses et quelques parlementaires, l’idée fait son chemin. Notre chroniqueuse Marcela Iacub estime que les films X pourraient montrer que le libertinage est un excellent vaccin contre les souffrances de l’amour.
Le projet des jeunes socialistes de diffuser des films X dans les écoles suisses a d’ores et déjà provoqué une polémique. Pourtant, la controverse ne porte pas sur le fond. Aussi bien ceux qui sont pour que ceux qui sont contre condamnent avec la même véhémence ces œuvres maudites dans lesquelles les femmes se présentent comme des objets à l’entière disposition des hommes, le dilemme étant de savoir s’il faut montrer ou pas ces images dans le cadre de l’enseignement officiel afin de mieux les stigmatiser. Notamment pour faire comprendre aux plus jeunes que, dans la réalité, les choses ne sont pas ainsi, c’est-à-dire que les femmes ne sont pas toujours prêtes à coucher avec les hommes.
Pourtant, dans ces films, cette disponibilité est réciproque. En effet, les hommes y sont toujours prêts eux aussi à coucher avec les femmes – se donnant entièrement à elles tels des objets. Et, dans la réalité, les choses ne se passent malheureusement pas toujours ainsi. Il y a donc un risque aussi pour les femmes de confondre la réalité et la fiction et d’imaginer qu’il suffit de le vouloir pour avoir accès à tous les hommes sur qui elles fantasment. Certes, les femmes risquent moins que les hommes de violer les objets de leurs désirs. Pourtant, si elles prennent ces films au sérieux, elles peuvent souffrir tout autant que les hommes du refus de ceux qu’elles convoitent.
Or, ces films ont la solution aux frustrationséventuelles qu’ils peuvent provoquer. Car que nous disent-ils si nous prenons la peine de les analyser? Qu’en matière sexuelle une personne est substituable à une autre. En effet, on n’y voit pas des gens désespérés pour celle-ci ou celui-là comme il arrive dans les comédies sentimentales ou les drames plus classiques. Le jeune Werther n’aurait jamais pu incarner un personnage de film X, et donc se suicider à la suite du refus de la belle Charlotte. On pourra objecter qu’au fond on n’en sait rien. Le fait d’être sexuellement comblé par tant de partenaires ne signifie pas qu’on ne puisse pas être amoureux d’un seul avec qui les choses ne sont pas possibles.
Mais l’on peut parier que ces frustrations sont moins pénibles dans ces conditions que sous le régime de la pénurie sexuelle. En bref, les films X, loin d’être l’objet d’une quelconque stigmatisation, devraient servir à montrer aux jeunes et aux moins jeunes que le libertinage peut être un excellent vaccin contre les souffrances de l’amour.
dangereuse frustration
Si l’on examine les statistiques sur les suicides et sur l’isolement chez les habitants des pays riches, on remarquera que la frustration amoureuse est plus dangereuse que le libertinage sexuel. Et pourtant les gouvernements, les cinéastes, les romanciers, les enseignants, les animateurs de télévision ne cessent de vanter les mérites de ce sentiment et de penser pis que pendre sur le libertinage. Comme s’il y avait un véritable complot destiné à nous faire vivre dans le malheur.
C’est ainsi que l’on pense que le couple fondé sur l’exclusivité sexuelle continuera à servir de cheville à la reproduction de la société. La mise au ban des films X ne sert à rien d’autre qu’à cela: nous montrer que l’amour conjugal est supérieur au libertinage. En bref, loin de chercher à créer une société plus respectueuse des femmes, l’horreur de la pornographie est en réalité une forme de censure politique des possibilités de vie différentes aux nôtres. Des vies avec moins de larmes et d’antidépresseurs. Des vies dans lesquelles on ignore, ou presque, les souffrances des cœurs.