FAIT DIVERS. Un cadavre en décomposition en bas d’une falaise. Une épouse et un amant en préventive, un drame de la jalousie: que s’est-il passé sur cette route du val d’Anniviers?
Vicky Huguelet
C’est une vieille chapelle, au bord d’une ancienne route en cul-de-sac que plus personne n’emprunte. Sans voiture, c’est une demi-heure de car postal depuis la vallée. Le petit bâtiment fut érigé là au sortir de la guerre, en 1947. Notre-Dame des Pontis était supposée protéger les voyageurs suivant alors cet itinéraire difficile qui sinue vers le fond du val d’Anniviers. Mais pour D. C., 39 ans, Sierrois, père de trois enfants, Notre-Dame n’a rien pu faire.
Derrière l’édifice, il faut passer par un tunnel dans la roche; il reste alors un bout de vague barrière rouillée. Il y a le soleil écrasant de l’été, la chaleur dure des pierres, le silence. Mais un frisson prend, cependant: la falaise est là, gueule ouverte prête à avaler l’imprudence, un vide dangereux de plusieurs dizaines de mètres.
C’est là que, le 6 août dernier, en contrebas, le corps de D. C., mort depuis deux mois, a été retrouvé. Décomposé déjà. A moitié dévoré par les bêtes, un spectacle d’horreur absolue. Il a fallu une équipe spécialisée de la police valaisanne, avec technique de rappel, pour aller faire les premiers constats, puis le remonter.
Johnny et ses enfants. Depuis, on est chez Sophocle en Anniviers. Parce que la tragédie et la mort. Parce que les secrets des trois personnages impliqués sont opaques. Aussi bien la police cantonale que le Ministère public valaisan informent le moins possible sur l’affaire: nous sommes dans la région sierroise, et l’histoire du terrible accident de car, au printemps 2012, a laissé quelques mauvais souvenirs à certains en termes de communication.
On sait cependant que la police n’est pas arrivée à la chapelle par magie ou hasard. Une source lui a indiqué d’aller y faire un tour utile. Et l’information ne venait pas d’un promeneur ou d’un chasseur local.
Une amie de l’amant de l’épouse de D. C. avait parlé. Parce que l’amant s’était vanté de cette mort.
Qui était D. C.? Vague expérience de cuisinier, sans travail, mais problème de santé. Crises d’épilepsie, et il vivait ces derniers temps sur sa rente AI. Un gars à boucles d’oreilles, queue de cheval, tatouages. Encrées dans sa peau, ses deux passions: Johnny Hallyday, qu’il défendait parfois avec véhémence sur l’internet, et ses enfants. Il en avait trois. Mais les histoires d’amour, avec lui, finissaient mal, en général.
Il avait eu une première fille, il y a quelques années. Une maman très jeune. Mais on lui avait retiré la responsabilité de cet enfant. En bas, à Sierre, un oncle de D. C. se montre assez carré: «Il m’avait dit qu’on lui retirait la garde de sa fille de 13 ans. Je lui ai répondu qu’il n’avait pas de travail et qu’il n’était pas mature, que je ne voyais pas comment il pouvait s’occuper d’un gosse.» Le portrait que font de lui ceux qui l’ont connu est contrasté: bon gars, mais cependant capable de fortes violences verbales.
Drame passionnel? Sa cousine Gladys est la seule à prendre franchement sa défense: «Il était fils unique et ça l’a passablement affecté. Je l’ai beaucoup vu après la mort de sa mère, en 2009. Il voulait un mariage et des enfants. Mais il est passé par de nombreux déboires amoureux. Il sortait avec des filles qui avaient besoin d’un toit. Il les entretenait, puis elles le quittaient. Il ne savait pas se défendre. Il n’avait pas la faculté d’analyser les choses. Il croyait tout ce qu’on lui disait.»
Enfin, il pensait avoir trouvé le grand amour, il y a un peu plus de trois ans. C. était jolie, encore une fois très jeune, et s’est retrouvée enceinte de lui à 17 ans. Un garçon. Et puis encore un deuxième. Mais l’histoire recommence. Difficulté de couple. Gladys: «Il passait des journées entières à préparer de bons repas sains pour ses gosses. Une fois, sa femme m’a dit que si, un jour, elle devait le quitter, il garderait les enfants. Qu’il était trop bien avec eux. Elle m’a dit qu’elle l’aimait, qu’elle ne le quitterait pas. Et deux semaines après, en octobre 2012, elle était loin.» Avec les enfants.
Lui demeure amoureux, harcelant, sans doute parfois jaloux ou en colère. C. s’est remise avec quelqu’un. Elle obtient de la justice qu’il ne puisse plus l’approcher à moins de 500 mètres. La tragédie ordinaire, le trio classique, Sophocle et ses vertiges qui se mettent en place.
Les deux garçonnets ont été placés dans une famille d’accueil valaisanne il y a trois, quatre mois. Les choses s’étaient vaguement tassées. D. C. avait réussi ces derniers temps à reprendre un peu contact avec sa femme.
Inhumain. Mais, depuis début juin, plus personne n’avait de nouvelles de lui. Gladys ne cache pas sa frustration: «Pour moi, cela voulait dire qu’il allait bien, car quand il va mal, il m’appelle. Maintenant, je sais pourquoi. C’est inadmissible et inhumain.» D. C. n’avait jamais parlé de sa vie de cette chapelle des Pontis. Il n’avait même pas son permis de conduire pour monter là-haut. D’ailleurs, on n’y a trouvé aucun véhicule.
La police a ainsi rapidement appréhendé sa femme et son amant, qui vivaient discrètement chez une dame de Sion. Le Ministère public valaisan a ouvert une enquête, et n’entend rien communiquer pour l’instant. Mais l’hypothèse d’un drame passionnel domine complètement les investigations. Que s’est-il passé, un jour de juin dernier: une bagarre, un accident, des mots trop durs, la jalousie de D. C. ou de l’amant qui explose? Ce dernier aurait ainsi poussé son rival dans la falaise. Et quel rôle a pu jouer sa compagne, la femme de D. C.? L’autopsie et les analyses, difficiles dans un cas de ce genre, vont prendre encore des semaines avant de livrer d’éventuels éclaircissements et cruautés: D. C. était-il vivant ou mort au moment où il est tombé dans le vide, là-haut vers les Pontis? «Nous ne sommes, nous tous qui vivons ici, rien de plus que des fantômes ou que des ombres légères», faisait dire Sophocle à Ajax.