Quand Roland Borer a été élu au Conseil national en 1991, il avait 40 ans. Avec Ueli Giezendanner, il faisait partie des fondus de vitesse du Parti des automobilistes. A l’époque, ce parti faisait son entrée pleins gaz en politique suisse. Il fête aujourd’hui son 30e anniversaire mais n’est plus que marginal dans le paysage politique du pays. Dans les années 90 encore, ses figures de proue les plus éminentes, Giezendanner et Borer, ont passé à l’Union démocratique du centre. Un magnifique cadeau pour l’UDC d’alors, qui rendait d’un coup sexy aux yeux des pendulaires voiturés urbains un parti campagnard de paysans et d’artisans un peu lourdauds. Roland Borer se présente pour la septième fois déjà aux élections en octobre prochain.
Mais les temps changent. Partout dans le pays, les vieux briscards de l’UDC, de Toni Bortoluzzi dans le canton de Zurich à Roland Borer à Soleure, en passant par Maximilian Reimann en Argovie, s’exposent au mitraillage d’une génération nouvelle. Les stratèges du parti, Christoph Blocher et Christoph Mörgeli, misent sur le sang neuf de jeunes universitaires urbains. A Zurich, il y a là l’érudit (homosexuel) professeur d’économie Hans-Ueli Vogt et l’habile rédacteur en chef de la Weltwoche Roger Köppel. Ce sont de jeunes renards aux dents longues qui, avec des initiatives sournoises du genre «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», veulent réformer l’Etat jusque dans ses fondements démocratiques.
Quiconque n’a jamais participé à une battue sait qu’il n’y a pas de répit jusqu’à ce que le lièvre soit abattu. C’est ce que Roland Borer doit désormais expérimenter à son tour. Le vieux combattant, l’officier de carrière blanchi sous le harnais qui conseille des producteurs d’armement, se retrouve à 64 ans lui-même dans la ligne de mire. Même à l’étranger, les tireurs embusqués issus de ses propres rangs sont à l’affût.
La semaine dernière, c’est la Basler Zeitung, propriété de Christoph Blocher, qui l’a tiré sans ménagement. Proche de l’UDC, le quotidien a publié des photos volées de Roland Borer le montrant en train de faire allègrement ses courses dans une grande surface spécialisée de Lörrach (Allemagne). On y voit comment, à la fin, il charge un énorme carton dans sa voiture. Ce faisant, la Basler Zeitung le démasque en tant que politicien au double langage dont on ne saurait croire un mot. Car chez lui, au Conseil national, Roland Borer se vend comme l’avant-garde du combat patriotique contre les traîtres du tourisme d’achat.
Il va de soi que la compassion avec le «traître à la patrie» confondu a des limites, mais l’épisode en dit long sur l’intransigeance de son parti, puisqu’il est cloué au pilori dans le propre journal de Christoph Blocher. Ainsi en va-t-il de Roland Borer et de son parti au logo de soleil souriant: qu’est-ce qui est pire qu’un ennemi? Un camarade de parti!