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Pascal Couchepin: "Nous sommes dans une voie sans issue et allons tout droit vers un chaos politique"

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Jeudi, 2 Avril, 2015 - 05:54

Interview. Dans l’entretien qu’il accorde à «L’Hebdo», Pascal Couchepin ne cache pas son inquiétude sur le «chaos politique» que pourrait engendrer l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse que le peuple a approuvée le 9 février 2014. Mais il demeure optimiste: pas besoin de se lancer pour autant dans une grande réforme des droits politiques.

Propos recueillis par Chantal Tauxe et Michel Guillaume

Il est toujours aussi fringant, Pascal Couchepin. Six ans après avoir quitté le Conseil fédéral, il prend le même plaisir à animer le débat politique, qu’il peut désormais analyser avec plus de recul. Le Forum européen de Lucerne* l’a invité à s’exprimer sur le thème brûlant de la réforme des droits démocratiques.

La voie bilatérale est-elle menacée après l’approbation de l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse?
Oui, il n’y a pas de doute à ce sujet. Avant la votation, les initiants prétendaient qu’il n’y avait aucun risque. Aujourd’hui, ils ont changé d’avis et se demandent si la voie bilatérale est nécessaire. Plus le temps passe, plus on constate que la menace est réelle si le Conseil fédéral ne trouve pas d’accord avec l’UE sur une application eurocompatible de l’initiative.

Que craignez-vous le plus?
Une assez longue période d’instabilité. Nous allons tout droit vers un chaos politique. Lisez le texte de l’initiative. D’une part, il demande l’introduction de contingents pour limiter l’immigration. D’autre part, il stipule aussi qu’il faut préserver les intérêts de l’économie. A quelle partie de l’initiative faut-il donner la priorité?

A la baisse de l’immigration, à entendre l’UDC!
Mais regardez les rapports de force. L’UE, c’est 500 millions d’habitants, la Suisse 8,2. Quant à notre PIB, il est environ 30 fois inférieur. La Suisse ne pourra donc rien imposer par la force, elle devra utiliser des arguments rationnels. Comme l’UE répète que le principe de la libre circulation des personnes est intangible, nous sommes dans une voie sans issue.

Pensez-vous qu’il faille revoter?
Un nouveau vote me semble inévitable, même si je pense qu’il est faux de dire «revoter», car on sous-entendrait ainsi qu’on veut annuler le scrutin du 9 février 2014. Les Suisses détestent cela, ce serait un déni de démocratie à leurs yeux. De plus, un deuxième échec serait fatal pour la voie bilatérale. Il faut donc se prononcer à nouveau sur le même thème, mais pas sur la même question, soit en demandant aux Suisses s’ils privilégient le bilatéralisme avec l’UE aux contingents, qui nous isoleraient de l’Europe.

De plus en plus d’initiatives bloquent le système politique suisse. Faut-il réformer les droits démocratiques?
On ne modifie pas les règles du jeu en fonction d’un événement particulier. Ce n’est pas parce qu’un accident s’est produit le 9 février 2014, malgré les conséquences majeures qu’il pourrait avoir, qu’il faut remettre en cause le droit d’initiative.

Mais il n’y a pas eu qu’un seul accident. L’initiative sur l’expulsion des criminels étrangers semble elle aussi impossible à mettre en œuvre.
Non, non. Depuis peu, j’ai l’impression que le peuple suisse est en train de sanctionner sévèrement le fait que certains partis jouent avec le droit d’initiative et le dévoient pour en faire un instrument de marketing électoral. Regardez les claques infligées le 8 mars dernier aux initiatives du PDC et des Vert’libéraux, puis, je l’espère, celle à venir du Parti évangélique exigeant un impôt sur les successions. J’ai bon espoir que les partis comprennent les leçons de ces votations et se calmeront.

Qu’est-ce qui vous rend si optimiste?
Je rappelle toujours qu’après l’introduction du droit d’initiative, la première initiative (contre l’abattage rituel, ndlr) acceptée par le peuple en 1893 était antisémite. Mais ensuite, tous les excès ont pu être canalisés sans qu’aucune réforme ait été nécessaire. Nous avons réussi à stabiliser le système durant près d’un siècle. C’est vrai que nous passons actuellement par une phase plus difficile, mais ce n’est pas une raison pour changer les règles du jeu.

