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Marie de Hennezel: La vie érotique après 60 ans, ça peut être bien, parfois même mieux qu’avant.

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Jeudi, 26 Mars, 2015 - 05:57

Interview. S’accomplir dans le refus de la performance, c’est la voie royale pour les amants matures. Une nouvelle révolution sexuelle est entre leurs mains, plaide la psychologue française.

Elle se découvre femme fontaine à 68 ans. A 75, elle déclare: «Il ne bande plus? Je m’en fous, avec trois fois rien, il me fait jouir!» Les «sexas sexys» ont le vent en poupe et – surtout aux Etats-Unis comme il se doit – les éditeurs relaient les témoignages de leur nirvana tardif, aussi spectaculaire qu’intimidant. Encore taboue il y a peu, la sexualité des séniors est-elle en train de basculer dans une nouvelle forme d’injonction de réussite?

Pas si simple, dit la psychothérapeute Marie de Hennezel dans son dernier livre: «l’embellie» érotique que vivent certains babyboomers est réelle, inédite en termes générationnels. Mais, précisément, elle suppose l’abandon de la course à la performance.

Mais attendez: Marie de Hennezel? Oui, c’est bien elle, la pionnière française des soins palliatifs, la papesse de la fin de vie. Parce qu’il n’y a pas que la mort.

Vous êtes célèbre comme spécialiste de la fin de vie, et voilà que vous nous parlez d’érotisme, c’est surprenant! 

Après Thanatos, Eros: beaucoup de gens sont étonnés. En réalité, cela fait dix ans que je m’intéresse à la thématique du bien vieillir. J’anime des séminaires sur l’art de négocier le passage au troisième âge et j’ai déjà publié trois livres sur le sujet.

Mais, avec votre dernier ouvrage, on passe de «bien vieillir» à «bien faire l’amour à 70 ans», c’est nettement plus précis…

Les choses se sont enchaînées naturellement: dans La chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller, qui a été traduit aux Etats-Unis, j’ai fait un chapitre intitulé Vieillir et jouir encore. J’y prends le contre-pied des ouvrages sur les «sexas sexys», très en vogue en ce moment aux Etats-Unis, qui plaident pour une sexualité des séniors sur le mode jeuniste. Ils disent, en substance: il faut bosser, mais on peut arriver à faire que tout soit comme avant.

J’estime que non. La vie érotique après 60 ans, ça peut être bien, et même parfois mieux qu’avant, mais c’est nécessairement différent. Mon éditeur américain a suggéré que je développe ce point de vue dans un livre entièrement consacré à la question.

Vous vous êtes donc documentée, vous avez rencontré des spécialistes et des amants tardifs. Vos conclusions?

Il y a bien une vie érotique pour les personnes au-delà de 60 ans. Mais cette réalité ne concerne qu’une minorité de gens, 30% environ. Et, surtout, ce n’est pas une vie sexuelle comme avant: elle suppose une transformation, je dirai même une révolution.

C’est comment, après 60 ans?

Les personnes qui vivent cette «embellie» tardive décrivent une relation érotique plus lente, plus sensuelle, moins sauvage, moins génitale, plus accomplie. Elles ont laissé derrière elles l’anxiété de la réussite, elles n’ont plus rien à prouver.

Comme dit l’actrice Macha Méril, 74 ans, qui vit, avec Michel Legrand, 82 ans, la plus extraordinaire relation érotique de sa vie et qui a accepté de témoigner: «Il faut savoir ne rien attendre.» L’abandon est une notion centrale dans cette expérience, avec l’intimité.

Le fameux lâcher-prise?

Oui. Avec le temps, on acquiert souvent une plus grande capacité de savourer les choses. Le corps vieillit, s’assèche, se ramollit, c’est une réalité qu’il ne faut pas nier. Mais ce qui croît en nous, c’est une disposition à vivre consciemment chaque moment, une certaine forme de sensualité.

Et la capacité de sortir de ce que vous appelez «l’érotisme autocentré»?

Oui, de s’ouvrir à l’autre, sans plus se soucier de son image. L’intimité érotique dont nous parlons ne peut pas être dissociée de la relation. A 30 ans, on peut faire l’amour sans amour; à 60, ce n’est plus possible: le désir est proportionnel à la qualité de la relation. Il est forcément lié à une rencontre, à une connivence profonde.

Pas évident. En somme, vous décrivez un nirvana réservé à une élite!

Je n’aime pas ce mot mais il est vrai que les conditions à réunir ne sont pas faciles. Ne serait-ce que parce que beaucoup de gens sont seuls. Mais bien des personnes de ma génération voient venir le vieillissement et ont ce désir de se donner une chance de vivre un amour de maturité.

C’est un phénomène propre à la génération des babyboomers et qui m’a été confirmé par un sexologue: son cabinet est plein de sexagénaires en quête de plénitude érotique. Nos parents n’auraient pas eu l’idée de s’y lancer!

