Décodage. Meilleure représentation des minorités et efficience accrue. Tout plaide en faveur d’un Conseil fédéral à neuf membres. Mais les ministres en place font la sourde oreille.
Cette fois-ci sera-t-elle la bonne? En ce jeudi 26 mars, la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil national relance une fois de plus un débat séculaire. Elle est appelée à approuver une initiative parlementaire proposant d’élargir le Conseil fédéral de sept à neuf membres, première étape d’un long processus débouchant dans le meilleur des cas sur un scrutin populaire d’ici à trois ans au plus tôt.
Incroyable! Ce débat est aussi vieux que la Suisse moderne. En 1848 déjà, la Diète fédérale avait longuement délibéré sur le nombre adéquat de membres du gouvernement. La commission ad hoc ayant rédigé un premier projet de Constitution prévoyait un collège de cinq sages seulement, invoquant des questions de coûts et d’éventuelles tensions intestines en cas de gouvernement plus étoffé. C’est finalement la charge de travail et la représentation des régions qui avait incité la Diète à fixer ce nombre à sept.
Un tessin qui se sent oublié
Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’histoire se répète. Près de cent septante ans plus tard, les termes de l’enjeu sont restés presque identiques. Au cours du siècle dernier, les effectifs de l’administration ont plus que quadruplé, passant de 8000 à 35 000 aujourd’hui.
Mais la taille du gouvernement est restée la même, comme si ce chiffre biblique de sept «sages» en était devenu sacro-saint.
Les partisans d’une réforme ont saisi l’occasion de critiquer une traduction approximative de l’article 175 de la Constitution pour relancer le débat. En français et en italien, la version stipule que «les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées» au Conseil fédéral.
«Mais ce texte est moins contraignant en allemand», déplore Isabelle Moret (PLR/VD), qui s’est engagée en faveur d’une formulation sans équivoque de l’article et d’une extension du collège gouvernemental à neuf personnes.
Cette démarche fait donc l’objet d’une initiative parlementaire de la CIP, qui vient d’accoucher d’un rapport devant être approuvé cette semaine. La décision sera serrée, car les avis sont partagés.
Ses partisans se recrutent parmi les Latins, une bonne partie de la gauche et les petits partis. Les opposants se situent surtout chez les élus alémaniques des deux partis gouvernementaux de droite, le PLR et l’UDC.
C’est son volet linguistique qui a remis ce thème sur le devant de l’actualité. Les dernières élections au Conseil fédéral ont divisé les Latins. En 2009 au PLR, les Romands ont longtemps craint que Fulvio Pelli ne brigue le siège laissé vacant par Pascal Couchepin, dont héritera Didier Burkhalter.
En 2011 chez les socialistes, le ticket Alain Berset/Pierre-Yves Maillard n’a laissé aucune chance à la Tessinoise Marina Carobbio. Seule solution pour éviter cette guerre fratricide entre minoritaires: resserrer les rangs en faveur d’un Conseil fédéral à neuf membres.
Au sud des Alpes, le malaise est palpable. Cela fait désormais seize ans que le Tessin est absent du Conseil fédéral, ce qui n’était jamais arrivé depuis la création de la Suisse moderne en 1848.
Un record négatif qui désole Marco Romano (PDC/TI), qui égrène les trop nombreuses questions dont souffre son canton: relations bilatérales entre la Suisse et l’Italie, sous-représentation des italophones au sein de l’administration fédérale, sous-enchère salariale provoquée par les effets négatifs de la libre circulation des personnes, pour ne citer que les principaux. «Les Tessinois ont l’impression de ne pas être compris, et plus encore de ne pas être respectés à Berne.»
Tout cela a débouché sur un spectaculaire autogoal du Conseil fédéral lors de la campagne de votation relative à l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse» du 9 février 2014. «Aucun de ses membres n’est venu au Tessin expliquer la position gouvernementale, ce qui a constitué une faute politique majeure», constate même Roberta Pantani (Lega/TI).