La Chancellerie fédérale ne devrait-elle pas intervenir pour invalider des textes d’initiative extrêmes remettant en cause le droit international?
Non, ce n’est pas à la Chancellerie de décider, mais au Conseil fédéral de proposer au Parlement d’invalider ou non une initiative. Je serais même partisan d’exiger une majorité qualifiée de 60% pour l’annulation. Il s’agit toujours, dans ces cas-là, de chercher un équilibre entre plusieurs objectifs idéaux. J’observe que même l’UDC, qui vient de lancer son texte pour faire primer le droit suisse, admet le respect du droit international impératif.

Que pensez-vous de l’idée du think tank Foraus qui propose d’obliger les initiants à citer les traités internationaux devant être dénoncés?
C’est une idée intéressante qu’on peut discuter. Mais je ne suis pas sûr que cela changerait grand-chose, ni lors de la récolte des signatures dans la rue, ni plus tard.

Faudrait-il créer une cour constitutionnelle chargée d’invalider une initiative?
Non. Le millefeuille institutionnel suisse est déjà assez épais en matière d’initiatives avec d’abord la récolte des 100 000 signatures nécessaires, puis les prises de position du Conseil fédéral et des deux Chambres. Une cour institutionnelle n’est pas dans notre ADN. C’est au Parlement, émanation du peuple, de trancher.

Le Parlement est-il assez courageux lorsqu’il s’agit d’invalider une initiative?
C’est vrai qu’il pourrait à l’occasion se montrer plus audacieux.

Prenons un cas concret: faudrait-il invalider une initiative pour introduire la peine de mort pour les pédophiles récidivistes?
Personne ne pense qu’une telle initiative serait compatible avec le droit international impératif. Il y a des choses évidentes pour un esprit humaniste normal. Notre démocratie et notre conception du respect des droits de l’homme ne sauraient tolérer la réintroduction de la peine de mort.

Et la peine de mort pour des terroristes, comme le réclame l’avocat genevois Charles Poncet?
Là aussi, je m’y oppose. L’abolition de la peine de mort est un progrès de civilisation. Nous sommes capables de détenir des terroristes en prison pour une période de longue durée. J’accepte la peine de mort en cas de guerre, soit lorsque les règles ordinaires n’existent plus. Ce n’est pas le cas dans la lutte contre le terrorisme.

Faudrait-il organiser des «hearings» publics lors desquels les initiants devraient s’expliquer en détail sur la manière de mettre en œuvre leur texte?
Non. Prenons le cas de l’initiative du 9 février. Les initiants ont tablé sur le fait que le Conseil fédéral pourrait renégocier l’accord sur la libre circulation des personnes, bien que cette hypothèse soit peu vraisemblable. Soyons clairs: cette initiative a trouvé une majorité parce que le Conseil fédéral ne l’a pas combattue avec toute la vigueur nécessaire. Le gouvernement a été contaminé par l’idée blochérienne que, lorsqu’une campagne de votation démarre, les autorités doivent se taire. En fait, elles doivent s’exprimer jusqu’à la dernière minute. Je constate avec satisfaction que le Conseil fédéral a corrigé le tir en s’opposant avec beaucoup plus de vigueur qu’auparavant à l’initiative d’Ecopop.

Vous dites que l’UDC a introduit dans notre système constitutionnel un péril qu’il faut juguler. Qu’entendez-vous par là, plus précisément?
Nous avons connu les événements de mai 68 – que je n’ai pas soutenus personnellement, mais qui ont été une bonne chose dans l’évolution de notre société – qui ont cassé toute une série de structures d’autorité. Petit à petit, toutes ces «institutions du sens», à savoir les Eglises, les autorités, les partis et les associations économiques, ont perdu de l’influence sur l’esprit des citoyens. L’introduction du suffrage féminin en 1971, une bonne chose en soi, a aussi joué son rôle. Enfin est arrivée la globalisation, qui a apporté plus de diversité à notre société. Tous ces éléments ont créé de l’insécurité au sein de la population, exploitée par les nouvelles méthodes de propagande de l’UDC.

