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Quand des kalachnikovs deviennent bijoux

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Jeudi, 2 Avril, 2015 - 05:52

Zoom. Origines, c’est le nom de la première collection de bagues, bracelets et pendentifs réalisés à partir d’armes qui ont servi au Tadjikistan et à Sarajevo. Explication.

«Nous avons eu un coup de cœur en voyant cette collection de bijoux. Et nos clients nous suivent. En peu de temps, nous avons vendu une dizaine de pièces.» Assis à la longue table en bois de son arrière-boutique à Tramelan, dans le Jura bernois, Roland Pelletier détaille son engouement pour la collection Origines, élaborée à partir d’anciennes armes, des kalachnikovs qui ont servi au Tadjikistan et à Sarajevo. «Il y a toute une histoire derrière ces bijoux. Et c’est ce que j’aime.» Une histoire incarnée par François Ghys.

Mince, les cheveux roux flamboyant, ce Français d’Annecy se dit «éditeur» de bijoux. Cet après-midi de mars, le quadragénaire est venu rendre visite à la deuxième bijouterie suisse qui a décidé de vendre ses bijoux. Il a emmené avec lui les 18 modèles de sa collection. Des pendentifs, des bracelets, des bagues et un inro, soit une petite boîte d’inspiration japonaise, dont les prix varient de 110 à 400 francs. Des bijoux qui, s’ils ont des formes et des couleurs différentes, rappellent des carapaces. «Les armes qui agressent sont transformées en une enveloppe qui protège. Les structures du métal évoquent le croco, le serpent ou le galuchat.»

Financement participatif
Les trois collaboratrices de Roland Pelletier l’écoutent attentivement. Ce sont elles qui seront chargées de transmettre son récit aux clients. «Ces bijoux, c’est un rêve d’enfant. Tout petit, mes parents m’emmenaient chez les antiquaires. Je voyais des objets qui avaient une âme et de la patine. J’ai toujours voulu fabriquer quelque chose de noble, de beau, qui ait une histoire.» Des amis chefs d’entreprise lui conseillent de faire le pas: «Si tu n’essaies pas de réaliser ton rêve, tu le vivras comme un échec ta vie entière.» Ce père de trois enfants, directeur du centre de tri de la poste du département de Haute-Savoie, lance alors une demande de fonds sur un site de financement participatif. S’il ne récolte que 25% de la somme espérée, qui se monte à 20 000 euros, son appel est entendu par des investisseurs qui souhaitent devenir actionnaires de sa société qu’il a baptisée AKT. Résultat: le capital d’AKT s’élève aujourd’hui à 70 000 euros. «De plus, les entrepreneurs qui m’ont rejoint sont de bon conseil.» Il a fallu pas moins de trois ans à François Ghys pour dénicher des artisans, une designer, des professionnels des matériaux et une ONG, prête à lui fournir de l’acier, pour lancer sa première collection. Pour le moment, il est seul employé à bord.

ONG suisse
C’est la Fondation suisse de déminage (FSD), une ONG basée à Genève et présente dans onze pays, qui procure le métal d’anciennes armes récoltées au Tadjikistan. Des armes qui sont découpées puis fondues dans le pays où elles ont été utilisées, problèmes douaniers obligent. Adjoint du directeur de la FSD, Ben Truniger explique: «C’est l’exportation d’armes découpées qui est un problème, et non l’importation en Europe. Nous avons commencé par fournir 20 kilos d’acier fondu à François Ghys. Aujourd’hui, nous avons constitué un stock de 3,5 tonnes, une quantité insignifiante pour ce pays. Un grand volume d’acier recyclé à partir d’armes est vendu à l’industrie chinoise. C’est un matériau particulier, qui contient beaucoup de phosphore, gage de solidité.» Le prix payé pour ces 3,5 tonnes? «Moins de 1000 francs. C’est surtout le transfert qui coûte très cher.»

L’acier tadjik arrivé à bon port, c’est-à-dire à Annecy, où il vit. François Ghys est allé rendre visite aux ingénieurs de l’Ecole d’arts et métiers sur le campus de Cluny. La mission qu’il leur a confiée? Transformer cet acier recyclé en un alliage que l’on peut porter sur la peau. «Les étudiants ont ouvert de grands yeux lorsqu’ils m’ont vu débarquer avec mon matériel. Ils ont aimé le côté poétique de mon projet. Ils ont alors travaillé pour mettre à la norme le métal en diminuant sa teneur en plomb et en cadmium, et sur son taux de relargage en nickel.» Il ne restait plus qu’à trouver une designer. «J’en ai rencontré un certain nombre. Beaucoup me proposaient de jolies petites choses sans trop de sens. Delphine Nardin, elle, a tout de suite donné du fond au projet et vu le symbole fort que l’on pouvait transmettre.»

Des bijoux, un message
Géologue et archéologue de formation, la créatrice parisienne n’a pas hésité à relever le défi. «Habituellement, je collabore avec des maisons qui sont déjà installées. Là, j’avais plus de liberté. Il s’agissait de donner naissance à une marque. Il n’était pas question de créer quelque chose de trop tendance ou de trop anecdotique, mais des bijoux à la fois forts et intemporels.» Difficile de travailler avec un métal qui a tué? «Il y a un côté à la fois abrupt et radical dans cet acier recyclé. Pour le coup, cela devient intéressant.»

Autre défi: l’acier étant un matériau très dur, il est difficile d’apporter des retouches aux bijoux. «Un autre challenge consistait à faire retrouver l’émotion des pièces façonnées à la main. Ce matériau est généralement utilisé dans des procédés de production plus industriels, avec un rendu très net et sans défaut.» Ce sont trois artisans ardéchois, qui travaillent en famille, qui on produit toutes les pièces de la collection.

Cet après-midi de mars, les collaboratrices de la petite bijouterie tramelote sont aux anges en découvrant d’autres pièces de la collection. Roland Pelletier traduit l’enthousiasme général: «On peut se tromper sur beaucoup de choses, mais là, nous avons fait le bon choix.» Reste à savoir si les clients d’une petite région accepteront que d’autres portent les mêmes bijoux qu’eux. Jamais à court d’arguments, le bijoutier avance: «Cela peut devenir un signe de reconnaissance, du genre «Ah, tu y crois aussi…»

L’heure tourne. Il est temps pour François Ghys de reprendre la route. «L’autre jour, j’ai vu une affiche sur un mur parisien. On pouvait y lire: «Donnez-moi de la haine, j’en ferai de l’amour.» C’est ce que j’ai l’impression de faire avec mes bijoux…» ■

www.aktbijoux.com

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Jacques Lebar
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