Il y a pourtant la réalité sociologique: beaucoup de séniors sont seuls et ce sont en majorité des femmes.

C’est indéniable, il y a plus de femmes qui vivent seules. Mais ce que j’ai découvert dans mon enquête, ce sont des femmes matures qui vivent des amours secrètes avec un homme qui, par ailleurs, n’a pas envie de fracasser son couple légitime.

Elles acceptent de vivre la belle histoire d’amour qui leur est donnée en renonçant à tout avoir. Et cela plus facilement que d’autres, plus jeunes, qui n’arrivent pas à gérer la frustration et veulent forcer leur amant au divorce.

Mais on retombe dans le vieux schéma bourgeois de l’épouse et de la maîtresse, vous parlez d’une nouveauté!

C’est une manière réductrice de voir les choses, qui peut être dépassée. J’ai été convaincue par Robert Misrahi qui, dans son livre La joie d’amour, parle de ce qu’il appelle «l’éthique du secret». L’amour et l’exclusivité sexuelle ne vont pas forcément de pair.

Je crois que nous avons une double responsabilité: mettre de la joie dans notre vie et ne pas faire de mal aux autres. La responsabilité d’un homme marié, c’est de ne pas abandonner sa femme. Mais il peut vivre, ailleurs, un amour qui s’additionne, sans rien enlever à l’autre. Je sais que je vais faire grincer les dents de certains moralistes, mais ce que j’ai vu et entendu m’a étonnée.

Les moralistes ne vont pas aimer non plus que vous suggériez aux femmes seules d’autres voies: la masturbation, la relation homosexuelle…

J’assume. A partir du moment où la joie érotique, pour certains, fait partie intégrante de la joie de vivre, pourquoi pas? Pourquoi pas une certaine connivence intime avec une autre femme, si on ne blesse personne? Je parle d’intimité et de sensualité, on n’est pas obligés d’aller jusqu’au coït.

Précisément: selon certaines études américaines, la satisfaction sexuelle augmente avec l’âge. Mais elle n’est plus liée à la pénétration.

C’est la raison pour laquelle la voie des érotismes orientaux, comme le trantrisme ou le tao, peut ouvrir des portes aux séniors. Il s’agit de sexualités qui, de tout temps, ont mis l’accent sur autre chose que la génitalité: avoir ou non une érection, cela n’a aucune importance, c’est le contact des sexes qui apporte la plénitude.

Le tantrisme, le tao, la méditation orgasmique: n’est-ce pas d’abord un nouveau marché pour ex-babas vieillissants?

Bien sûr, là où il y a un besoin, il y a un marché. Et quand les Américains reprennent ça à leur sauce, c’est vite aliénant. Mais les choses sont plus complexes. Si certaines personnes de ma génération – une minorité, je le répète – se lancent dans cette quête en s’appropriant des savoirs millénaires, c’est qu’elles souhaitent approfondir quelque chose qu’elles sentent n’avoir qu’effleuré durant leur vie.

Les normes sexuelles axées sur la performance, c’est très nuisible, y compris pour les jeunes. Les sexologues reçoivent de plus en plus de jeunes qui ne font plus l’amour. Parvenir à dépasser ces normes, c’est une libération.

En somme, il y a une révolution à faire pour parvenir à une sexualité enfin débarrassée de la génitalité et de la performance, et les babyboomers sont encore une fois à l’avant-garde!

Encore une fois, ça ne concerne pas tout le monde. Bien des gens, même s’ils vivent amoureusement en couple, ont simplement envie de tourner la page de la vie sexuelle. Mais, oui, les babyboomers que cette quête intéresse sont bien placés pour montrer la voie.

Les hommes, avec l’âge, ont tendance à se tourner vers des femmes plus jeunes. Ne risquent-ils pas, ce faisant, d’aggraver leur anxiété du vieillissement?

Oui, car la demande d’une femme plus jeune sera plus facilement portée vers la performance. J’ai rencontré des hommes «cassés» par des partenaires qui les confrontaient constamment à leurs défaillances érectiles.

Et qui ont retrouvé une plénitude érotique avec des femmes plus âgées, se donnant la liberté d’explorer une intimité différente. Si le comportement de nombreux hommes est paradoxal, c’est qu’ils n’ont pas compris qu’avoir une érection n’est pas indispensable pour faire l’amour.

A qui s’adresse votre livre?

Je crois qu’il peut surtout ouvrir des portes aux jeunes séniors, les quinquas et sexagénaires, qui voient venir le vieillissement, qui ont encore soif de vie amoureuse et qui ont envie d’amorcer une transition en se libérant de vieux schémas qu’ils ont trimbalés toute leur vie. Je leur dis: votre vie sexuelle a un avenir, mais ce sera autre chose.

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Eric Durand
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