Lors de la votation, le Tessin a massivement approuvé l’initiative et a fait la décision à lui tout seul. Jamais il n’a développé d’aussi puissants réflexes de fermeture face à l’étranger. Cela n’a pas toujours été le cas. Un petit siècle plus tôt, en 1920, il avait plébiscité l’adhésion de la Suisse à la Société des Nations à une majorité de 85%.
L’autre argument de poids qui milite en faveur d’un élargissement du Conseil fédéral réside dans une efficience accrue. Selon le président du PBD, Martin Landolt, tout a changé depuis 1948: la complexité des défis à relever, le rythme de travail, l’internationalisation de la politique.
Depuis qu’il est à la tête des Affaires étrangères, Didier Burkhalter a passé entre quarante-trois et cinquante-sept jours par an à l’étranger. Responsables de dossiers aux enjeux globaux, Simonetta Sommaruga (migrations), Doris Leuthard (énergie et climat) et Eveline Widmer-Schlumpf (échange automatique des données) ne voyagent pas beaucoup moins.
«Le Conseil fédéral n’a plus assez de temps pour la conduite stratégique et exécutive des départements, qui sont devenus trop grands», en déduit Martin Landolt. Un exemple: le peuple a adopté la révision de la loi sur l’aménagement du territoire en 2013, mais la ministre Doris Leuthard, précisément à la tête d’un département mammouth, n’a plus le temps de piloter sa mise en œuvre: ce sont alors ses hauts fonctionnaires qui doivent faire face à la révolte de nombreux cantons fâchés de devoir réduire leurs zones industrielles.
Déficit de Leadership
Présidente de la CIP qui tranchera cette semaine, Cesla Amarelle (PS/VD) abonde dans ce sens. «J’ai constaté un clair déficit de leadership au sein du Conseil fédéral lors des crises survenues avec la Libye et, plus récemment, dans l’affaire du franc fort où sa passivité est criante», regrette-t-elle.
Malgré cela, le Conseil fédéral ne voit aucune raison d’accueillir deux nouveaux membres. Sa dernière prise de position sur le sujet remonte à 2012, en réponse à une motion socialiste. D’une part, il estime que «dans l’ensemble les minorités culturelles ont été bien représentées en [son] sein, y compris la Suisse italophone». D’autre part, il craint un affaiblissement du principe de collégialité et un renforcement de la bureaucratie.
«Il y a là un déni de réalité du Conseil fédéral face aux défis à relever, décèle Cesla Amarelle. Dans notre inconscient collectif, nous cultivons le mythe d’un petit pays que nous ne sommes pas.» Avec ses 8 millions d’habitants et une économie parmi les 20 plus fortes du monde, la Suisse est un pays de moyenne importance.
Bien sûr, la création de deux nouveaux départements occasionnerait des coûts supplémentaires, que la Chancellerie fédérale estime entre 35 et 40 millions par an. Mais même les adversaires les plus farouches du projet, que l’on retrouve à l’UDC, n’en font pas un argument décisif.
«Si les conseillers fédéraux sont surchargés de travail, c’est parce qu’ils ne savent pas se concentrer sur leurs thèmes prioritaires et qu’ils vont beaucoup trop à l’étranger», critique Hans Fehr (UDC/ZH). Selon lui, ils pourraient se passer d’assister à des conférences internationales d’une «importance secondaire».
Jusqu’ici, toutes les tentatives d’élever le nombre de conseillers fédéraux ont échoué avant même d’être soumises au peuple. Au sein de la CIP, la proposition a de bonnes chances de passer la rampe, mais ce ne sera là qu’un premier écueil.
Il s’ensuivra une procédure de consultation débouchant sur un message soumis aux Chambres, puis sur un éventuel scrutin populaire impliquant la double majorité du peuple et des cantons. Ce marathon ne fait donc que commencer. Les Tessinois risquent de devoir patienter encore longtemps avant de retrouver l’un des leurs au sein du Conseil fédéral.