Où est le péril, dans tout cela?
Le péril, c’est la segmentation du message qu’a introduite ce parti, sans cohérence d’ensemble. L’UDC promet tout et son contraire avec clarté selon les publics auxquels il s’adresse. Que s’est-il passé le 9 février? En voulant réintroduire des contingents, l’UDC provoque une vague de régulation du marché du travail. Les xénophobes applaudissent en disant: «Enfin un parti qui parle un langage clair», en se montrant indifférents à la bureaucratie supplémentaire que cela occasionne. Mais, un an après le vote, à la suite du franc fort qui fait souffrir l’économie, l’UDC se fait soudain l’apôtre de la dérégulation. Et tout à coup, ceux qui la souhaitent aussi s’enthousiasment du discours clair de l’UDC, oubliant que l’initiative contre l’immigration de masse va dans le sens contraire.

En fait, les autorités se révèlent incapables de souligner ces contradictions.
Le problème, c’est que les «institutions du sens» sont aujourd’hui très affaiblies. Or ce sont elles généralement qui sont porteuses d’une vue d’ensemble des objectifs de la politique.

Que devraient-elles faire?
C’est un gros effort, j’en conviens. Il s’agit de dépasser le discours systématique anti-institutions pour reconstituer une société capable d’esprit critique et de cohérence dans les choix successifs, tant sur le plan de la politique interne que lorsque les engagements internationaux de la Suisse sont mis en cause. L’essentiel est que les citoyens se rendent compte que voter n’est pas donner un signal, mais prendre une décision qui s’impose à tous. Le Parlement n’est pas en mesure de corriger les excès d’un texte voté par le peuple.

Pour clarifier le débat, ne faudrait-il pas une plus grande transparence sur le financement des campagnes?
Ce serait bien qu’il y ait plus de transparence volontaire, comme l’a fait le PLR valaisan qui a publié ses comptes. Mais plus que l’argent, c’est la qualité des acteurs qui fait la différence.

En Suisse, il n’y a pourtant qu’un parti qui puisse se payer des tous-ménages, ce qui peut fausser le résultat d’une votation.
Cela fausse peut-être un scrutin, mais je ne crois pas à l’efficacité de cette méthode à long terme. Dois-je rappeler que beaucoup se sont gaussés de l’association Economiesuisse lorsqu’elle a perdu des votations tout en investissant des millions dans une campagne. Les gens ne sont pas stupides. Les initiatives qui ont été approuvées l’ont rarement été uniquement en raison de l’argent investi.

Que pensez-vous de la prépondérance de l’UDC dans le débat politique?
Objectivement, ce sont les médias qui lui offrent cette domination sur un plateau. Personnellement, je pense que l’UDC arrive au bout de son latin, si tant est qu’elle l’ait jamais su. (Sourire.) Regardez comme elle cafouille sur sa propre initiative contre l’immigration de masse. Alors qu’elle a donné un délai de trois ans pour la mettre en œuvre, l’UDC menace déjà de lancer une nouvelle initiative d’application, tout en n’en faisant rien dans la pratique.

Comment convaincre le peuple qu’il ne faut pas briser les liens avec l’UE?
En disant quelque chose qui relève du bon sens. L’alternative au rapprochement d’avec l’UE constitue en un isolement d’avec nos voisins les plus proches, qui sont nos meilleurs partenaires commerciaux et de surcroît des gens avec lesquels nous partageons les mêmes valeurs politiques. Que pensez-vous d’un être humain qui, sous prétexte que les autres n’ont pas le même niveau de perfection que lui, déciderait de s’isoler et de ne plus leur adresser la parole? On le soupçonnerait d’avoir un réel problème psychologique. Si un pays adoptait une telle attitude d’isolement, cela ne pourrait que mal finir pour lui. ■

* Forum européen de Lucerne, 27 avril 2015, au KKL. Avec la participation également de la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga, et du ministre-président du land de Bade-Wurtemberg, Winfried Kretschmann.


Pascal Couchepin

Licencié en droit de l’Université de Lausanne, avocat, membre de l’exécutif de Martigny, conseiller national, le radical valaisan est élu pour la première fois au Conseil fédéral en 1998. Au cours de son mandat au gouvernement, il dirige le Département fédéral de l’économie puis celui de l’intérieur. Il accède à deux reprises à la fonction de président. Le 12 juin 2009, il présente sa démission du Conseil fédéral pour le 31 octobre de la même année.

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Olivier Maire
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